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Voyages éducatifs : histoires de textes et de pratiques pédagogiques (revue Source(s). Arts, civilisation et histoire de l’Europe, n° 19)

Voyages éducatifs : histoires de textes et de pratiques pédagogiques (revue Source(s). Arts, civilisation et histoire de l’Europe, n° 19)

Publié le par Marc Escola (Source : Nicolas Bourguinat et Nikol Dziub )

Appel à contributions

Voyages éducatifs : histoires de textes et de pratiques pédagogiques

no 19 de Source(s). Arts, civilisation et histoire de l’Europe

 

À paraître en juin 2021, une des deux livraisons annuelles de Source(s), revue d’histoire culturelle, d’histoire des représentations et de cultural studies née à l’Université de Strasbourg en 2012, qui est diffusée en version papier et en version électronique, sera consacrée au voyage éducatif en tant que segment de la littérature viatique, et plus globalement aux représentations et usages du voyage comme outil pédagogique.

La sagesse populaire affirme que « les voyages forment la jeunesse » – ils forment les jeunes gens, et même, si l’on en croit Montaigne (« De l’institution des enfans »), ils donnent forme à leur esprit : l’auteur des Essais préconise en effet « la visite des pays étrangers » parce qu’elle permet de « frotter et limer notre cervelle contre celle d’autrui ». La Mothe Le Vayer ne dira pas autre chose dans De l’utilité des voyages (1648), et il mobilisera pour défendre cette thèse une métaphore botanique fort intéressante : s’il « n’y a point de meilleure ni de plus utile école pour la vie, que celle des voyages », c’est parce que les hommes sont pareils aux « plantes, qui deviennent plus fortes et plus considérables par la transplantation ». Toutefois, il y avait là et il y a toujours matière à controverse. Les voyages à l’étranger ouvraient-ils vraiment l’esprit ? Certains en doutaient, tel Jean-Bernard Le Blanc, qui, en 1765, dans ses Dialogues sur les mœurs des Anglois, faisait dialoguer Locke et Lord Shaftesbury à propos de l’opportunité des voyages pédagogiques, et les historiens en doutent encore aujourd’hui lorsqu’ils se penchent sur l’expérience du Grand Tour faite par les jeunes aristocrates du XVIIIe siècle. Beaucoup des contemporains des Lumières concluaient en faveur du voyage, comme le fait Rousseau dans l’Émile en 1762 (« Tant de livres nous font négliger le livre du monde ; ou, si nous y lisons encore, chacun s’en tient à son feuillet »), mais non sans y apporter des restrictions, par exemple pour les filles. La littérature viatique des Lumières estimait, dans l’ensemble, que c’était d’abord affaire de préparation et de méthode, d’où la multiplication des « arts de voyager ».

Mais les voyages mis en récit et opportunément agencés ne fournissent-ils pas déjà un substrat susceptible d’aider à former la jeunesse et à lui donner des clés de l’expérience et de l’appréhension du monde ? Ce n’est pas par accident que Rousseau fait de Robinson Crusoé la grande lecture d’Émile : la robinsonnade était appelée à devenir un sous-genre clef de la littérature pédagogique, et elle prendrait même une inflexion féminine avec par exemple Emma ou le Robinson des demoiselles de Mme Woillez (1834). Imité dans tous les pays d’Europe au fil du XVIIIe siècle, Les Aventures de Télémaque de Fénelon resta jusque dans les années 1850 dans la liste des textes les plus vendus par les éditeurs scolaires. Et il en allait de même du Voyage du jeune Anacharsis en Grèce de l’abbé Barthélémy et d’autres récits viatiques destinés à faciliter l’initiation des jeunes lecteurs à l’histoire de l’Antiquité et à la mythologie. Dès la seconde moitié du XVIIIe siècle étaient aussi apparus des récits modernes, choisissant pour trame le voyage avec ses rites et ses pratiques et mettant en contexte les pays étrangers contemporains des jeunes lecteurs : l’un des premiers et des plus célèbres est le roman pédagogique de Mme de Genlis, Adèle et Théodore (1782), qui promène ses héros en Hollande et en Italie. Les premières décennies du XIXe siècle sont à nouveau une période prolixe en parutions, avec la série des Jeunes voyageurs en Europe de l’Anglaise Priscilla Wakefield, qui est traduite ou démarquée sur tout le continent.

Les voyages enfantins circonscrits à l’espace national devinrent une spécialité du second XIXe siècle et du premier XXe siècle, non seulement en Europe mais dans le reste du monde. Dans le cadre du marché de la lecture de masse et de la vulgarisation scientifique, ils tenaient une place particulière dans la consolidation du sentiment d’appartenance et de destinée collective que voulaient susciter les États-nations. C’est la perspective de Mme Fouillée – alias G. Bruno –, dans le Tour de la France par deux enfants : devoir et patrie (1877). Mais c’est aussi l’arrière-plan programmatique du Merveilleux Voyage de Nils Holgersson, qui fut commandé à Selma Lagerlöf par le ministère suédois de l’Instruction publique et publié en 1907.

Cela établi, plusieurs questions se posent, que nous aimerions regrouper en cinq grands axes :

Idéologie. Le récit de voyage pédagogique convient-il à toutes les idéologies éducatives ? Il y a loin de Rousseau à Marie-Françoise Loquet, et pourtant cette dernière elle aussi fait confiance au voyage mis en récit pour former ses lectrices, puisqu’elle publie en 1781 un Voyage de Sophie et d’Eulalie au Palais du vrai bonheur, ouvrage pour servir de guide dans les voies du salut, par une jeune demoiselle. Ce succès « trans-idéologique » du récit de voyage pédagogique mérite donc de retenir l’attention. Nationalismes. Les tours de la nation par des enfants pouvaient-ils se survivre, avec le XXe siècle, à l’heure des guerres mondiales et du choc des nationalismes ? On sait que les enfants n’étaient pas oubliés par la propagande visant à mobiliser les énergies des pays belligérants : ainsi Mme Fouillée crut-elle opportun de publier un Tour de l’Europe pendant la guerre, où les protagonistes sont les descendants des héros de l’ouvrage de 1877. Le genre chercha tout de même à déborder les frontières nationales et à couvrir plus systématiquement d’autres territoires (ainsi le continent européen à l’usage des jeunes lecteurs américains). Souvent il évolua vers des serials et reprit des personnages récurrents. Dans les années 1960, on en vit même des versions cinématographiques ou télévisées avec la série des Gidget, une jeune Californienne débrouillarde qui trimballe sa planche de surf à Hawaï et qui visite l’Italie avec sa bande d’admirateurs – à ce stade on était toutefois plus près du teen movie que de l’initiation amusante à la géographie. Genre littéraire. On peut se demander si tous les sous-genres viatiques sont également propices au développement d’un discours pédagogique. Là aussi, il y a loin des Aventures de Télémaque de Fénelon aux Voyages extraordinaires de Jules Verne, aux Voyages très extraordinaires de Saturnin Farandoul d’Albert Robida (1879), ou au Cuore d’Edmondo de Amicis (1886), journal enfantin où le thème du voyage occupe une place importante. Et cette efficacité « trans-générique » ne manque pas de soulever des questions. Faits, fable, fiction. Nombre de récits de voyage pédagogiques, on l’aura compris, sont des voyages non seulement fictifs, mais « fabuleux ». Mais les voyages réels, eux aussi, peuvent, surtout s’ils ont un but ouvertement éducatif, donner naissance à des récits de voyage eux-mêmes pédagogiques. On songera inévitablement ici aux voyages à la fois excentriques et éducatifs du graveur et pédagogue Rodolphe Töpffer, qui, dans son Voyage en zigzag ou excursion d’un pensionnat en vacances dans les cantons de Suisse et sur le revers italien des Alpes (1844) ou dans ses Nouveaux Voyages en zigzag à la Grande Chartreuse, autour du Mont-Blanc (publiés à titre posthume en 1854) ajoute à la tradition selon lui un peu trop sérieuse du voyage pédagogique une dimension humoristique. C’est d’ailleurs lui qui sera à l’origine des « caravanes scolaires » en Suisse – nouveau genre de voyage éducatif qui sera mis en récit en 1879 par Eugène Ebel et G. Muleur dans La Première Caravane d’Arcueil : récit du voyage de la caravane scolaire de l’école Albert-le-Grand pendant les vacances de l’année 1878. Compagnonnage. Du point de vue de la question des relations entre faits, fable et fiction, un autre sous-genre encore mérite de retenir l’attention : celui du récit de compagnonnage. Ce genre est d’autant plus intéressant qu’il nous invite à repenser la dichotomie faits/fiction ou voyage « factuel »/voyage fictionnel. En effet, les récits de compagnonnage peuvent très bien être fictionnels (comme le Compagnon du Tour de France (1841) de George Sand, ou les chapitres que Jules Romains consacre, dans les trois derniers tomes des Hommes de bonne volonté (1946) aux voyages du jeune orphelin Charles Xavier en compagnie de son maître d’apprentissage, l’électricien ambulant Fernand Vidal) : mais, même fictionnels, ils se tiennent à l’écart du fabuleux pour privilégier un vraisemblable historiquement documenté.

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Les propositions de contribution (une demi-page accompagnée d’une brève notice biobibliographique) sont à envoyer aux deux coordinateurs du numéro, Nicolas Bourguinat (Université de Strasbourg) bourguin@unistra.fr et Nikol Dziub (Université de Haute-Alsace) nikol.dziub@uha.fr avant le 20 mars 2020.

Les contributeurs dont la proposition aura été acceptée devront envoyer leur article complet pour le 30 septembre 2020, en respectant la limite de 40 000 signes espaces comprises. Les textes feront ensuite l’objet d’une relecture en double-aveugle, conformément à la procédure en vigueur pour les revues publiées sur le portail openedition.

À côté du dossier composé de 5 à 7 articles, une contribution est aussi attendue pour figurer au centre du numéro, autour de l’édition présentée et annotée d’un texte original inédit relevant des voyages d’éducation (avec un maximum de 200 000 signes tout compris).

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Bibliographie sélective

ADELL-GOMBERT Nicolas, Des hommes de devoir. Les compagnons du Tour de France (XVIIIe-XXe siècles), Paris, Maison des Sciences de l’Homme, coll. « Ethnologie de la France », 2008.

CABANEL Patrick, Le Tour de la nation par des enfants. Romans scolaires et espaces nationaux (XIXe-XXe siècles), Paris, Belin, 2007.

Cahiers Robinson, n1 : « Voyages d’enfants : contre la ligne », 1997.

Cahiers Robinson, n3 : « Voyages d’enfants : “Tours” », 1998.

CZYBA Lucette, « Aventure, famille et école dans Sans famille d’Hector Malot », dans BELLET Roger (dir.), L’Aventure dans la littérature populaire au XIXe siècle, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 1985, p. 139-147.

FOURNIER Laura, La fabbrica dell’identita nazionale. Studio comparativo di Cuore e del Tour de la France par deux enfants, mémoire de maîtrise, Paris, Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3, 1997.

GLENISSON Jean et LE MEN Ségolène (dirs.), Le Livre d’enfance et de jeunesse en France, Bordeaux, Société des Bibliophiles de Guyenne, 1994.

GRANDEROUTE Robert, Le Roman pédagogique de Fénelon à Rousseau, Genève, Slatkine, 1985, 2 vols.

HOIBIAN Olivier, « Les voyages en zigzag de Rodolphe Töpffer », Babel, no 8, 2003, p. 57-70.

HOIBIAN Olivier, « Les voyages pédestres de scolaires à la fin du XIXe siècle. Santé, éducation et littérature de de voyage », Babel, no 20, 2009, p. 180-193.

KOSCH Arlette, Le Voyage pédestre dans la littérature non fictionnelle de langue allemande : “Wanderung” et “Wanderschaft entre 1770 et 1850, Berlin, Peter Lang, 2019.

LALLEMAND Marcel, « Le roman comme manuel de lecture courante. Du Tour de la France par deux enfants de G. Bruno à Jacques Thibault de Roger Martin du Gard », dans MASSOL Jean-François (dir.), De l’institution scolaire de la littérature française (1870-1925), Grenoble, ELLUG, 2004, p. 255-300.

MARCOIN Francis, Librairie de jeunesse et littérature industrielle au XIXe siècle, Paris, Champion, 2006.

MOLLIER Jean-Yves, « Le manuel scolaire et la bibliothèque du peuple », Romantisme, n o 80, 1993, p. 79-93.

MORICE Juliette, « “Les voyages rendent-ils meilleur ?” Autour d’une controverse au XVIIIe siècle », Revue philosophique de Louvain, 3e série, tome 110, no 2, 2012, p. 231-260.

NIERES-CHEVREL Isabelle, « Avant-propos », Revue de littérature comparée, vol. 304, no 4 : « L’invention du roman pour la jeunesse au XIXe siècle », 2002, p. 413-420.

OTTEVAERE-VAN PRAAG Ganna, La Littérature pour la jeunesse en Europe occidentale (1750-1925). Histoire sociale et courants d’idées, Bern, Peter Lang, 1987.

PALHETA Ugo, « L’apprentissage compagnonnique aujourd’hui entre résistance à la forme scolaire et transmission du “métier” », Sociétés contemporaines, vol. 77, no 1, 2010, p. 57-85.

RAJON Anne-Marie, « Accompagnement, compagnonnage : improbables voyages », Empan, vol. 74, no 2, 2009, p. 41-43.

SACHS Leon, « Chapter 3. Teaching Suspicion. Erik Orsenna’s La Grammaire est une chanson douce as a Modern Tour de la France par deux enfants », The Pedagogical Imagination : The Republican Legacy in Twenty-First-Century French Literature and Film, Lincoln and London, University of Nebraska Press, 2014.

WATRELOT Martine, « Aux sources du Tour de la France par deux enfants », Revue d’Histoire moderne et contemporaine, no 46-2, avril-juin 1999, p. 311-324.