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Voi(x)s mineures, témoignage et culture

Voi(x)s mineures, témoignage et culture

Publié le par Perrine Coudurier (Source : Catherine Songoulashvili)

Colloque international organisé par le CELIS (Centre de Recherches sur les Littératures et la Sociopoétique), Université Blaise Pascal :

 

Mercredi 23 – jeudi 24 – vendredi 25 NOVEMBRE 2016

Maison des Sciences de l’Homme

4 rue Ledru, 63057 Clermont-Ferrand

Revendiquer une visibilité, une reconnaissance et un droit sinon à la justice, du moins à s’entendre prononcer des repentances lorsqu’il a subi des torts. Un des principaux canaux ou étayages des revendications ou des récits liés à l’histoire vécue est constitué par le témoignage. Ainsi, l’expression de voix collectives, passant généralement par des modes d’énonciations individuelles, rappelle les événements traversés par le groupe en question, et en construit et entretient la mémoire.

Mais cette situation est-elle pérenne ? N’est-elle pas la représentation d’une scène idéale d’équité démocratique par la reconnaissance mémorielle ? N’y a-t-il pas là une nouvelle forme d’hégémonie produisant elle aussi ses marges et ses exclusions ?

Il s’agit d’interroger la validité de cette triple articulation groupe, témoignage et culture, à partir de parcours de minorités et d’hyperminorités. On attendra donc que soit retracée l’évolution de l’identité de ces groupes, passant par la prise de conscience de leur passé et l’élaboration de leur mémoire. On sera attentifs aux modes de l’action artistique ou politique par lesquels ces groupes se sont exprimés et quelle a été leur réception à travers le XXe siècle, principalement sa deuxième moitié et le début du XXIe siècle.

Cette vision en perspective permettra de revisiter, voire de réévaluer des concepts clés tels que, entre autres, {Agency}, culture et contre-culture, mémoire culturelle /mémoire communicative (kulturelles Gedächtnis/kommunikatives Gedächtnis), Multidirectional memory, Postmemory, postcolonialisme, hégémonie, minorités et hyperminorités, témoignage et mémoire, trauma… en marquant notamment leur évolution entre les années 1960-1970, moment de l’émergence d’actions autant que de théories sur ces questions, et les années 2000.

Cette réflexion associe donc le témoignage et la mémoire à la double notion de culture et de mineur : qu’entend-on par là ?

Par culture, il s’agit de considérer les multiples « voie(x)s » intégrant tous les types de « productions » humaines : artistiques, littéraires, scientifiques, philosophiques… Celles-ci circonscrivent ce que l’on estime être la « culture », au sens large d’expressions des phénomènes et des productions de connaissances transmissibles entre humains.

Le terme mineur, quant à lui, qualifie des processus « minorants » correspondant à une « contrainte extérieure » (simple ou multiple) menant à l’affaiblissement des libertés fondamentales des sujets qui produisent ces voix. Leur émergence devient alors une nécessité, une énergie de résistance et d’opposition, ce que recouvre en anglais le terme Agency (une opposition créatrice du dominé face à l' « hégémonie » culturelle / politique / sociale du dominant).

 

Les objectifs du projet

Il s’agit d’étudier en détail le lien entre mineur et culture, à partir de l’action du témoignage. Les propositions de communication pourront s’articuler autour de quatre orientations distinctes, trois directement liées au corpus et aux expériences de témoignage, la dernière engageant une réflexion épistémologique :

Volet 1: Témoignage et mémoire comme voies et voix du dedans dans leur rapport, antagonique ou non, à la normalisation

Ces voie(x)s doivent « témoigner » de l’oppression et de l’hégémonie subie afin de « mettre au jour », de « donner à voir » au monde ce qui leur est imposé par les systèmes normatifs et hégémoniques dans lesquelles elles s’inscrivent : par exemple, les contre-cultures. On pourra y inclure les manières de résister des témoins face à la mémorialisation de la mémoire ; des formes de militances (Black power, Homosexuels, féministes, etc.) ; les autobiographies d’esclaves ; les mémoires de l’exil en tant que récit et cadre.

Ce volet posera les questions de la reconnaissance et de la normalisation du mineur dans le champ culturel, de la dévalorisation, voire de la disqualification de l’action testimoniale ou de l’expression du mineur lors du processus de normalisation. On s’intéressera aussi bien à l’incidence entre les modèles de l’action dans une culture et les témoignages de soumission, d’assujettissement, voire de collaboration (ce que l’on recouvre sous le terme de zone grise), qu’à la mémoire comme médiation vers une nouvelle normalité (impliquant un rapport mimétique à cette normalité).

On s’attachera donc dans ce volet à la contrainte vécue de l’intérieur portée par un mouvement cherchant à la rendre visible et à la dénoncer. Le témoignage est ici le fruit d’une expérience endogène – et souvent individuelle – de la minoration. Ceux qui s’expriment n’appartiennent pas aux catégories qui sont normalisées de facto ; malgré d’éventuelles formes de reconnaissance culturelle, ils restent toujours des autres dont l’image ne se reflète pas dans le miroir de la normalisation

 

Volet 2 : Témoignage comme voies et voix exprimant l’expérience du désastre

Ce deuxième volet porte sur les voies et les voix mineures en rapport au traumatisme comme autant de tentatives d’en élaborer une mémoire. Le témoignage se manifeste alors comme une lutte contre les violences radicales, violences dont l’action produit anéantissement, effacement, oubli. C’est à ce titre que Maurice Blanchot écrit que « Le désastre est du côté de l’oubli ; l’oubli sans mémoire, le retrait immobile de ce qui n’a pas été tracé – l’immémorial peut-être ; se souvenir par oubli, le dehors à nouveau » (L’Écriture du désastre, p. 10).

Le témoignage explore les confins des expériences de désastre pour les convertir en dire ou en représentation et, ce faisant, les transmettre. En ce sens, ce volet permet d’analyser les modalités selon lesquelles ou bien les non-dits (volontaires), ou bien l’indicible (subi) de la violence radicale peuvent être exprimés et prendre place dans le scriptible (Barthes), voire s’instituer en objet culturel et mémoriel.

Ce volet comprend au moins deux dimensions : d’une part, lutter contre la violence de l’oubli ; de l’autre, se faire violence pour parvenir à projeter le trauma sur une scène d’expression et, en cela, le restituer en tant qu’expérience. Ces témoignages peuvent prendre forme pour et par des groupes aussi bien que des individus portant ou non des voix collectives.

 

Volet 3 : Témoignage culturel comme voie ou voix du passé

Ce troisième volet, articulant témoignage et mémoire, représente une action de « survie » culturelle par le retour à la tradition. Dire l’ancestral (terme à définir et incluant la tradition) pour transcender ce passage du temps qui comporte les risques d’uniformisation culturelle, donc normalisation, voire de globalisation. Ce mouvement place les cultures « mineures » menacées d’extinction au cœur du contemporain. Il apparaît, en ce sens, aussi vital que les autres formes d’expression culturelle du mineur et vise à dépasser les effets destructeurs et annihilateur du temps et de la modernité sur les cultures ancrées dans l’ancestral.

Ce volet n’est pas nécessairement lié au désastre, mais à la menace de destruction que seraient la perte et l’oubli de la culture propre au groupe. Il peut ainsi toucher les langues vernaculaires / régionales, les pratiques spiritualistes mineures et les pratiques traditionnelles, les productions artisanales et les modes de vie ruraux anciens et actuels, etc.

Le trauma est souvent absent de ce témoignage, car il est habité de la lumière et de la joie de la permanence fidèle - au sens de fides - à un passé structurant le présent et lui donnant sens, comme en atteste la fréquentation des grands musées internationaux construits sur les arts premiers ou la mémoire culturelle (la muséographie a ainsi toute sa place dans ce volet).

 

Volet 4 : épistémologie des rapports entre mineur et culture

Ce quatrième volet se propose d’établir un état des lieux des discours scientifiques qui permettent de traiter ces questions. En effet, plusieurs approches scientifiques des questions de mémoire, de témoignage, de culture et de mineur viennent se croiser dans le même temps et dans des temps successifs. Nous fournissant les repères et les cadres pour analyser les réalités comme les corpus, il est important de faire le point sur les domaines scientifiques concernés, les convergences comme les interférences, les enrichissements comme les incompatibilités interdisciplinaires, les tendances académiques comme les orientations politiques.

Langue de travail : ce colloque n’est pas exclusivement anglophone. La langue principale de travail est le français, à l’exception des invités internationaux.

 

Sous la responsabilité scientifique de Anne Garrait-Bourrier (PR d’Études culturelles américaines à l’Université Blaise Pascal, voir celis.univ-bpclermont.fr) et de Philippe Mesnard (PR de Littératures comparées et de littérature française à

l’université Blaise Pascal) (voir celis.univ-bpclermont.fr)

Les propositions de communications (500 mots, un corpus et une biobibliographie) sont à renvoyer, avant le 30 septembre 2015, aux adresses mails suivantes :

Anne.Garrait-Bourrier@univ-bpclermont.fr

philippe.mesnard9@gmail.com