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Virginia Woolf à l’ère de l’écoute / Virginia Woolf and The Age of Listening (Paris)

Virginia Woolf à l’ère de l’écoute / Virginia Woolf and The Age of Listening (Paris)

Publié le par Vincent Ferré (Source : Anne-Marie Di Biasio)

Journée doctorale de la Société d’Études Woolfiennes – Paris 3, le 22 novembre 2019

Virginia Woolf à l’ère de l’écoute / Virginia Woolf and The Age of Listening

 

Nous proposons de nous intéresser à la question de l’écoute dans l’œuvre de Virginia Woolf dans le contexte du zeitgeist ou de l’esprit de son époque, que l’on pourrait considérer comme une ère caractérisée par deux modes d’écoute forts différents, mais contemporains, qui naissent au tournant du siècle et marquent la Modernité : l’invention de la psychanalyse et de la radio.

Lorsqu’à partir de 1895 Freud abandonna l’hypnose pour la guérison par la parole, il inaugura une ère de l’écoute, mettant l’accent sur la passivité active de l’analyste et ainsi sur son écoute comme surface de lecture et de reconstruction. La même année Guglielmo Marconi expérimenta les premières liaisons hertziennes et franchit une étape significative de la télégraphie sans fil. En 1897, les programmes quotidiens de radiodiffusion débutent en Angleterre, puis, au lendemain de la Première Guerre mondiale, en novembre 1922, la BBC est fondée et lance ses premières émissions radiophoniques. Or, dans un texte de 1912 Freud utilisera le modèle du récepteur des ondes sonores pour parler de l’inconscient de l’analyste comme « un organe récepteur à l’endroit de l’inconscient du patient qui émerge » [1].

Comment lire Virginia Woolf à l’aune de cette double réinvention de l’écoute au cœur de la Modernité ? Il s’agit d’une double interrogation qui nous permettra de prêter attention à l’interface entre l’espace intime et l’espace public de l’écoute dans l’écriture woolfienne.

On pourra réfléchir au lien entre l’oreille qu’elle tend vers l’à peine audible ou prononcé :

to catch those unrecorded gestures, those unsaid or half-said words, which form themselves, no more palpably than the shadows of moths on the ceiling, when women are alone [2].

et l’importance qu’accorde Freud à la saisie des significations voilées ou disparues -  ces ondes sonores reçues et transmuées à leur tour en ondes sonores.

« Her genius was intensely feminine […] as if on the alert for some distant sound »[3].

Cette citation pourrait mener à une réflexion sur la manière dont Woolf féminise l’activité d’écoute - lorsqu’en creusant les édifices monumentaux du savoir masculin elle semble y sculpter un espace pour entendre les échos plus archaïques d’un ordre immémorial, comme celui au féminin qu’incarne Antigone telle qu’elle l’évoque dans Three Guineas[4]. On pourrait s’interroger sur la place de l’écoute dans sa poétique moderniste, dans la mesure où le monologue intérieur épouse les contours d’une pensée non dite, mais présente sur tous les plans signifiants du texte et qui suit son cours dans les blancs, les brisures, les silences. Au niveau de la signifiance, entre en jeu la question de l’image acoustique et de la matière sonore du mot, qui pourrait mener à analyser cette sonorité et son mouvement comme porteurs de réminiscence (Smith-Di Biasio 2010)[5], ainsi qu’à considérer les versants historiographiques ou mémoriels du texte woolfien comme une écoute du passé. Il serait intéressant de réfléchir à ce titre au lien entre le feuilletage temporel de son écriture et les couches sonores propres à l’imbrication intertextuelle.

Aussi, dans ses nombreuses réflexions sur l’activité de la lecture dans ses essais, quelle place Virginia Woolf accorde-t-elle à l’écoute du langage ?

But what was lacking, what was different, I asked myself, listening to the talk?  […]  Everything was different […] (and now) Nothing was changed; nothing was different save only-here I listened with all my ears not entirely to what was being said, but to the murmur or current behind it. Yes, that was it, the change was there. […]

Those words - There has fallen a splendid tear/ From the passion-flower at the gate/ sang in my blood as I stepped quickly along towards Headingly[6].

Au prisme de sa sensibilité au chant du passé, on pourrait relire la voix immémoriale et anonyme de l’essai « Anon », celle d’une oralité/antériorité avant la lettre, et penser aussi à la manière dont, dans le passé littéraire de l’Angleterre tel qu’elle l’imagine dans cet essai, la parole du poète/dramaturge élisabéthain devant son auditoire prend forme dans le silence de leur écoute. À ce titre pensons aux mots de la tragédie grecque tels qu’ils nous parviennent dans son essai On Not Knowing Greek, comme depuis la nuit des temps, sans convoquer un auteur ou un personnage particulier. Cela peut nous conduire à réfléchir à la manière dont, dans la pensée de Woolf, l’œuvre prend forme à une interface entre récitation et écoute, analogue à celle entre l’écriture et une lecture/écoute qui cède à l’appel du texte :

For we are apt to forget […] how great a power the body of a literature possesses to impose itself […] how it will not suffer itself to be read passively, but takes us and reads us […] making us […] yield our ground [7].

Pour nous tourner spécifiquement vers Virginia Woolf et la radiophonie, rappelons l’incursion des ondes sonores dans son essai « The Leaning Tower » où une brèche entre les sonorités pré et post-guerre est signifiée par les syllabes étrangères de la voix de Hitler :

Scott never saw the sailors drowning at Trafalgar; Jane Austen never heard the cannon roar at Waterloo. They never heard […] neither of them heard Napoleon’s voice as we hear Hitler’s voice as we sit at home of an evening [8]. (Woolf, 1948, « The Leaning Tower »)

On pourrait à ce titre considérer l’assourdissement du bruit fasciste – « such that we can hardly hear ourselves speak […] As we listen to the voices we seem to hear an infant crying in the night »[9] – et réflechir à la manière dont ce vacarme pénètre et entrave le bruissement de la langue, dans Between the Acts, dans les journaux :

the war – our waiting while the knives sharpen for the operation – has taken away the outer wall of security. No echo comes back. I have no surroundings. […] There’s no standard to write for: no public to echo back [10].

Puis, que savons-nous de l’activité d’écoute radiophonique de Virginia Woolf, des émissions musicales ou des pièces radiophoniques qui suscitaient son intérêt et de leur incidence sur son écriture  (Beer, 1996) ?[11] Rappelons son injonction aux lecteurs de Three Guineas – « turn on the wireless and rake down music from the air »[12] – et réfléchissons à l’imagination radiophonique de Woolf, à l’empreinte de l’écoute des ondes sonores – nationales ou trans-nationales – dans son écriture et spécifiquement pendant les années 30 (Caughie 2010)[13]. Dans ce contexte on pourrait considérer la manière dont Woolf pense l’art de l’écoute sur le mode d’un combat pacifiste (Davison 2019)[14], tel que dans « Thoughts on Peace in an Air Raid » :

Since the room is dark [the mind] can create only from memory. It reaches out to the memory of other augusts – in Bayreuth, listening to Wagner; in Rome, walking over the Campagna; in London. Friends’ voices come back. Scraps of poetry return. Each of those thoughts, even in memory, was far more positive, reviving, healing and creative than the dull dread made of fear and hate[15].

Ou dans Three Guineas, où les sons d’une Angleterre immémoriale produisent une émotion musicale qui serait le fondement d’une paix comme d’une liberté transnationale :

And if, when reason has said its say, still some obstinate emotion remains, some love of England dropped into a child’s ears by the cawing of rooks in an elm tree, by the splash of waves on a beach, or by English voices murmuring nursery rhymes, this drop of pure, if irrational, emotion she will make serve her to give to England first what she desires of peace and freedom for the whole world[16].

Finalement, que font les mots de Virginia Woolf, quelle nouvelle sonorité, quelle musicalité appellent-ils, quelle amplification, fragmentation ou doublure du sens ?  La question pourrait être considérée sous l’angle philosophique apporté par Jean-Luc Nancy dans son ouvrage intitulé À l’Écoute :

Le sonore […] emporte la forme. Il ne la dissout pas, il l’élargit plutôt, il lui donne une ampleur, une épaisseur et une vibration ou une ondulation dont le dessin ne fait jamais qu’approcher [17].

Elle invite aussi à réfléchir aux adaptations musicales, sonores, et translatives de l’écriture woolfienne ?[18]

Autant d’approches que de modes d’écoute pour inspirer vos propositions d’intervention (200-300 mots) : à rédiger en français ou en anglais et adresser avec une courte notice bio/bibliographique indiquant votre sujet de thèse, à

Amdibiasio@neuf.fr et claire.davison@sorbonne-nouvelle.fr avant le 01 mai 2019.

 

[1] En 1912, dans ses « Recommandations », Freud parlera de l’écoute en utilisant la métaphore de l’organe récepteur d’ondes sonores : « L’analyste doit faire de son inconscient un organe récepteur à l’endroit de l’inconscient du patient qui émerge - de même que le récepteur transmue en ondes sonores les vibrations électriques induites par les ondes sonores, de même l’inconscient du médecin est capable de reconstruire l’inconscient du patient », La technique psychanalytique, « Conseils aux médecins », Paris : PUF, 1953, p.61-71, p.66.

[2] Virginia Woolf, A Room of One’s Own, Middlesex : Penguin, 1945, p.84.

[3] Christopher Isherwood, in Recollections of Virginia Woolf, Joan Russell Noble (ed.), Middlesex : Penguin 1972, p.214-216.

[4] Virginia Woolf, Three Guineas, New York: Harcourt Brace Jovanovich, 1966, p.141.

[5] Voir Anne-Marie Smith-Di Biasio, « Le tracé de la parole dans l’écrit, ‘cette mélodie presque inaudible, cette musique intermittente’», p.63-79, Virginia Woolf, la Hantise de l’écriture, Paris : Indigo & Côté-femmes, 2010.

[6] A Room of One’s Own, p.13-14.

[7] « Notes on an Elizabethan Play » in The Common Reader 1, 1925, Londres : Pelican, 1938, 57-66, p.57.

[8] Virginia Woolf, « The Leaning Tower » in The Moment and Other Essays, Harcourt Brace and Company, 1948, p.128-154.

[9] Three Guineas, p.141.

[10] The Diary of Virginia Woolf, Volume 5 1936-41 (le 27 juin,1940), p.299.

[11] Voir Gillian Beer, « WirelessPopular Physics Radio and Modernism », in Cultural Babbage ed. Spufford and Uglow, Faber: 1996, p. 150.

[12] Virginia Woolf, Three Guineas, ed. Jane Marcus, New York: Harcourt. p. 98.

[13] Voir P. Caughie, « Virginia Woolf, Radio, Gramophone, Broadcasting », in The Edinburgh Companion to Virginia Woolf and the Arts, ed. Maggie Humm, Edinburgh University Press, 2010, pp. 334-348.

[14] Voir Claire Davison, « European Peace in Pieces : Virginia Woolf and the Radiophonic Imagination » in Virginia Woolf, Peace and Europe in 2 volumes, Derek Ryan, Peter Adkins, et al.(ed.), Clemson University Press, 2019.

[15] « Thoughts on Peace in an Air Raid”, Essays of Virginia Woolf, vol. 6, London: Hogarth

 p.323.

[16] Virginia Woolf, Three Guineas, ed. Jane Marcus, New York: Harcourt, p. 129.

[17] Jean-Luc Nancy, À l’écoute, Paris : Galilée, 2002, p.14.

[18] The Waves, Max Richter, Wayne Mac Gregor, Woolf Works, 2017 ; J-R Lapaire To the Lightouse: a choreographic re-elaboration -  https://journals.openedition.org/miranda/10898, 2017 ; Performing Mrs Dallowayhttps://journals.openedition.org/miranda/14255, 2018.