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Y a-t-il une francophonie post-soviétique ? Considérations sur la littérature et le cinéma européens contemporains

Y a-t-il une francophonie post-soviétique ? Considérations sur la littérature et le cinéma européens contemporains

Publié le par Matthieu Vernet (Source : Catherine Parayre)

« Y a-t-il une francophonie post-soviétique ? Considérations sur la littérature et le cinéma européens contemporains »

À une époque où les discours sur la mondialisation connaissent une prolifération et une expansion qui débordent largement les limites des débats socio-économiques, et révèlent de plus en plus l’incidence culturelle et artistique de ce phénomène, ce numéro spécial de revue invite à réfléchir sur l’opportunité de délimiter dans le champ de la francophonie européenne une parcelle à part entière qu’on pourrait nommer « francophonie post-soviétique ». Il s’agit d’aborder l’un des aspects les plus prégnants qui caractérisent la dynamique « globalisante » du monde contemporain, à savoir l’immigration, celle notamment générée par la dissolution, à partir de 1989, des régimes communistes en Europe Centrale et de l’Est. Plus spécifiquement, c’est l’immigration dans les pays de langue française de l’Europe Occidentale qui serait à considérer, en particulier sous l’angle de ses retentissements littéraires et cinématographiques.

Ainsi délimité, l’objet à examiner se situe dans ce champ d’interférences qui met en contact, à travers le français, des cultures distinctes du « vieux continent ». En l’occurrence, cette interaction concerne d’une part la France, la Suisse et la Belgique et, d’autre part, les nombreux pays ayant fait partie de l’Union Soviétique et du Bloc de l’Est, certains avec une longue tradition francophile comme l’Albanie, la Pologne ou encore la Roumanie. Depuis un quart de siècle environ, l’Europe francophone, l’Europe en général d’ailleurs, assiste à un amenuisement progressif des frontières longtemps enracinées dans la perception publique entre son flanc occidental et ce que Czeslaw Milosz appelait en 1964 l’« autre Europe » (Une autre Europe). Cette formule allait faire fortune par la suite dans les commentaires des historiens, politologues et sociologues portant sur l’Europe Centrale et de l’Est. La force évocatrice de ce syntagme n’a pas manqué de se réverbérer dans le domaine des études francophones européennes dont le renouveau au cours de la dernière décennie est indéniable. De cette revitalisation de l’intérêt pour la francophonie européenne participent quelques volumes récents tels que L’Autre Francophonie[1], Nouveaux visages de la francophonie en Europe[2], Francophonie et multiculturalisme dans les Balkans[3] et La Francophonie dans les Balkans. Les voix des femmes[4], mais aussi de nombreux colloques et articles traitant des phénomènes francophones dans les pays de l’Europe centrale et orientale.

C’est dans le prolongement de ces initiatives qui confèrent une nouvelle envergure aux études francophones européennes que se situe ce dossier spécial. Il reconnaît de ce fait la nécessité de mettre en avant la spécificité socio-historique et culturelle des porosités entre les deux Europe, de contextualiser autrement dit les manifestations francophones générées par la rencontre entre ces deux entités qui sont la culture de l’Europe occidentale et celle de l’« autre Europe ».  Cette exigence impose ainsi à prendre en compte un certain nombre de mutations qui, après l’effondrement du « Rideau de fer », semblent redessiner la carte de la francophonie européenne. Car, effectivement, durant le quart de siècle qui succède à la chute des régimes communistes en Europe Centrale et de l’Est, se met en place sur le continent une nouvelle réalité politique, sociale, institutionnelle et culturelle.

            Deux attitudes semblent modeler la posture transculturelle dans l’espace de la francophonie européenne post-soviétique. D’une part, l’expérience du sujet migrant qui rejoint, après 1989, un pays occidental, afin de s’épargner, dans le sien, les désarrois inhérentes à la transition du totalitarisme vers la démocratie et le libéralisme économique, ne se définit pas dans la résistance à l’égard de la culture et de la langue d’accueil. Le discours revendicateur n’est pas le lot de ce groupe culturel francophone. D’autre part, en vertu de son européanité, cette nouvelle communauté francophone ne connait généralement le déracinement que sous ses formes bénignes. Les frontières nationales, dans sa représentation de l’Europe comme référent pluriel, s’identifient plutôt à des portes battantes qu’à des barrières. Certes, le souvenir du mur ayant séparé les deux Europe ne s’est pas résorbé, mais il reste latent, dépourvu d’ascendant significatif sur le présent. Aussi peut-on dire qu’à la différence de l’expérience de l’exil fondamentalement liée à la conscience aiguë de la désunion et à l’errance identitaire, la condition d’immigrant dans l’Europe post-soviétique et mondialiste s’ancre dans le sol du multiculturalisme. Ni manifestement jubilatoire ni affligée, cette posture juxtapose et embrasse des identités culturelles distinctes au lieu d’accuser la dispersion et la perte de l’unité de soi comme cela se produit chez l’exilé. On peut ainsi avancer que le phénomène migratoire déclenché après 1989 en tant que vecteur de la francophonie européenne suppose une relation décomplexée avec les facteurs – linguistiques, historiques, identitaires – qui entrent en jeu dans ce processus.

Compte tenu de cette particularité de la francophonie européenne post-soviétique comme réalité consubstantielle à l’agencement multiculturel de l’Europe d’aujourd’hui, il n’est que naturel de s’interroger sur les discours et les représentations auxquels elle donne lieu. Quels thèmes, perceptions, attitudes, constructions imaginaires et mouvements affectifs entourent ce phénomène, et dans quelle mesure, par ailleurs, ils se reflètent dans la littérature et le cinéma contemporains ?

Parmi les écrivains dont l’œuvre est envisageable du point de vue de cette problématique, on peut mentionner Dimitri Bortnikov, Velibor Čolić, Luba Jurgenson, Liliana Lazar, Louja Lazarova, Maria Maïlat, Andreï Makine, Bessa Myftiu, Marius, Daniel Popescu, Brina Svit, Dumitru Tsepeneag, etc.

Parmi les œuvres cinématographiques on peut penser, entre autres, aux quelques titres suivants : La Double vie de Véronique (1991) et Trois couleurs : blanc (1994) de Krzysztof Kieślowski, J’ai pas sommeil (1994) de Claire Denis, Code inconnu (2000) de Michael Haneke, Je vous trouve très beau (2005) d’Isabelle Mergault, Transylvania (2006) de Tony Gatlif, Le Silence de Lorna (2008) par les frères Dardenne, Le Concert (2009) de Radu Mihaileanu, Indigènes d’Eurasie (2010) de Šarūnas Bartas, Cherchez Hortense (2012) de Pascal Bonitzer, ou encore Marussia (2014) d’Eva Pervolovici.

Les propositions d’articles (250 mots environ) sont à envoyer à Iulian Toma (iulian_toma2003@yahoo.com) avant le 30 avril 2015. La publication du dossier est prévue pour le mois de décembre 2015.

 

[1] Joanna Nowicki et Catherine Mayaux (sous la direction de), L’Autre Francophonie, Paris, Honoré Champion, 2012.

[2] Svetla Moussakova (sous la direction de), numéro spécial de la revue Les Cahiers européens de la Sorbonne Nouvelle, Louvain-La-Neuve, Academia-Bruylant, 2008.

[3] Efstratia Oktapoda-Lu (sous la direction de), Francophonie et multiculturalisme dans les Balkans, Paris, Publisud, 2006.

[4] Efstratia Oktapoda-Lu et Vassiliki Lalagianni (sous la direction de), La Francophonie dans les Balkans. Les voix des femmes, Paris, Publisud, 2005.