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Une guerre des langues ? Le champ littéraire algérien pendant la « décennie noire » (1988-2003) (T. Leperlier)

Une guerre des langues ? Le champ littéraire algérien pendant la « décennie noire » (1988-2003) (T. Leperlier)

Publié le par Marielle Macé

Tristan Leperlier a soutenu sa thèse de doctorat le 4 décembre à l'EHESS; celle-ci est intitulée

Une guerre des langues ?

Le champ littéraire algérien pendant la « décennie noire » (1988-2003).

Crise politique et consécrations transnationales.

 

Jury :

Zineb Ali Benali, professeure de littératures francophones, Université Paris 8.

Isabelle Charpentier, professeure de sociologie, Université d'Amiens (rapporteure).

Dominique Combe, professeur de littérature française, Ecole Normale Supérieure.

Richard Jacquemond, professeur de littérature arabe, Université d'Aix-Marseille (rapporteur).

Laurent Jeanpierre, professeur de sciences politiques, Université Paris 8.

Gisèle Sapiro, directrice de recherche au CNRS et directrice d’études à l’EHESS (directrice de thèse).

 

Résumé

Relevant de la sociologie de la littérature et des intellectuels, cette thèse étudie le champ littéraire algérien pendant la « guerre civile » des années 1990 (1988-2003). Cette période a vu notamment l’assassinat de nombreux intellectuels, et conduit à la surpolitisation des écrivains. Nous évaluons le rôle du facteur linguistique (arabophones/francophones) dans la structuration du champ littéraire algérien, en particulier pendant la crise, qui a souvent été présentée comme une « guerre des langues ». Cette interrogation permet également de rendre compte de l’évolution du statut symbolique des écrivains dans le champ intellectuel (journalisme, université) et le champ du pouvoir algérien, et de mettre en évidence les enjeux de lutte nationaux et internationaux sur la définition légitime de la « littérature algérienne ». L’enquête empirique s’appuie sur deux bases de données originales, la première bibliographique recensant près de 1600 œuvres littéraires publiées par des Algériens, la seconde prosopographique, portant sur 174 écrivains en activité pendant la période ; environ 80 entretiens semi-directifs avec des écrivains, éditeurs, responsables politiques ou administratifs ; des documents d’archive ; le dépouillement de titres de presse ; et des analyses d’œuvres littéraires. La première partie décrit la genèse (coloniale) et la structuration de cette littérature nationale, et celle d’un champ littéraire à la fois transnational et bilingue. La crise des années 1990 n’affectera pas en profondeur les hiérarchies internes à ces deux dimensions. La seconde partie tente d’expliquer et de comprendre les effets de la politisation accrue du champ littéraire après les émeutes d’Octobre 1988, âge d’or des intellectuels en même temps que moment de forte recomposition du champ intellectuel et du champ littéraire (par exemple à l’Union des Ecrivains Algériens); puis à la suite de l’arrêt du processus électoral de janvier 1992. L’approche statistique, à la fois bibliographique, et par une Analyse des Correspondances Multiples sur les écrivains algériens, croisée à l’analyse fine de trajectoires (en particulier celle de l’écrivain de langue arabe Tahar Ouettar), permet de mettre en lumière la structuration du champ littéraire pendant la crise entre un pôle international et un pôle institutionnel. Cette opposition est bien plus déterminante dans les prises de position politique des écrivains que le facteur linguistique, même si nous montrons comment la guerre civile est devenue une guerre des langues dans le champ littéraire. La troisième partie prend acte de la forte rupture que la guerre a introduite entre un pôle arabophone publiant (difficilement) en Algérie, et un pôle francophone florissant publiant en France, sur lequel cette partie se concentre. Alors que les agendas politiques, comme les règles des champs littéraires, sont différents entre l’Algérie et la France, les écrivains algériens exilés ou publiant en France cherchent à trouver un équilibre entre d’une part la reconnaissance littéraire dans la capitale littéraire qu’est pour eux Paris, et d’autre part l’engagement anti-islamiste et pour la défense de l’image de leur pays ; ils contribuent à cette occasion à la redéfinition de leur littérature nationale (dont l’un des enjeux majeurs est Camus). Cette tension s’observe nettement dans la problématique du témoignage, la réception de Rachid Boudjedra, les œuvres de Mohammed Dib et Salim Bachi, et les archives de la revue Algérie Littérature/Action. La fin de la guerre permet, par la dépolitisation du champ, l’intervention diplomatique et économique de la France, et surtout l’alliance de jeunes prétendants des deux langues (structurés autour des éditeurs El-Ikhtilef et Barzakh) contre la domination des écrivains internationalisés passés par la France, la reconstitution d’un champ littéraire bilingue en Algérie même

 

A war of languages? Algerian literary field during the “black decade” (1988-2003). Political crisis and transnational consecrations.

 

Spanning the sociology of literature and intellectuals, this dissertation studies the Algerian literary field during the “civil war” in the 1990s (1988-2003). Many intellectuals were killed during this period, leading to the over-politicization of writers. We aim to understand the role of the linguistic issue (French/Arabic) in the structuring of the Algerian literary field, especially during the crisis, which has been seen often as a “war of languages”. This enables us to show the evolution of writers' symbolic status within the intellectual field (journalism, university) and the field of Algerian power, and also to highlight the national and international struggles over the legitimate definition of “Algerian literature”. The empirical material is based on two statistical surveys, a bibliographical one of 1600 literary works published by Algerian writers and a prosopographical one of 174 writers in activity during the 1990s; approximately 80 semi-structured interviews with writers, publishers and political/administrative agents; archives; exhaustive study of newspapers; analysis of literary texts. The first part of the dissertation describes the (colonial) construction and structuring of this national literature, and of a transnational and bilingual literary field. The crisis of the 1990’s won't affect the hierarchies created by these two dimensions. The second part aims to explain and understand the effects of increased politicization of the literary field after the October 1988 riots, golden age of intellectuals as well as a time of reconfiguration of the intellectual and literary fields (for instance, the Algerian Writers Union), and the period following the cancellation of the electoral process by the army in January 1992. The statistical approach, especially Multiple Correspondence Analysis of the Algerian writers, cross-referenced with the close analysis of trajectories (especially the Arabic writer Tahar Ouettar) sheds light on literary structuring during the crisis between an international and an institutional pole. This opposition is far more decisive in explaining writers' political stance than the linguistic issue, even though we show how civil war became a war of languages within the literary field. The third part recognizes the severe split brought about by the war between an Arabic-language pole struggling to publish in Algeria, and a flourishing French-language pole being published in France, on which it will focus. As political agendas and literary field rules differ between Algeria and France, Algerian writers in exile or publishing in France try to find a balance between gaining literary recognition in the literary capital of Paris and anti-Islamist commitment, as well as defending the image of their country: in so doing, they contribute to redefining their national literature (with Camus as one of the main issues). This tension can be seen in the problem of literary testimony as in the cases of Rachid Boudjedra’s reception, novels of Mohammed Dib and Salim Bachi, and in the archives of the Algérie Littérature/Action journal. At the end of the war, a bilingual field reappears in Algeria itself, due to its depoliticization, the diplomatic and economic intervention of France, and, above all, the alliance of young writers of both languages (in the publishing houses El-Ikhtilef and Barzakh) against the domination of internationalized writers who had been in France..