Agenda
Événements & colloques
Un historien des langues, des littératures et des cultures: Claude Fauriel (1772-1844) et l'Allemagne

Un historien des langues, des littératures et des cultures: Claude Fauriel (1772-1844) et l'Allemagne

Publié le par Laure Depretto (Source : Geneviève Espagne)

Un  historien des langues, des littératures et des cultures : Claude Fauriel (1772-1844) et l’Allemagne

Colloque international organisé par le Centre d’Etudes des Relations et Contacts Linguistiques et Littéraires (EA n° 4283)

Université de Picardie-Jules Verne

Amiens, Logis du Roy, les 9 et 10 décembre 2011

Coordination scientifique : Geneviève Espagne (Université de Picardie-Jules Verne)

Udo Schöning (Georg-August-Universität Göttingen)

 

Claude Fauriel est une figure éminente des sciences de l’homme dans la France du XIXe siècle. Si l’érudition est par nature inlassablement méticuleuse, elle n’était pas, chez Fauriel, synonyme d’étroitesse de vue ni de dispersion dans l’empirie. Elle s’accompagnait du souci permanent de la méthode, de la volonté de construire un tableau d’ensemble méthodique de l’objet, l’histoire des langues, des littératures et des cultures, notamment romanes, cristallisées dans la transmission textuelle. Cette érudition a fondé la réputation de Fauriel de son vivant, en France (« C’est notre maître à tous », aurait dit de lui Victor Cousin) comme à l’étranger (notamment en Allemagne). Pourtant, l’oeuvre de Fauriel, qu’il s’agisse des ouvrages publiés du vivant de l’auteur — spécialement des deux monuments que sont le recueil des Chants populaires de la Grèce moderne (2 vol., 1824-25) ou l’Histoire de la Gaule méridionale sous la domination des conquérants germains (4 vol., 1836) —, ou des oeuvres posthumes — une Histoire de la poésie provençale (3 vol., 1847) et un Dante et les origines de la langue et de la littérature italiennes (2 vol., 1854) — , ou encore de la correspondance et de l’immense atelier des papiers conservé à la bibliothèque de l’Institut de France, cette oeuvre donc est fragmentaire, inachevée. Il y a à cela diverses raisons, en particulier, comme ne cessèrent de le relever et de le déplorer les contemporains, le zèle extrême du chercheur intéressé par le processus, par la dynamique plus que par le résultat figé. Ce zèle se doublait d’une sorte de dandysme qui prétendait sans doute trancher sur le polygraphisme ambiant. Son détachement conduisit par exemple Fauriel à prêter ses notes et manuscrits avec une certaine insouciance. Il se conjuguait avec le goût de la communication orale et du partage du savoir, dans les salons parisiens ou en chaire. Fauriel, qui détint en effet le premier la chaire de littérature étrangère créée en 1830 à la Sorbonne, fut reconnu comme un des hommes de l’époque « qui ont mis le plus d’idées en circulation ». Ces différents facteurs donnent curieusement à son érudition une qualité volatile, impalpable, qui la rend délicate à cerner, mais aussi profondément actuelle.

 

Le colloque se propose d’aborder l’oeuvre de Fauriel sous l’angle des points de communication avec l’Allemagne, où était alors en train de s’élaborer une nouvelle science de l’homme. On ignore certes comment Fauriel apprit l’allemand et quel était son niveau de connaissance. Mais il avait la maîtrise des langues, outre des langues classiques, de l’anglais et de l’italien (depuis sa scolarité chez les Oratoriens), celle de l’arabe, du sanscrit, du basque, du breton, du gaélique, du grec moderne, de l’espagnol, du provençal. Sous ce rapport déjà il occupait une position d’exception dans une France dont l’ouverture à l’étranger, du Consulat à la Monarchie de Juillet, resta globalement modérée. Fauriel fit son cours sur les chants serbes sur la base de traductions allemandes. Ses travaux, publiés et inédits, portent les marques multiples d’une information précise et abondante sur la production académique du pays voisin et d’un dialogue permanent avec elle. Les factures de la maison d’édition Brockhaus confirment le mouvement d’importation. Certes Fauriel ne fit pas le voyage d’Allemagne comme Germaine de Staël, Charles de Villers, Benjamin Constant, plus tard Jean-Jacques Ampère, Victor Cousin ou Edgar Quinet. Mais il eut des liens avec ces proto-germanistes du milieu idéologiste, du groupe de Coppet puis des jeunes cercles intellectuels d’avant et après 1830. Par ailleurs, la présence de visiteurs allemands à Paris au tournant des XVIIIe et XIXe siècles avaient déjà généré de premiers contacts (particulièrement avec les Schlegel et avec Jacob Grimm).

La réflexion pourrait avoir, entre autres, les objectifs suivants :

- analyser les connexions de Fauriel avec la vie intellectuelle allemande ; repérer tout nouvel indice dans ses papiers ; mettre en évidence les connexions indirectes (rôle du milieu des Idéologues, du groupe de Coppet, de l’Italien Giovanni Berchet, qui fut non seulement le défenseur de la cause romantique en Italie, aux côtés d’Alessandro Manzoni, mais suivit les cours des philologues de Bonn, Diez, etc.) ; dessiner de la sorte une géographie intellectuelle du personnage de Fauriel.

- explorer son oeuvre de traducteur (en 1810 La Parthénéide, épopée idyllique de Jens Baggesen, en 1820 Le Comte de Carmagnola, en 1823 Adelghis, drames historiques de Manzoni) ainsi que l’important accompagnement de réflexions esthétiques auquel elle donne lieu dans les para-textes ; préciser son inscription dans les débats pré-romantiques.

- cerner sa réception des discussions scientifiques  qui se déroulèrent en Allemagne depuis la fin du XVIIIe siècle, autour de la question de l’épopée, des poésies populaires (folklore), du sanscrit et des langues nouvellement dites « indo-europénnes », en bref de la question des origines de la civilisation moderne, qui taraudait l’époque et fit de l’histoire, y compris dans le domaine philologique, la discipline reine de l’université allemande (histoire de la littérature nationale, grammaire historique des langues germaniques, des langues romanes, orientalisme) et des méthodes historico-comparatives le fleuron de la nouvelle orientation (Diez) ; étudier les exposés des théories allemandes auxquels se livre Fauriel (par exemple dans ses leçons sur la poésie provençale, sur les langues indo-européennes, sur Dante ou sur les approches théoriques allemandes d’Homère).

- examiner l’assimilation de ces apports dans la pratique de l’historien français, une pratique qui à la fois vise à la construction d’un continuum historique et propose une vision globalisante des langues et des littératures dans l’environnement social général, produisant une écriture bourgeonnante très originale (voir les leçons sur Dante dans lesquelles s’enchâssent en définitive les études essentielles sur les précurseurs, sur les langues indo-européennes, la genèse des langues romanes, l’origine du latin) ; détecter les emprunts non expressément reconnus (école historique de Göttingen), toujours possibles dans des publications issues de présentations orales (cours) ; voir en quoi l’assimilation inclut aussi des résistances (non uniquement liées aux intérêts nationaux divergents).

Pourront également apporter un éclairage intéressant des exposés synthétiques sur l’état des champs scientifiques sur lesquels portent les travaux de Fauriel, plus généralement en Europe (historiographie littéraire, linguistique, histoire culturelle), et des études plus directement comparatistes, par exemple sur la réception comparée de Dante en France et en Allemagne ou encore sur l’histoire comparée / parallèle des chaires en France et en Allemagne, notamment celle de Fauriel à la Sorbonne et celle de Diez à Bonn, créées la même année 1830, leurs dimensions institutionnelle et pédagogique.

 

Le colloque devrait ainsi apporter une contribution à une archéologie de la science française du XIXe siècle et à l’histoire des disciplines, en dressant un portrait intellectuel du co-fondateur en France des études romanes et du père des Facultés des Langues et Cultures étrangères dans l’Université française.

 

Les langues de communication seront l’allemand et le français.

 

Programme

Vendredi 9 décembre 

9h 45 : Introduction du colloque

10h: Luc Fraisse (Strasbourg) : Fauriel et l’émergence des méthodes de l’histoire littéraire.

10h 45: Udo Schöning (Göttingen) : Fauriel und der « Midi » im deutsch-französischen Beziehungsgeflecht.

11h 30: Agnès Graceffa (Lille3) : Fauriel et les « conquérants germains ».

12h 15: Christine Pouzoulet (Montpellier 3) : Le cours de Fauriel sur Dante en 1833-34 : fonction de la science allemande dans la construction d'une identité culturelle nationale.

14h 30: Alexis Politis (Rethymnon, Crète) : La genèse des Chants populaires de la Grèce moderne.

15h 15: Sandrine Maufroy (Paris IV-Sorbonne) : La réception des Chants populaires de la Grèce moderne en Allemagne et en France.

16h: Dorothea Kullmann (Toronto) : Die Epenfrage bei Fauriel.

16h 45: Francine Mora (Versailles-Saint-Quentin) : Le Waltharius de Fauriel.

Samedi 10 décembre

9h 30: Karin Hoff (Göttingen) : Fauriel und Baggesen.

10h 15: Luciano Formisano (Bologne) : Fauriel et Berchet.

11h: Geneviève Espagne (Amiens) : L’année 1823 : Fauriel, Goethe et Manzoni dans la bataille romantique.

11h 45: Brigitte Sgoff (Munich) : Claude Fauriel - ein französischer Vertreter der deutschen Romantik?

14h: Gérard Gengembre (Caen) : Fauriel, Idéologie et politique.

14h 45: Richard Trachsler (Zürich) : Fauriel et l’Histoire littéraire de la France.

15h 30: Michel Espagne (CNRS Paris) : Les « élèves » de Fauriel.