Questions de société
Université de la Polynésie française à Tahiti: menace de grève contre la suppression de filières (octobre 2010)

Université de la Polynésie française à Tahiti: menace de grève contre la suppression de filières (octobre 2010)

Publié le par Bérenger Boulay (Source : Poolp)

Un préavis de grève déposé par les enseignants.  Gaëtan Ferchaux. La Dépêche de Tahiti, 4 octobre 2010.

Suppression de filières à l'université.
Samedi dernier, à l'université, l'assemblée générale des enseignants a décidé de soutenir le mouvement des étudiants, qui luttent contre les propositions du plan quadriennal. La coordination des étudiants et des enseignants a évoqué les nombreux points d'achoppement, notamment la suppression des masters enseignement et recherche, et celle de la filière anglais. Elle demande l'ouverture de réelles négociations. La mobilisation s'organise donc, et prend de l'ampleur avec la mobilisation des enseignants. Plus de 1 200 signatures ont déjà été recueillies. L'université compte environ 70 enseignants et 3 000 étudiants. Le courrier fait état de 28 signatures, mais ne comptabilise pas la quinzaine d'enseignants supplémentaires solidaires. Le préavis de grève déposé par le syndicat des enseignants FSU pourrait être effectif vendredi. Andreas, un des enseignants, parle de “décisions unilatérales et tardives”. La présidence, de son côté, avance le taux d'échecs et dit que le Pays n'aurait plus besoin de professeurs. “Mais il y a d'autres débouchés que l'enseignement. Les étudiants peuvent trouver du travail dans le tourisme…”, lui répond-on. “Le concours du CAPES est national”, rappelle Andreas. “Ce n'est pas parce que les lauréats ne sont pas immédiatement affectés en Polynésie française qu'ils ne reviendront pas ici. Et puis, il y en a plein d'autres qui veulent travailler en France. On n'a d'ailleurs toujours pas entendu le ministre de l'Éducation à ce sujet.”

Du côté des étudiants, les arguments ne manquent pas non plus. Après avoir été reçu par la présidente, le mouvement doit se pencher sur les propositions portant sur les masters et la filière mathématique. Il avait été prévu la disparition du master enseignement et recherche, au profit uniquement d'un master recherche en filière langue. La direction propose dorénavant un parcours commun enseignement et recherche en master 1 et master 2, que l'option soit déterminée par l'étudiant c'est-à-dire le choix entre recherche ou enseignement, avec des cours de préparation pour le concours. Pour les mathématiques, le master aura lieu en convention à l'Université de Paris 6. Des bourses sur critères sociaux seraient affectées aux étudiants, ainsi que des chambres, au centre international de Paris, afin de faciliter leur installation. Selon Arnaud, le représentant de la filière droit du mouvement étudiant : “On a eu des propositions mais concernant le master recherche et enseignement, il doit être pérenne sans qu'il soit soumis au poste vacant et à l'avis du ministère. Pour la filière anglais, la présidente a dit qu'il n'y avait pas de débat possible. Les propositions seront soumises et votées mercredi, en AG étudiante. À partir de là, on déterminera si on fait grève vendredi.” Et de préciser : “Le mouvement démocratique des étudiants se bat contre le plan quadriennal, et non pour la démission de Louise Peltzer ”.

Message de Serge Dunis:

 

REQUIEM POUR LA LICENCE D'ANGLAIS ?

LES ÉTUDES D'ANGLAIS À L'UNIVERSITÉ DE LA POLYNÉSIE FRANÇAISE SONT-ELLES BALAYÉES ?


Jeudi 23 septembre, jour de léquinoxe, la marée des suppressions de formations à lUniversité de la Polynésie française a atteint son paroxysme avec la décision annoncée in extremis de fermer la licence danglais dans le futur plan quadriennal. Mais nous ne sommes sans doute pas à labri dun tsunami, tant ces décisions sont aussi subites quabracadabrantes. Rappelons limposition, par la Présidente Louise Peltzer, de ne proposer, en Lettres et Sciences Humaines, quun Master recherche et donc de sacrifier les préparations aux différents CAPES : anglais, lettres modernes, histoire-géographie, tahitien, mathématiques. Cette imposition a spontanément suscité notre conférence de presse aux grilles de lUniversité le 21 septembre. Contrairement aux déclarations de notre Présidente sur RFO, tous les masters ne préparent pas au CAPES ! Finie, locéanisation des cadres ! Ces décisions mettent en péril lavenir de plusieurs générations détudiants tahitiens dans les disciplines mentionnées. Elles surviennent alors que nous travaillons depuis des mois au contrat qui nous lie régulièrement pour quatre ans au Ministère de lÉducation et de la Recherche à Paris. Contrat élaboré par tous les responsables pédagogiques, véritable mobilisation des enseignants-chercheurs qui dressent le bilan des quatre années écoulées, inventorient le présent, redéfinissent contenus et pédagogie des enseignements des quatre années à venir. Contrat que ladministration de lUPF se permet donc de modifier in extremis sans la moindre concertation. Et nous prévient du jour au lendemain.

La licence danglais, trois ans de spécialité, filière de Lettres la plus nombreuse, est donc noyée, engloutie, condamnée. Au sein de ce qui sappelait alors l'Université Française du Pacifique, nous avons ouvert la 2ème année d'anglais en octobre 1991, la licence en octobre 1992, la maîtrise en octobre 1993 et le DEA de Lettres-Langues Imago Mundi, Voyages, Civilisations, Littératures dans le Pacifique, en octobre 1995. Comment accepter que les études anglaises puissent être balayées dun trait de plume pour des raisons financières ? Est-il nécessaire de rappeler que langlais est devenu mondialement indispensable ? Et que la plupart des innombrables livres consacrés à létude du Pacifique sont rédigés en anglais ? Faut-il couper les Polynésiens de leurs sources et ressources anthropologiques ? De leurs fonds et bien-fonds culturels ?

    En 17 ans, de 1993 à 2010, 362 étudiants ont été admis en licence danglais, trois-cent-soixante-deux. Plus dune centaine ont eu lopportunité de passer un an à enseigner dans un pays anglo-saxon, incomparable expérience qui ouvre lhorizon et aguerrit. La majorité de ces anglicistes perfectionnistes optent pour lAngleterre parce quils ont compris que de petits séjours de langue en Nouvelle-Zélande ou Hawaii ne suffisent pas. Une trentaine sont devenus PE-PLP2, et, plus gratifiant encore, 51 de nos étudiants ont réussi au CAPES, cinquante-et-un ! Trois ont même obtenu lagrégation et six ont décroché un doctorat. Je consigne chaque année ces résultats plus que satisfaisants et le détail des emplois offerts à nos diplômés. Par ces temps de crise, je tiens cet éloquent palmarès à votre disposition. Il permet instantanément de constater à quel point les débouchés de ces jeunes sont loin de se limiter aux concours denseignement, tant les transports aériens et le tourisme, entre autres, semblent leur ouvrir des portes. Beaucoup denseignants danglais oeuvrent dans le secondaire, même sils ne sont pas capésiens.

    Mais des études ne sauraient se limiter à des statistiques, si parlantes soient-elles. Il ny a pas que la réussite universitaire et sociale dans la vie, il y a lidentité profonde. Qui peut ignorer la trivalence polynésienne-anglaise-française de nos ouailles ? Au centre de gravité du Pacifique, la Polynésie aujourdhui française a été la rampe de lancement des pirogues qui sont parties vers Hawaii, Pâques et la Nouvelle-Zélande. Létude des mythes rivalise aujourdhui avec larchéologie pour mettre au jour les racines océaniennes ancestrales en Chine davant la Chine il y a 5000 ans, à Taiwan il y a 4500 ans, à Tikopia il y a 3000 ans et, bien sûr, apporte la preuve irréfutable que mythologie du Pacifique et mythologie des trois Amériques sont en osmose. De quoi camper une personnalité en terre insulaire avec la foi du maître dastres et de navigation parti sur El Niño sans le moindre instrument.

Telle profondeur culturelle met en perspective ce qui paraît dater dhier seulement : Samuel Wallis redécouvre Tahiti en 1767 ! Or laura philosophique de Bougainville venu en 1768 n'éclipse pas la présence plus pragmatique et scientifique des Anglais. James Cook initie les études de terrain anthropologique dès 1769 en consacrant quatre longues escales à Tahiti au cours de sa décennie exploratrice du tiers liquide du globe, le Pacifique. Le plus grand marin occidental de tous les temps, totem de lAustralie, de la Nouvelle-Zélande et dHawaii, comprend ici, à Tahiti, grâce à Tupaia, que la thalassocratie britannique, cette totale maîtrise des mers qui vient dasseoir lhégémonie de son pays en Europe, se frotte dans le lagon à une thalassocratie polynésienne. Quelle saga ! Bligh va prendre le relais de son prestigieux capitaine et la mutinerie de sa Bounty résonne encore à nos oreilles. Quant aux missionnaires de la London Missionary Society, ils débarquent à Tahiti dès 1797. Leur traduction de la Bible en tahitien scelle le mariage culturel entre anglais et îliens. Ce nest quau milieu du XIXème siècle que les Français simposent dans cet incroyable ménage-à-trois civilisationnel.

Ce prestigieux passé explique pourquoi les étudiants de lUPF, dont beaucoup portent des patronymes britanniques issus de cette rencontre qui fit naguère de Tahiti la capitale des Lumières, ont une faculté innée de bien prononcer langlais. Et il faudrait sacrifier les études qui honorent, élucident, enrichissent pareil legs ? Qui peut ignorer quune langue ne se limite pas à sa technique, comme nos décideurs font semblant de le croire, en sabordant les trois années de la licence danglais afin de transformer ses enseignants en répétiteurs pour non spécialistes ? Qui peut ignorer quune langue est aussi littérature et civilisation ? Qui, au centre dun océan majoritairement anglophone, peut décréter pareil gâchis au sein même dune institution dont la vocation est dêtre universelle et pas seulement professionnelle ? Qui ? Au nom de quoi ? De luniversalité de langlais devenue langue incontournable ?

Verdi fut jadis raillé pour son Requiem dont les contemporains hostiles réprouvaient la flamboyance dopéra. Jespère ne pas avoir à ranimer une flamme angliciste identitaire qui ne demande ici quà prolonger lopéra. Mais à lUPF, on tue les langues vivantes ! Silence, on tue !

Professeur Serge Dunis
Spécialiste du Pacifique anglophone
Responsable de lÉquipe dAccueil 4241 Sociétés Traditionnelles du Pacifique