Questions de société

"Université : la victoire à la Pyrrhus du gouvernement", par Laurent Bouvet (nonfiction.fr, 15/05)

Publié le par Florian Pennanech

La lecture des communiqués et commentaires ministériels récentspourrait laisser penser que le gouvernement a remporté une « victoire »sur les universitaires. La publication, au beau milieu des vacances deprintemps, des décrets d'application de la loi LRU (elle-même déjàadoptée en pleines vacances d'été en 2007) fortement contestés –notamment celui portant révision du statut des enseignants-chercheurs –a permis à la ministre en charge de l'affaire, Valérie Pécresse, declaironner que la partie engagée depuis plus de trois mois contre lesuniversitaires était terminée. Et qu'elle l'était sur une victoire desa part puisqu'elle aurait enfin réussi à « réformer l'université »(sic) ! Et ce, au prix de concessions mineures qui n'entacheraient enrien l'intention réformatrice de départ.

Cette interprétation gouvernementale est pourtant très largementerronée, pour deux raisons. Premièrement parce que l'intentionréformatrice initiale s'est rapidement révélée n'être, sous prétexte demise en oeuvre de « l'autonomie des universités » (en fait del'autonomie du pouvoir des présidents d'universités), qu'une doubletentative de mise au pas des universitaires (par exemple tentant demettre fin à leur indépendance statutaire pourtant garantie commeprincipe à valeur constitutionnelle) et d'économie de moyens, notammentdes postes d'enseignants-chercheurs, sans rapport avec les besoinsconsidérables d'établissements universitaires sous-financés depuistrente ans. Deuxièmement parce que la méthode employée pour « réformer» a été désastreuse : le refus obtus de toute négociation réelle de lapart du gouvernement a conduit à souder comme jamais une communautéuniversitaire qui a pris, à l'occasion de ce mouvement, conscience deses intérêts communs bien au-delà de ses divisions traditionnelles.Valérie Pécresse et le gouvernement devraient donc se garder de criervictoire.

Si les conséquences du conflit ne sont pas toutes immédiatementvisibles par les Français, elles n'en sont pas moins graves :l'université française a été profondément et durablement affaibliealors même que le gouvernement prétendait la renforcer. D'une certainemanière, la communication gouvernementale, bien relayée par une presselargement complaisante, a réussi. Aidé par l'ampleur de la criseéconomique et sociale que traverse le pays, cet effort de propagande asans doute réussi à convaincre une partie de l'opinion publique que lesuniversitaires étaient non seulement des fonctionnaires fainéants,surpayés et improductifs – une description en conformité avec celle,récurrente, du Président de la République – mais encore des ingratsdoublés d'idiots, incapables de comprendre les bienfaits que legouvernement entend leur prodiguer – une rhétorique ministérielle toutaussi habituelle.

Mais en tentant de discréditer les universitaires auprès des Français,en les humiliant comme l'a fait Nicolas Sarkozy lui-même lors de sondiscours du 22 janvier 2009, en masquant constamment les objectifsréels de la « réforme » et en jouant le pourrissement de la situation –dont la radicalisation actuelle dans certains établissements n'estqu'une conséquence directe –, le pouvoir s'est tiré une balle dans lepied. Car c'est la capacité même de la société française d'entrer danscette « société de la connaissance et de l'innovation », dont on nous atant dit qu'elle était notre seul espoir face aux bouleversements del'ordre du monde, qui est aujourd'hui atteinte à travers l'université.

Celle-ci a en effet perdu dans la bataille un peu plus encore du déjàfaible crédit dont elle dispose auprès des Français qui n'y envoientleurs enfants que contraints et forcés lorsque ceux-ci n'ont pas étéadmis, après le bac, dans les filières sélectives de l'enseignementsupérieur (classes préparatoires aux grandes écoles, écolesspécialisées, BTS ou IUT). En prétendant réformer comme il l'a faitl'université, le pouvoir actuel n'a fait que démolir un peu plus un desrares instruments de cette double aspiration que représente encore,bien qu'imparfaitement, l'université en France : celle d'une relativeégalité des chances et celle de la possibilité d'une ascension socialeouverte à tous ou presque.

Autre conséquence de cette politique de Gribouille : toute tentative deréforme de l'enseignement supérieur, quels que soient son objet et sonurgence, sera désormais plus difficile encore. L'occasion a étéconsciencieusement gâchée par un pouvoir qui n'aura finalement montrédans cette affaire que son appétence pour une idéologie de meetingélectoral et sa courte vue politique – y compris d'ailleurs au regardde ses propres intérêts. La communauté universitaire française, à lafois humiliée et trahie, aura très certainement à coeur de faire payer àla droite française, dans les urnes d'abord, ce calamiteux épisode – onrelèvera ainsi, à titre d'exemple, que Valérie Pécresse n'a visiblementpas bien mesuré les conséquences de son comportement vis-à-vis d'uncorps électoral à la capacité de prescription politique bien supérieureà sa faiblesse numérique nominale, surtout en Ile-de-France où ellesera candidate aux élections régionales de 2010… Mais, plusprofondément encore, les universitaires ne participeront que contraintset forcés à la mise en oeuvre des mesures finalement décidéesunilatéralement par le gouvernement. L'autonomie telle qu'elle a étéconçue ne fonctionnera pas ou si mal que les effets positifs quipouvaient en être attendus seront dilués dans la résistance sourde etpassive, mais efficace puisqu'en prise directe avec son terrain, d'un «corps universitaire » (selon l'expression du philosophe VincentDescombes) qui a pris, à cette occasion, conscience de lui-même et desa puissance.