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Volte-face. Les avatars du portrait

Volte-face. Les avatars du portrait

Publié le par Emilien Sermier (Source : Marie-Camille Bouchindomme)

Volte-face, Les avatars du portrait

Colloque international qui se tiendra à l'INHA et à l'Université Paris Ouest Nanterre les 9, 10 et 11 février 2017

Organisé conjointement par :

Marie-Camille Bouchindomme (Université Paris 3, département Cinéma, HAR Paris Ouest Nanterre)

Rose-Marie Godier (Université Paris Ouest, département Arts du spectacle, HAR )

Agathe Lichtensztejn (Université Paris 8, Laboratoire Arts des images et Art contemporain)

Ce colloque intitulé « Volte-Face : les avatars du portrait » entend questionner la persistance du portrait dans nos pratiques artistiques contemporaines (Cinéma, Arts plastiques, Photographie, Théâtre). Plus précisément, il s’agira d’envisager le déplacement qu’opèrent actuellement les nouvelles images dans notre confrontation au visage humain et à ses représentations.

Résumé du projet :

Ce projet se veut une interrogation sur la persistance ou le retour insistant du portrait dans nos pratiques artistiques contemporaines. La question portera plus précisément sur le déplacement qu’opèrent les nouvelles images dans notre confrontation au visage  humain et à ses représentations. Les arts plastiques, tout comme la photographie ou le cinéma, les installations, mais aussi bien les images virtuelles, semblent aujourd’hui reconduire la pratique millénaire du portrait, tout en modifiant sensiblement ses enjeux et ses modalités. Ces pratiques, de plus, s’infléchissent au voisinage du nouveau mode d’existence des images : c’est dans l’hyper diffusion réticulaire que ces dernières puisent leur signification et leur efficace. Si cette dimension médiologique vient inquiéter,  voire bousculer les approches esthétiques traditionnelles du portrait, un autre aspect ne peut être tenu à l’écart de la réflexion : l’usage immémorial du portrait politique, qui resurgit semble-t-il, intact, plus que jamais actif et opérant, dans de nouveaux processus de dissémination.

C’est au travers d’une approche pluridisciplinaire que chercheurs, mais aussi bien praticiens, tenteront d’articuler ces trois registres : esthétique du portrait à l’ère des nouvelles images ; le portrait politique ; le portrait dans son passage de l’ontologie à la médiologie.

Les propositions de communication sont à envoyer avant le 30 octobre 2016 à l'adresse suivante:

avatarsduportrait@gmail.com

 

Présentation du projet :

 

     S’il est traditionnellement indissociable de la notion de « sujet » et s’il est d’abord mouvement vers l’altérité, le portrait tend aujourd’hui à être curieusement reconduit, et cependant sensiblement modifié, voire altéré, au travers de nos pratiques artistiques contemporaines. Dans l’invention du portrait, écrit Jean-Luc Nancy, « le sujet s’est assuré la certitude d’une présence : il s’y est inventé lui-même[1] ». A présent, cependant le sujet s’y retire plus volontiers qu’il ne se présente ou s’affirme, et le geste du portraitiste, s’il est toujours tension vers l’altérité, s’effectue dans l’incertitude – jusqu’à scruter l’obscurité au fond même de sa propre vision[2].

 

     L’étonnante survivance du portrait prend un relief tout spécial de s’inscrire dans la perspective d’une anthropologie historique. Dans le temps d’une Histoire du visage, le portrait apparaît comme l’indice majeur de l’attention exigeante portée à l’expression du visage comme signe de l’identité individuelle. Ainsi Jean-Jacques Courtine et Claudine Haroche mettent-ils en rapport direct l’intérêt historique pour la physiognomonie, avec la crise de l’identité individuelle dans des structures sociales en pleine transformation[3].  Si le portrait ne livre qu’un reflet du visage, s’il est aussi « une mise à distance du visage, sa mise en scène volontairement admise[4] », il ne se fait pas moins symptôme aujourd’hui d’une semblable intranquilité.

 

     Et sa persistance, ou son retour, reste peut-être lié au besoin actuel d’une redéfinition de l’humain en général et de l’individu en particulier – alors que les contours et les limites de ces notions s’estompent et semblent fuir à l’infini. Avec l’avancée et surtout la convergence des sciences et des techniques, Marcel Gauchet n’hésite pas à parler de « rupture anthropologique » à propos des modifications qui affectent aujourd’hui le rapport de chacun à lui-même et aux autres : « Nous sommes, écrit-il, effectivement en présence, dans le monde contemporain, de phénomènes de subjectivation absolument inédits, en grande partie créés par l’univers technologique dans lequel nous évoluons[5]. »  Cette convergence de sciences et de techniques affecte ainsi les images que l’homme se fait et se donne de lui-même – au travers desquelles il se façonne, s’élabore, s’auto-construit. Les nouvelles images entraînent une modification de notre rapport à nous-mêmes, et surtout à notre propre corps.

 

     Aujourd’hui encore, le portrait est « arraché à l’ombre de la nuit, de la séparation et de la mort[6] ». Cette constante complicité qu’il entretient avec la mort en fait toujours assurément pour nous « l’image dernière qui fonde toutes les autres [7]». Les miroirs de Duchamp, qui figuraient des portraits « ready-made » et sur lesquels « rien ne reste, pas même le souffle condensé des passants », ne pouvaient pourtant pas se soustraire à cet  horizon mémoriel. Parallèlement, le portrait se fait aussi de nos jours « fondé de pouvoir[8] », retrouvant ainsi les deux motivations fondamentales qui ont depuis l’antiquité autorisé son existence : le surpassement de la mort et l’exercice efficace de la fonction impériale[9].

 

     Dans ce dernier registre, l’impact de ces portraits « politiques » est aujourd’hui très largement amplifié par l’étendue et l’immédiateté de leur diffusion. Si celles-ci sont à notre époque déterminantes pour tous types d’image, elles le sont encore plus de s’articuler à cette configuration particulière du visible pourtant fort ancienne qu’est le portrait. Mais la singularité à laquelle ce dernier renvoyait traditionnellement devient de nos jours accessoire : désormais l’important c’est le pluriel. Pour garder son efficacité et convenir au plus grand nombre (fonction qui lui imposée par les nouveaux processus de diffusion) le portrait doit être le catalyseur d’idées, de sentiments, et ouvrir vers une multitude de significations. Ce qui n’implique pas que le lien à l’individu soit définitivement rompu ; bien au contraire, il se tisse selon des modalités jusque là inédites, déterminées par les conditions nouvelles de l’exercice du pouvoir. C’est à une analyse précise de ces modalités que nous nous attacherons.

 

     Cependant, si l’on s’attache aux pratiques réticulaires du portrait et a fortiori de l’autoportrait, il convient d’envisager sa forme la plus populaire, la plus bavarde, la plus visible, la plus triviale aussi et la plus conspuée : le selfie. Car le selfie est indubitablement le pouvoir photographique mis entre les mains de tous. Il s'agit de se demander comment et pourquoi le monde d’aujourd'hui a  pu engendrer une forme d'images si irrévérencieuses envers l'un des objets les plus signifiants, à savoir le visage ? Et comment s’opère l'équilibre entre une tradition picturale dont cette pratique ne rejette rien formellement, tout en malmenant son principe directeur – celui d’une  rencontre de l'individu avec lui-même –, puisque l'Autre devient un des moteurs prééminents, si ce n'est le moteur, du procédé génératif de ces images ?

     Au delà du "ça a été" barthien, le selfie, en tant que forme d'image accessible à chacun et lisible par tous, a engendré une nouvelle mise en image du militantisme et de la révolte, devenant le véhicule privilégié de "ce qu'il adviendra" – puisqu'il vise à enclencher la conversation, et demande l'action de son regardeur, qui devient alors le détenteur d'une vérité de l'image, puisque faite à partir de lui.  

 

 

     Une journée d’étude s’est tenue à l’ENS Louis-Lumière le 2 octobre 2015 (http://www.ens-louis-lumiere.fr/fileadmin/recherche/151002_volteface__programme.pdf). Fonctionnant comme atelier préparatoire, son but était de confronter plusieurs axes de réflexion, qui seront approfondis et mis en interaction lors du colloque de 2017 :

1/ Avec la doublure numérique, la question se pose du passage de la représentation au portrait. Ces images autres viennent aussi travailler la notion de ressemblance, bien plus complexe que le simple décalque de la réalité.

Faut-il pourtant conjoindre ressemblance et portrait, même si la question de la ressemblance participe de la naissance du mot (‘traicts pour traicts’[10]), rappelle Jean-Michel Bouhours ? L’alternative pourrait-être en peinture le portrait sans visage – dans lequel le mystère du sujet s’approfondit, débarrassé de l’illusion de sa résolution.

La recherche du visage peut aussi passer par un portrait en creux, un dessin partant de l’intérieur. Et le cinéma, comme forme temporelle, serait propice à ce surgissement.

2/ Que devient le portrait dans la perspective de sa diffusion réticulaire, entre perte et  dissémination ? Une proximité qui recule traverse Citizenfour, le film de Laura Poitras. De même, les selfies semblent reconduire l’expérience première de toute subjectivation, mais restent interrogation anxieuse : s’agit-il de faire face ou de garder la face ? Ne faudrait-il pas, de plus, envisager une approche éthique de la défiguration ?

3/ Dans la pratique documentaire, le temps permet d’atteindre à l’intériorité, à ce qui échappe, d’accueillir ce qui peut advenir aussi bien. Mais le portrait transforme également celui qui le fait – et ce temps  reste « relation à l’altérité, fût-elle inatteignable[11] ».

4/ L’image et le discours, ou la fiction et la réalité visuelle ne peuvent se concevoir l’un sans l’autre. Jean-François Lyotard disait en substance, «  des mots toujours s’invitent au bord de l’image ».

Plus généralement, le portrait figure-t-il encore « ce rebord où se pencher pour chercher ce reflet par lequel nous sommes[12] » ?

 

[1] Jean-Luc Nancy, Le Regard du portrait, Galilée, 2000, p. 31.

[2] Voir Jean-Luc Nancy, L’Autre portrait, Galilée, 2014, p. 32.

[3] Jean-Jacques Courtine et Claudine Haroche, Histoire du visage, exprimer et taire ses émotions, (16ème – début 19ème), Payot & Rivages, 2007, p. 41.

[4] Itzhak Goldberg, « Portrait et visage, visage ou portrait », dans Visage et portrait ; Visage ou portrait, sous la direction de Fabrice  Flahutez, Itzhak Goldberg et Panayota Volti, Presses Universitaires de Paris Ouest, p. 15.

[5] Marcel Gauchet, cité dans Monique Atlan et Roger-Pol Droit, Humain, Flammarion, 2014, p. 77.

[6] Edouard Pommier, Théories du portrait, Gallimard, 1998, p. 20.

[7] Yves Bonnefoy, « Proximité du visage », cité dans François Soulages, «Mystères, paradigmes et herméneutique », dans Sainte Face, Visage de Dieu, visage de l’homme dans  l’art contemporain, sous la direction de  Paul-Louis Rinuy et Isabelle Saint-Martin, Presses Universitaires de Paris Ouest, 2015, p. 270.

[8] Jean-Luc Nancy, L’Autre portrait, op. cit., p. 17.

[9] Voir Galienne et Pierre Francastel, Le Portrait, Paris, Hachette, 1969, p. 39.

[10] Jean-Michel Bouhours, « Plonger dans le visage » in Portraits, Collections du Centre Pompidou, RMN, 2012, p. 12.

[11] Emmanuel Levinas, Ethique et infini, Fayard, 1982, p. 63.

[12] Yves Bonnefoy, L’improbable et autres essais, Gallimard, 1983, p. 309.