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"Vous ne vous ferez point d’images : les archives arméniennes et la question de la fiction", conf. de M.‐A. Baronian (séminaire "L’Image témoin : l’après-coup du réel")

Publié le par Marc Escola (Source : Emmanuel Alloa)

Peut-il y avoir des images d’un génocide? Cette question peut être comprise de différentes manières. L’expérience génocidaire peut-elle recevoir une représentation adéquate, respectueuse, juste, ou bien s’agit-il ici de quelque chose d’ « inimaginable » et donc d’irreprésentable ? Est-ce que les documents et témoignages, forcément partiels, sont-ils capables de restituer la dimension totalisante de l’extermination ? Quel est le statut spécifique des témoignages visuels, et de quelle façon remettent-ils en question le principe d’irreprésentabilité ? Car avant de devenir un argument éthique dans le débat mémoriel, l’irreprésentabilité est une exigence fonctionnelle de tout génocide : l’anéantissement ne sera total que s’il n’y plus aucune trace permettant d’en rendre compte, l’extermination ne sera complète que quand elle aura fait disparaître toute trace de l’extermination.

Dans le cas du génocide arménien (1915-1917), la mise en oeuvre des massacres s’accompagne d’une politique de l’image rigoureuse: toute documentation photographique est strictement défendue. Si cet interdit de représentation, qui s’ajoute aux obstacles aussi bien géographiques que techniques, a donné lieu à une absence quasi totale d’images de l’extermination des Arméniens, quelques rares exceptions existent. On se penchera sur le cas des archives d’Armin Wegner (1886-1978), infirmier allemand envoyé au Proche-Orient où il photographiera clandestinement les camps de concentration des déserts syrien et mésopotamien ainsi que les déportés autour d’Alep, avant d’être découvert et arrêté. Si certaines de ces photos sont devenus des « icônes négatives », invoquées comme preuve de la réalité génocidaire, il n’est souvent pas clair ce que ces images montrent précisément – et Wegner n’a souvent fait que brouiller les pistes, modifiant plusieurs fois le récit de son périple –, si bien que les négationnistes ont pu s’en emparer, pour montrer à quel point leur « réalité » était douteuse. Le débat autour des archives Wegner soulève la question plus générale  qui est de savoir dans quelle mesure la mémoire de la violence génocidaire tolère l’intervention de la fiction, voire même l’exige, et dans quelle mesure l’art s’oppose au témoin ou en prolonge au contraire le propos, quand celui-ci s’est tu.   

Marie-Aude Baronian (née à Bruxelles en 1974), docteur en philosophie et en études cinématographiques, est Maître de conférences aux Facultés des Sciences Humaines de l’Université d’Amsterdam (UvA). Elle enseigne au département de Media Studies dans le domaine de la philosophie de l’image, de la théorie filmique et de la culture visuelle. Spécialisée dans les questions du rapport entre mémoire et image ou entre éthique et esthétique, elle a publié de nombreux articles sur la représentation du génocide arménien, et sur des artistes et cinéastes tels que, par exemple, Atom Egoyan ou les frères Dardenne. Elle est, entre autres, l’auteur d’un ouvrage sur la question des images et de la mémoire du génocide arménien (L’Age d’Homme, début 2013).

 

> "Vous ne vous ferez point d’images : les archives arméniennes et la question de la fiction"
Quatrième séance du séminaire "L'image-témoin" avec Marie‐Aude Baronian, chercheuse à l’Université d’Amsterdam et Emmanuel Alloa, philosophe.

Le vendredi 30 novembre à 18 h 30,
à l'auditorium du Jeu de Paume.


> "L’Image témoin : l’après-coup du réel", séminaire en 10 séances sous la direction d’Emmanuel Alloa, philosophe, en collaboration avec Sara Guidani et le département d’Arts Plastiques de l’Université Paris 8.