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Variations françaises sur les Mille et une nuits : quelles versions pour quels effets?

Variations françaises sur les Mille et une nuits : quelles versions pour quels effets?

Publié le par Perrine Coudurier (Source : Ilaria Vitali)

Colloque International, Bologne

17-18-19 septembre 2014

Variations françaises sur les Mille et une nuits : quelles versions pour quels effets?

 

Université de Bologne, Dipartimento di Lingue, Letterature e Culture Moderne (LILEC)

Institut National des Langues et Civilisations Orientales, Centre de Recherche Moyen-Orient et Méditerranée (INALCO, CERMOM, Paris)

Langues de travail: français, italien, anglais

 

Argument :

Les Mille et une nuits sont présentes partout dans le monde, dans diverses langues sous diverses formes. Cependant, même si l’œuvre appartient aujourd’hui au patrimoine universel, il existe deux espaces culturels ou linguistiques qui entretiennent avec les Nuits, chacun à sa manière, un rapport particulier: le monde arabe; le domaine français.

Le rapport au monde arabe s’impose en effet par la profusion des textes manuscrits, sources premières du livre, et s’inscrit dans un mouvement littéraire assez original, fortement créatif, mais tout à fait compréhensible dans le contexte qui était le sien. Du côté français, la relation relève, elle, d’un contact vivifiant: l’introduction à partir de 1704 d’une œuvre nouvelle, d’un genre nouveau, en dépit du terme «conte» qui la qualifie, qui ne cessera dès lors de se transformer, de susciter en langue française ou à partir du français une production littéraire et artistique tous azimuts. C’est précisément cet aspect, installé dans la longue durée, du début du XVIIIe jusqu’à aujourd’hui, que l’on va développer comme objet du présent colloque.

La première traduction occidentale du recueil a eu lieu en effet en France, par Antoine Galland, de 1704 à 1717, à partir principalement d’un manuscrit syrien du XVe siècle. On doit aussi à Galland l’intégration dans le recueil de plusieurs contes nouveaux rapportés par le syrien Hanna Diyâb, dont Aladdin et Ali Baba. Plus important encore: la traduction française de Galland connaît un succès extraordinaire, dès le premier volume, et déclenche un véritable engouement qui a eu pour effet de distendre et d’élargir le corpus même des Nuits: Cazotte propose une Suite des Mille et une nuits en 1788 (éd. R. Robert, Champion 2012); Caussin de Perceval d’autres Suites aux Mille et une nuits en 1806; Loiseleur Deslongchamps réédite la traduction de Galland en 1838, l’augmentant d’une matière inédite, pour en faire un autre succès européen; Gautier, écrivain,  propose en 1842 une Mille et deuxième nuit. Et indépendamment de Galland, s’appuyant sur une nouvelle famille de manuscrits, d’autres traductions françaises vont paraître, comme celle perdue de Joseph de Hammer, écrite en français et traduite en allemand, puis retraduite de l’allemand vers le français par Trébutien en 1828.

À la fin du XIXe siècle, le «flambeau» français des Nuits passe au docteur Mardrus, qui élargit encore l’univers des Nuits par des ajouts inattendus, puisant dans des recueils français de contes arabes (Artin Pacha, Spitta-Bey) et hindoustanis (Garcin de Tassy). Sa version fin-de-siècle est encore un succès et sa richesse visuelle invite à l’illustration. Rééditées chez Piazza entre 1926 et 1932, Les Mille nuits et une nuit de Mardrus seront illustrées par Léon Carré et ornementées par Racim Mohamed. Mardrus présentera lui-même le film d’animation de la cinéaste allemande Lotte Reiniger (Les Aventures du prince Achmed, 1926, Comédie des Champs-Elysées).

Deux autres traductions françaises paraissent au XXe siècle: celle de René Khawam (1965-1967), qui supprime le découpage en nuits, et celle d’Armel Guerne (1966-1967), qui s’inspire d’autres traductions, notamment celles de Burton et de Lane. La sixième et dernière traduction française du recueil est celle que Jamel Eddine Bencheikh et André Miquel publient entre 2005 et 2006 pour la Bibliothèque de la Pléiade: elle aussi enrichit encore le corpus des Nuits avec des récits qui appartiennent bien au substrat arabe mais inconnus jusque-là en langue française. Bref, les lecteurs des Nuits du XVIIIe siècle ont lu un autre recueil que ceux du XIXe siècle, qui ont eu accès aux «Suites»  et aux éditions augmentées et qui ont lu encore autre chose que ceux du XXe ou du XXIe siècle, qui auront eu accès, eux, en plus, à Mardrus ou à Bencheikh et Miquel: c’est, en soi, à propos du corpus français des Nuits, une problématique particulièrement intéressante. 

Parallèlement à l’évolution et à l’élargissement du corpus, les usages des Nuits se sont également diversifiés. Des auteurs de toutes origines ont choisi la langue française pour écrire des œuvres fortement liées aux Nuits, comme Beckford, qui publie en 1782 un roman gothique à thème orientaliste, Vathek, ou  Jan Potocki, qui se sert des Nuits comme modèle du Manuscrit trouvé à Saragosse. Au début du XIXe siècle, le roman-feuilleton fera des contes enchâssés et suspendus de Shéhérazade son modèle, repris entre autres par Balzac, qui déclare vouloir écrire, avec la Comédie humaine, « les Mille et une nuits de l’Occident ».

Aujourd’hui, une véritable cohorte de réécritures et d’adaptations de toutes sortes s’offre au lecteur/spectateur. Il y a une littérature immense sur le sujet. Non seulement des livres, mais aussi des pièces, des films, des comédies musicales, des ballets, des dessins et des dessins animés. Au XXe et au XXIe siècle, les Nuits inspirent des écrivains français comme Proust, Butor et, plus tard, de nombreux écrivains francophones (Assia Djebar, Abdelkébir Khatibi, Salim Bachi, Daniel Maximin, pour n’en citer que quelques-uns). Les Nuits séduisent aussi les arts de la scène, qu’il s’agisse des Ballets Russes (Michel Fokine, Shéhérazade, 1910), d’une comédie musicale comme celle que Félix Gray a récemment monté à Montréal (Shéhérazade, les Mille et une nuits, 2009) ou bien d’un spectacle comme le Ali Baba que Macha Makeïeff vient de créer pour le Théâtre de la Criée de Marseille (2013). L’imaginaire des Nuits  fascine également le septième art: l’un des pionniers du cinéma, Georges Méliès, en tire un «film à trucs» (Le palais des Mille et une nuits, 1905), et Pierre de Broca s’en inspire pour la pellicule Mille et une nuits (1990), où un djinn au chapeau melon prend contact avec Shéhérazade à travers un téléviseur. Du côté de l’image dessinée et de l’image animée, on citera le film d’animation de Jean Image (Aladin et la lampe merveilleuse, 1970), ou la bande dessinée de Mathieu Gabella (Les trois souhaits, 2010).

Il ne s’agit là que de quelques-unes des variations françaises sur les Nuits que ce colloque propose d’explorer, pour montrer les évolutions de ce recueil à la fois dans son contenu et ses extensions et influences, tout en cherchant à faire ressortir une épaisseur intertextuelle qui dépasse le champ littéraire, et une question de fond: quelles versions pour quels effets?

Les propositions de communication concernant des ouvrages ou des aspects encore peu étudiés seront particulièrement appréciées.

Les propositions (titre + résumé de 250 mots maximum + notice bio-bibliographique) sont à envoyer avant le 30/09/2013 à Aboubakr Chraïbi (aboubakr.chraibi@inalco.fr) et Ilaria Vitali (ilaria.vitali@unibo.it).