Questions de société
Vingt-neuf personnalités lancent un appel pour

Vingt-neuf personnalités lancent un appel pour "refonder l'université" (LeMonde.fr | 14.05.09)

Publié le par Bérenger Boulay

Appel à “Refonder l'Université française”, dans le prolongementdirect du numéro spécial de la revue du MAUSS récemment publié (numéro33, Editions de la Découverte, 379 p.), intitulé « La crise del'Université. Mort ou résurrection ? » et plus particulièrement del'article rédigé par Alain Caillé et François Vatin (« Onzepropositions de réforme pour l'Université »).

Déjà repris par certains journaux (Le Monde,Médiapart) sur leurs sites respectifs, le « Manifeste pour Refonderl'Université française » peut désormais être signé à l'adresse suivante:

http://petitions.alter.eu.org/refonder

Vingt-neuf personnalités lancent un appel pour "refonder l'université" LEMONDE.FR | 14.05.09

(liste des premiers signataires au bas de cette page). 

http://www.lemonde.fr/societe/article/2009/05/14/vingt-neuf-personnalites-lancent-un-appel-pour-refonder-l-universite_1193150_3224.html

Vingt-neuf personnalités du mondeuniversitaire lancent un appel pour "refonder l'université". Lessignataires sont des noms prestigieux, issus de tous les horizonspolitiques et de toutes les disciplines, allant du philosophe Marcel Gauchet au juriste Guy Carcassonne, en passant par le mathématicien Jean-Pierre Demailly, le professeur de sociologie François Dubet ou le philosophe Bruno Karsenty. Une partie d'entre eux avait déjà signé un texte dans Le Monde en janvier ("Université pas de normalisation par le bas").

Alors que les positions de ces personnalités ont divergé sur la loisur l'autonomie des universités, dite LRU, toutes souhaitent mobiliserd'une même voix la communauté universitaire et scientifique autour d'untexte qui ambitionne de refonder l'université.

Un signal fort du fait de la personnalité des signataires, maisaussi par sa tonalité résolument réformatrice. Les quatre pages partentdu constat du déclin de notre université et de l'urgence qu'il y a àproposer une véritable refondation, émergeant du monde universitairelui-même. Une solution qui passe bel et bien par l'autonomie desuniversités.

Au rang des propositions, les signataires veulent en finir avec "la concurrence déloyale" quesubit cette institution, délaissée par les meilleurs bacheliers auprofit des classes préparatoires aux grandes écoles et les autresclasses sélectives de l'enseignement supérieur. Ils proposent de réunirces formations au sein d'"un grand service public propédeutique".

S'ils ne remettent pas en cause le droit de tous les bacheliers às'inscrire à l'université, ils proposent un parcours en quatre annéespour les plus fragiles et un fléchage plus efficace permettant d'enfinir avec le taux d'échec dans les premiers années d'enseignementsupérieur.

Le texte ouvre aussi le débat sur "un capital minimum de départ attribué à chaque étudiant"afin d'enrayer la paupérisation et la dégradation de leur situationmatérielle et propose une sélection à l'entrée en première année demaster, comme chez nos voisins.


Réfonder l'université française

Il est désormais évident que l'Université française n'est plusseulement en crise. Elle est, pour nombre de ses composantes, à peuprès à l'agonie.

Qu'on comprenne bien ce que cela signifie. L'Université n'estpas tout l'enseignement supérieur français. Les classes préparatoires,celles de BTS, les IUT (lesquels font formellement partie desuniversités), et l'ensemble des petites, moyennes ou grandes écoles,publiques ou privées recrutent largement. Mais c'est au détriment desformations universitaires, que les étudiants désertent de plus en plus,et cela tout particulièrement pour les études scientifiques.

Le secteur non universitaire de l'enseignement supérieur offredes formations techniques et professionnelles, parfois de qualité, maisparfois aussi très médiocres. Même si la situation évolue depuisquelques années pour sa fraction supérieure (les "grandesécoles"), ce secteur n'a pas vocation à développer la recherche et àdonner des outils de culture et de pensée, et guère les moyens humainset scientifiques de le faire.

C'est dans les universités que l'on trouve la grande majoritédes savants, des chercheurs et des professionnels de la pensée.Pourtant, alors qu'on évoque l'émergence d'une "société de laconnaissance", nos universités ont de moins en moins d'étudiants etceux-ci sont rarement les meilleurs. Une telle situation est absurde.Dans aucun pays au monde l'Université n'est ainsi le maillon faible del'enseignement supérieur.

Le processus engagé depuis déjà plusieurs décennies ne conduitpas à la réforme de l'Université française, mais à son contournement.Il ne s'agit pas en disant cela de dénoncer un quelconque complot, maisde prendre acte de la dynamique d'un système à laquelle chacuncontribue par ses "petites décisions" ou par sa politique :les étudiants, leurs familles, les lycées, publics et privés, lesentrepreneurs d'éducation, les collectivités locales et, in fine,l'État lui-même.

Le déclin de l'Université, matériel, financier et moral, estdésormais bien trop avancé pour qu'on puisse se borner à repousser lesréformes proposées. Si des solutions susceptibles de réunir un trèslarge consensus parmi les universitaires et les chercheurs mais aussiau sein de l'ensemble de la société française ne sont pas trèsrapidement formulées, la catastrophe culturelle et scientifique seraconsommée.

Or de qui de telles propositions pourraient-elles procéder sinondes universitaires eux-mêmes ? C'est dans cet esprit que lessignataires du présent manifeste, très divers dans leurs choixpolitiques ou idéologiques, y compris dans leur appréciation de la loiLRU, ont tenté d'identifier les points sur lesquels un très largeaccord pouvait réunir tous les universitaires responsables etconscients des enjeux. L'enjeu n'est rien moins que de refonderl'Université française en la replaçant au centre de l'enseignementsupérieur.

-1. Place de l'Université.

Une des principales raisons du marasme de l'Université françaiseest qu'elle se trouve en situation de concurrence déloyale avec tout lereste du système d'enseignement supérieur (classes préparatoires et deBTS, IUT, écoles de tous types et de tous niveaux), toutes institutionsen général mieux dotées per capita et davantage maîtresses durecrutement de leur public.

On touche là à un des non-dits récurrents de toutes les réformesqui se sont succédé en France. Cette situation est d'autant plusdélétère que la gestion de l'enseignement supérieur dans son ensembledépend d'autorités ministérielles et administratives distinctes(l'enseignement secondaire pour les classes préparatoires et les STS,les ministères sectoriels pour les écoles professionnelles diverses),voire échappe à tout contrôle politique. Imagine-t-on un ministère dela Santé qui n'ait que la tutelle des hôpitaux publics !

La condition première d'une refondation de l'Université est doncque le ministère de l'Enseignement supérieur exerce une responsabilitéeffective sur l'ensemble de l'enseignement supérieur, public ou privé,généraliste ou professionnel. C'est à cette condition impérative qu'ildeviendra possible d'établir une véritable politique de l'enseignementsupérieur en France et de définir la place qui revient à l'Universitédans l'ensemble de l'enseignement supérieur.

Plus spécifiquement, un tel ministère aura pour mission premièrede créer un grand service public propédeutique de premier cycleréunissant (ce qui ne veut pas dire normalisant dans un cycle uniforme)IUT, BTS, classes préparatoires et cursus universitaires de licence.

Il lui faudra également procéder à une sorte d'hybridation entrela logique pédagogique des classes supérieures de l'enseignementsecondaire et des écoles professionnelles d'une part, et celle desuniversités d'autre part ; c'est-à-dire introduire davantage l'espritde recherche dans les premières et, symétriquement, renforcerl'encadrement pédagogique dans les secondes.

- 2. Missions de l'Université.

La mission première de l'Université est de produire et detransmettre des savoirs à la fois légitimes et innovants. Assurément,d'autres missions lui incombent également. Elle ne peut notamment sedésintéresser de l'avenir professionnel des étudiants qu'elle forme.Elle est par ailleurs responsable de la qualité de la formationinitiale et continue qu'elle délivre et de la transmission des moyensintellectuels, scientifiques et culturels à-même d'assurer unecitoyenneté démocratique éclairée.

Deux principes doivent commander l'articulation entre cesdifférentes missions : d'une part, le souci primordial de la qualité etde la fiabilité des connaissances produites et transmises; d'autrepart, la distinction nécessaire entre missions des universités etmissions des universitaires, soit entre ce qui incombe àl'établissement considéré globalement et ce qui incombeindividuellement aux enseignants-chercheurs et chercheurs.

Parce qu'une université doit être administrée, pédagogiquementet scientifiquement, et se préoccuper de la destinée professionnelle deses étudiants, il est nécessaire qu'elle dispose en quantité et enqualité suffisantes de personnels administratifs et techniquesspécialisés dans ces tâches.

Il incombe en revanche à des universitaires volontaires d'enassurer le pilotage. D'importantes décharges de service d'enseignementdoivent alors leur être octroyées. Quant au service d'enseignementlui-même, sauf heures complémentaires librement choisies, il ne sauraitexcéder les normes précédemment en vigueur.

De même, le régime d'années ou semestres sabbatiques derecherche, qui est la norme dans toutes les universités du monde, doitêtre à la hauteur de la vocation intellectuelle de l'Université, et nonplus géré de façon malthusienne.

- 3. Cursus.

Il convient de distinguer clairement l'accès à l'enseignement supérieur pour les bacheliers et l'accès aux masters.

En ce qui concerne l'entrée en licence, il convient de rappelerque le principe du libre accès de tout bachelier à l'enseignementsupérieur est, en France, un des symboles mêmes de la démocratie, lepilier d'un droit à la formation pour tous. Il n'est ni possible nisouhaitable de revenir sur ce principe.

Mais il n'en résulte pas, dans l'intérêt même des étudiants, quen'importe quel baccalauréat puisse donner accès de plein droit àn'importe quelle filière universitaire.

Pour pouvoir accueillir à l'Université les divers publics issusdes baccalauréats, il faut y créer aussi des parcours différenciés.Seule une modulation des formations pourra permettre de concilier lesdeux versants de l'idéal universitaire démocratique : l'excellencescientifique, raison d'être de l'Université, et le droit à la formationpour tous, qui la fonde en tant que service public.

Il convient donc à la fois de permettre une remise à niveau deceux qui ne peuvent accéder immédiatement aux exigencesuniversitaires – par exemple en créant des cursus de licence en 4ans –, et de renforcer la formation pour d'autres publics, par exempleen créant des licences bi-disciplinaires qui incarnent une destraductions concrètes possibles de l'idéal d'interdisciplinarité, sisouvent proclamé et si rarement respecté.

Il convient du même coup que l'Université puisse sélectionnerses futurs étudiants selon des modalités diverses, permettantd'identifier les perspectives d'orientation des étudiants et d'yassocier un cursus adapté.

Une telle modification des règles du jeu universitaire ne peuttoutefois être introduite sans qu'elle s'accompagne d'une améliorationsubstantielle de la condition étudiante en termes de financement et deconditions de travail. Le refus actuel de regarder en face la variétédes publics étudiants conduit en effet à leur paupérisation et à ladégradation de leur situation matérielle et intellectuelle au sein desUniversités. L'idée d'un capital minimum de départ attribué à chaqueétudiant mérite à cet égard d'être envisagée.

En ce qui concerne les études de master, il est, de touteévidence, indispensable d'instaurer une sélection à l'entrée enpremière année et non en deuxième année, comme c'est le casactuellement en application de la réforme des cursus de 2002 qui a crééle grade de master (système "LMD").

La rupture ainsi introduite au sein du cycle d'études de mastera d'emblée fragilisé ces nouveaux diplômes, en comparaison des anciensDEA et DESS qu'ils remplaçaient. Il faut également supprimer ladistinction entre masters professionnels et masters recherche quiconduit paradoxalement à drainer vers les cursus professionnels lesmeilleurs étudiants, ceux qui seraient précisément en mesure de menerdes études doctorales.

4. Gouvernance.

Tout le monde s'accorde sur la nécessaireautonomie des universités. Mais ce  principe peut être interprété demanières diamétralement opposées. Sur ce point la discussion doit êtrelargement ouverte, mais obéir à un double souci.

D'une part, il convient de ne pas confondre autonomie de gestion(principalement locale) et autonomie scientifique (indissociable degaranties statutaires nationales).

D'autre part, pour assurer la vitalité démocratique etscientifique des collectifs d'enseignants-chercheurs, qui forment enpropre l'Université, il est indispensable de concevoir des montagesinstitutionnels qui assurent au corps universitaire de réelscontre-pouvoirs face aux présidents d'Université et aux conseilsd'administration, ce qui suppose des aménagements significatif de laloi LRU.

Il faut, en somme, redonner au principe de la collégialitéuniversitaire la place déterminante qui lui revient et qui caractérisel'institution universitaire dans toutes les sociétés démocratiques. Lerenouveau de ce principe de collégialité doit aller de pair avec uneréforme du recrutement des universitaires qui permette d'échapper auclientélisme et au localisme.

Par ailleurs il est clair que l'autonomie ne peut avoir de sensque pour des universités qui voient leurs ressources augmenter et quin'héritent pas seulement de dettes. En ce qui concerne la recherche,cela signifie que les ressources de financement proposées sur appelsd'offre par les agences ne soient pas prélevées sur les massesbudgétaires antérieurement dédiées aux subventions de financement deslaboratoires, mais viennent s'y ajouter.

De manière plus générale, en matière de recherche, il convientde mettre un terme à la concurrence généralisée entre équipes, induitepar la généralisation du financement contractuel, lequel engendresouvent un véritable gaspillage des ressources, en garantissant auxlaboratoires un certain volume de soutien financier inconditionnelaccordé a priori et évalué a posteriori, notablement plus importantqu'il ne l'est aujourd'hui.

Bien d'autres points mériteraient assurément d'être précisés.Mais les principes énoncés ci-dessus suffisent à dessiner les contoursd'une Université digne de ce nom. Nous appelons donc tous ceux de noscollègues – et nous espérons qu'ils représentent la très grandemajorité de la communauté universitaire et scientifique – à nousrejoindre en signant ce Manifeste.Celui-ci pourrait servir de point de départ à une véritablenégociation, et non à des simulacres de concertation, et être à la based'une auto-organisation d'États généraux de l'Université.

Premiers signataires :

Olivier Beaud, professeur de droit public à Paris II

Laurent Bouvet, professeur de science politique à l'université de Nice Sophia-Antipolis

François Bouvier, président de l'association des délégués régionaux à la recherche et à la technologie

Alain Caillé, professeur de sociologie à Paris Ouest-Nanterre- La Défense

Guy Carcassonne, professeur de droit public à Paris Ouest -La Défense

Jean-François Chanet, professeur d'Histoire, Lille III

Philippe Chanial, maître de conférences en sociologie à Paris IX-Dauphine

Franck Cochoy, professeur de sociologie à Toulouse II

Jean-Pierre Demailly, Mathématicien, Professeur à l'Université de Grenoble I, Académie des Sciences

Vincent Descombes, philosophe, directeur d'études à l'EHESS Olivier Duhamel, professeur de droit public à l'IEP

François Dubet, professeur de sociologie à Bordeaux II et directeur d'études à l'EHESS

Pierre Encrenaz, professeur de physique a l UPMC et à l'Observatoire de Paris, membre de l'Académie des Sciences .

Olivier Favereau, économiste, professeur à Paris Ouest-Nanterre-La Défense

Marcel Gauchet, philosophe, directeur d'études à l'EHESS

Bruno Karsenti, philosophe, directeur d'études à l'EHESS

Philippe de Lara, maître de conférences en science politique à Paris II

Franck Lessay, Professeur à Paris III (Institut du Monde Anglophone)

Yves Lichtenberger, professeur de sociologie à Paris Est-Marne-la-Vallée

Bernadette Madeuf, économiste, présidente de Paris Ouest-Nanterre-La Défense

Dominique Méda, sociologue, directrice de recherches au Centre de Recherches pour l'Emploi

Pierre Musso, Professeur de sciences de l'information et de la communication à l'Université Rennes I

Catherine Paradeise, professeur de sociologie à Paris Est- Marne la Vallée

Philippe Raynaud, philosophe, professeur de sciences politiques à Paris IV

Philippe Rollet, président de Lille I

Pierre Schapira, professeur de mathématiques à Paris VI, Université Pierre et Marie Curie

Frédéric Sudre, professeur de droit public à Montpellier François Vatin, professeur de sociologie à Paris Ouest-Nanterre-La Défense

Michèle Weindenfeld, maître de conférences de mathématiques, ancienne présidente de l'université d'Amiens