Questions de société

"Valérie Pécresse obtient sa réforme du CNRS", par Jade Lindgaard (Mediapart, 01/07/08)

Publié le par Bérenger Boulay

Sur le site Mediapart (01/07/08)

"Valérie Pécresse obtient sa réforme du CNRS", par Jade Lindgaard.

[texte téléchargeable au format pdf en bas de cette page] 

Après quelque six mois de controverses, le conseil d'administra-
tion du CNRS a adopté mardi 1er juillet le plan stratégique «Ho-
rizon 2020 » qui transforme l'organisation de l'établissement :
désormais, le CNRS sera constitué d'instituts et non plus de dé-
partements.
Mais c'est une version édulcorée de la réforme voulue par la mi-
nistre de la recherche et de l'enseignement supérieur, Valérie Pé-
cresse, que les membres du CA ont voté à une forte majorité (14
voix pour, 6 contre). Contrairement à ce que proposaient les pre-
mières moutures du nouveau schéma d'organisation ? notamment
le précédent plan stratégique daté du 13 juin (ici) ?, aucune disci-
pline n'est exclue du CNRS, pas même les sciences de la vie ni
l'informatique un temps menacés, et elles doivent être traitées à
part égale.
Surtout, les instituts n'auront pas le statut d' «instituts nationaux
» : leur direction sera nommée par le CNRS, leur budget décidé
par le CNRS. Et leurs conseils scientifiques comprendront pour
partie des élus. Ces instituts ne seront donc pas autonomes, et res-
tent bien dans le giron de l'organisme.
Est-ce un recul du gouvernement ou la défaite de la communauté
scientifique très mobilisée ces dernières semaines contre le risque
de démantèlement du CNRS ? Le nouveau plan stratégique est di-
versement accueilli par syndicats et associations de chercheurs.
«C'est l'un des premiers reculs notables du gouvernement », se
réjouit Patrick Monfort de Sncs-Fsu, qui a voté contre le texte.
Pour Pierre Girard de Sgen-CFDT, l'autre syndicat majoritaire
chez les chercheurs, qui a aussi voté contre : «Il y a une forme
de recul du gouvernement, mais elle est en partie symbolique :
les instituts sont moins autonomes vis-à-vis du CNRS que ne le
souhaitait le ministère à l'origine, et la mainmise du gouverne-
ment sur la recherche est amoindrie. Mais l'Etat pourra charger
les instituts de missions nationales. Et la question cruciale des
moyens reste irrésolue. »
Quant à Sauvons la recherche (SLR), cheville ouvrière du blocage
du CA du CNRS le 19 juin, son président Bertrand Monthubert
salue «un recul car on a bloqué le schéma qui visait à éclater le
CNRS en instituts autonomes, mais c'est une étape dans un com-
bat qui a besoin d'être amplifié ».
“Inadmissible de ne pas répondre aux demandes matérielles”
Ce qui les préoccupe, c'est que derrière le plan stratégique du
CNRS, se profile le non moins chahuté contrat d'objectifs que le
CNRS doit adopter avant la fin de l'année. Ce document sera dé-
cisif pour l'avenir de l'organisme car il doit définir le contour et le
fonctionnement exacts des instituts, et surtout, établir les crédits
budgétaires et le nombre de postes que l'Etat accordera à l'orga-
nisme pour les trois ans à venir. Or, constate Daniel Steinmetz
de SNTRS-CGT, «sur les budgets, les postes et le transfert d'une
partie des crédits de l'ANR aux laboratoires, nous sommes en si-
tuation de blocage avec le ministère. De ce point de vue, le vote du
CA du CNRS est un recul très partiel du gouvernement ». Même
analyse pour Bertrand Monthubert de SLR : «Il n'y a aucun dé-
bat sur l'emploi scientifique, le montant des crédits de base et le
nombre d'emplois statutaire. Or ce sont des points sur lesquels
on n'est sûr qu'il n'y a pas de recul du gouvernement ! »
Après leur rencontre avec Valérie Pécresse le 26 juin dernier, syn-
dicats et associations avaient ainsi rapporté dans un communi-
qué commun leur échange avec la ministre sur leur demande de
moyens : «Question : y aura-t-il un plan pluriannuel pour l'em-
ploi statutaire ? Réponse : non. Question : Vous engagez-vous
alors à ce que tous les départs en retraite soient remplacés ? Ré-
ponse : Non ».
Autre problème : le devenir des unités mixtes de recherche la-
bellisées CNRS qui n'emploient que très peu de personnel. La
direction du CNRS estime à environ 300 le nombre de labora-
toires n'employant qu'une ou deux personnes, dont un certain
nombre pourrait disparaître au profit d'un système plus centra-
lisé. Pour Jean-Louis Fournel de Sauvons l'université (SLU), «il
est inadmissible que nous n'ayons aucune réponse sur toutes nos
demandes matérielles ». Une manifestation s'est tenue aux portes
du CA mardi matin, dont une délégation a été reçue par la direc-
tion de l'organisme.
“Je recule mais j'avance un peu quand même”
Dans ces conditions, comment Valérie Pécresse est-elle parvenue
à éteindre l'incendie chez les chercheurs, au point qu'une ving-
taine de personnes seulement se sont présentées mardi matin pour
bloquer le CA du CNRS contre près d'un millier le 19 juin ? En
imposant un calendrier infernal et en prenant par surprise la com-
munauté scientifique. Jeudi 26 juin, elle reçoit neuf syndicats de
chercheurs, Sauvons la recherche et Sauvons l'université.
Surprise : elle revient sur ses déclarations précédentes et promet
aux délégations l'égalité de traitement entre toutes les disciplines,
la maîtrise par la direction du CNRS de la nomination de la di-
rection des instituts et de leurs budgets. «Cette déclaration de
jeudi était une bombe dans l'unité syndicale », analyse Jean-Louis
Fournel de SLU : «Car il était écrit que cela nous diviserait entre
ceux pour qui cela serait un recul, et ceux, minoritaires, pour qui
ce ne serait pas suffisant. Du coup on s'est fait avoir sur le calen-
drier : comme elle avait cédé sur deux points de principe, on ne
pouvait plus appeler au blocage. Mais ça a créé des tensions avec
la base. Elle joue de la division comme elle l'a fait pour la loi sur
l'autonomie des universités, en se gagnant l'Unef et le Sgen, mais
en étouffant Snesup. »

Résultat, vendredi soir, la convocation pour le CA de mardi matin
tombe par surprise, à la dernière minute. «J'ai reçu ma convoca-
tion vendredi à 19h32 ! » raconte Daniel Steinmetz de SNTRS-
CGT, «et le texte du nouveau plan stratégique dimanche à 16h !
Ça s'est passé trop vite. Nous n'avons pas eu le temps d'une déci-
sion constructive. » Dimanche à 18h, une intersyndicale de cher-
cheurs est convoquée en catastrophe. Jean Louis Fournel de SLU
raconte même : «Quand j'ai pris le métro, j'étais pour le blocage.
Je n'avais pas encore lu le texte. A mon arrivée, j'avais changé
de position .»
Catherine Bréchignac, la présidente du CNRS, reçoit de son côté
les syndicats et associations samedi 28 juin. Mardi matin, les ad-
ministrateurs arrivent en avance. Le CA est mené tambour battant.
Le vote acquis.
Pour Daniel Steinmetz, la méthode Pécresse «je recule un peu
mais j'avance quand même » est «très habile mais pas très cor-
recte. C'est une volonté de piloter par en haut sans jamais le
moindre débat. Avant la réunion de jeudi, la ministre nous avait
reçus en mars mais c'était la première fois depuis des mois ».
Valérie Pécresse, grande réformatrice de la recherche hexago-
nale ? «Elle bénéficie du consensus des élites qui s'est construit au
préalable, autour de l'idée que la recherche est un marché, qu'il
faut favoriser la recherche appliquée, que la pérennité du statut
est un handicap , analyse le sociologue Frédéric Neyrat. «On est
dans un train de réformes amorcées sous Bayrou puis Allègre il y
a 10 ans. Il y a des gens au PS qui partagent les positions de Va-
lérie Pécresse : Elie Cohen, Philippe Aghion, conseiller de Ségo-
lène Royal pour l'enseignement supérieur. De même, la loi LRU
a repris des propositions du rapport parlementaire sur la gouver-
nance de l'université corédigé en juin 2006 par le député-maire
PS de Poitiers, Alain Claeys .»
Ce consensus des élites s'appuie en partie sur le milieu scienti-
fique lui-même, traversé de clivages qu'identifie Frédéric Neyrat :
«Un certain nombre de présidents d'université voyaient d'un bon
oeil le démantèlement du CNRS, imaginant en bénéficier en ren-
forçant leur activité de recherche. Il n'y a pas de solidarité très
forte entre enseignants-chercheurs et chercheurs des organismes
publics, considérés par les premiers comme des privilégiés car
libérés de la charge des cours. Il y a aussi un fort individualisme,
le sentiment qu'on arrivera toujours à sauver quelque chose .»
Avant la trêve estivale, encore deux dates dans le calendrier de la
réforme de la recherche : la remise le 9 juillet du rapport de la
commission Schwartz sur les personnels de l'enseignement supé-
rieur que l'on annonçait explosif en début d'année, et l'annonce
de la suite du plan Campus le 11 juillet. Les réactions seront-elles
immédiates ?
Dans la journée du 1er juillet, un mail de chercheur parvenait à
Mediapart :«L'agonie de la bête est suspendue. Mais ces mises en
garde syndicales seront-elles suffisantes pour la ranimer ? Grève
générale de la recherche. Tout de suite ! Merde ! Et les vacances ? »