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Ulysse figure intemporelle : voyage, exil, fluidité (revue MuseMedusa, nº 9)

Ulysse figure intemporelle : voyage, exil, fluidité (revue MuseMedusa, nº 9)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Revue MuseMedusa)

Ulysse figure intemporelle : voyage, exil, fluidité

Appel à contribution pour le 9e dossier de MuseMedusa

Sous la direction de Louis-Thomas Leguerrier et Catherine Mavrikakis

(English translation will follow)

 

Connu pour sa ruse légendaire, pour sa mètis, Ulysse se métamorphose au gré des situations et des êtres qu’il trouve sur son chemin. Comme l’a noté Marcel Conche, « le propre de la mètis d’Ulysse — il est polumètis — est de n’être pas limitée à la particularité d’une activité définie, comme celle du bûcheron, habile dans son art, non celui du navigateur, etc. : elle est multiple, plurielle, universelle[1] ». Figure de la raison calculatrice mais néamoins de l’affect, de la sensibilité bien que de la virilité, de la vengeance et de la force mais aussi de la médiation, du voyage et de l’exil bien que de l’enracinement et de l’attachement à la terre natale, Ulysse ne se laisse jamais réduire à l’une de ses facettes. Dans une optique contemporaine, on pourrait dire qu’Ulysse est une figure de la fluidité.

Cette fluidité propre à la figure d’Ulysse n’est pas la moindre des raisons qui expliquent sa relecture et son actualisation constantes au cours des siècles qui nous séparent de L’Odyssée, et notamment au XXe siècle, où le héros d’Homère connaît une prolifération sans précédent. En plus de l’exemple largement étudié de James Joyce, on peut aussi retracer Ulysse chez Franz Kafka, Benjamin Fondane, Jean Giraudoux, Jean Giono, Primo Levi, Nikos Kazantzakis et Clarice Lispector, entre autres. Or, comme l’a montré Marie de Marcillac dans Ulysse chez les philosophes, Ulysse apparaît aussi chez la plupart des philosophes du XXe siècle, où il sert de personnification, d’allégorie ou de métaphore d’une pensée conceptuelle.

L’actualité d’Ulysse s’explique aussi par son statut de voyageur, d’exilé, voire de réfugié. Empêché de rentrer chez lui au retour d’une grande guerre, errant sur les flots regorgeant de périls et séparé des siens par des distances incalculables, il partage une condition qui est aujourd’hui celle d’un nombre grandissant d’individus. Cette condition d’exilé, Benjamin Fondane l’a puissamment fait ressortir dans son poème « Ulysse », où le héros grec devient Juif errant, et auquel Fondane travaillait encore lorsqu’il fut déporté à Auschwitz.

Dans The Ulysses Theme (1954), William B. Standford montre que, si Ulysse a longtemps été défini de manière unidimensionnelle par la tradition qui y voyait un être dépourvu de principes et prêt à tout pour parvenir à ses fins, il redevient au XXe siècle une figure aussi complexe et nuancée qu’il l’était dans L’Odyssée. Plus récemment, Corinne Jouanno a elle aussi fait apparaître la complexité nouvelle qu’acquiert Ulysse à partir du XXe siècle dans Ulysse : odyssée d’un personnage d’Homère à Joyce. Il serait donc pertinent de se demander ce qui, chez ce personnage de la mythologie grecque, parle tant à notre sensibilité moderne et contemporaine.

À priori associé à un univers fortement masculin, Ulysse, dans l’Odyssée déjà, se distingue pourtant de tous les autres héros homériques dans son rapport à sa masculinité ainsi que dans son rapport aux femmes. Comme l’a montré Stanford : « Homer intended to imply a closer temperamental affinity between Odysseus and the women of the Heroic Age than between him and the more conventional warrior-heroes who felt uneasy and distrustful in his company[2] ». Or, dans certaines de ces relectures modernes, Ulysse déserte carrément le camp des hommes, comme c’est le cas chez Monique Wittig qui, en plus de mobiliser la figure du Cheval de Troie pour en faire un motif central de sa théorie littéraire, écrit dans Le corps lesbien, en allusion au poème de Du Bellay : « Heureuse si comme Ulysséa, je pouvais revenir d’un long voyage[3] ».

Emily Wilson, dans sa récente traduction de L’Odyssée en anglais, traduit le Polytropos du premier vers, qui désigne Ulysse, par « complicated » : « Tell me about a complicated man[4] ». L’adjectif « complicated », du latin complicare, qui signifie « plier », ou encore « rabattre » plusieurs choses en une seule, indique que, pour s’offrir au regard de notre connaissance, Ulysse doit être soigneusement et lentement déplié. C’est à un tel exercice qu’invite le 9e numéro de MuseMedusa, afin de réfléchir à la manière dont les relectures de la figure d’Ulysse permettent de faire apparaître une complexité, une fluidité et une condition d’exilé déjà présentes dans L’Odyssée. Nous accueillerons des études de cas et d’œuvres, des réflexions théoriques, des approches historiques et culturelles aussi bien que les créations littéraires et artistiques qui abordent la figure d’Ulysse telle qu’elle se manifeste dans LOdyssée ainsi que dans ses relectures modernes et contemporaines.

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Les articles savants ou les textes et œuvres de création en français, en anglais ou en allemand, sont à envoyer au plus tard le 15 janvier 2021 à Louis-Thomas Leguerrier louisthomasleguerrier@gmail.com et à Catherine Mavrikakis cmavrikakis@sympatico.ca en copie conforme.

Les contributions devront être accompagnées d’une brève notice bio-bibliographique, de deux résumés et de deux listes de 10 mots clés, une en français et une en anglais ou en allemand (voir le protocole de rédaction).

 

[1] Marcel Conche, « Ulysse et le pessimisme d’Homère », Essais sur Homère, Paris, Presses universitaires de France, 1999, p. 178.

[2] William Bedell Stanford, The Ulysses Theme: A Study in the Adaptability of a Traditional Hero, Dallas,  Spring Publications, 1992, p. 65.

[3] Monique Wittig, Le Corps Lesbien, Paris, Minuit, 1973, p.16.

[4] Homer, The Odyssey, trad. de Emily Wilson, New York et Londres, W. W. Norton & Company, 2017), 105.

 

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Odysseus as a Timeless Figure: Travel, Exile, Fluidity

Call for papers for the 9th number of MuseMedusa

Edited by Louis-Thomas Leguerrier and Catherine Mavrikakis

 

Known for his legendary cunning, for his mètis, Odysseus transforms himself according to the situations and beings he comes across. As Marcel Conche noted, "the characteristic of Odysseus’ mètis – that is, polumètis – is not being limited to a specifically defined activity, such as that of the lumberjack, skilled in his art, nor that of the navigator, etc. It is multiple, plural, universal.”[1] A figure of calculating reason, but nevertheless one of affect, a figure showing sensitivity and virility, acting from vengeance and strength, but also a figure of mediation, travel and exile, even while rooted in and attached to his native land, Odysseus never allows himself to be reduced to one of its facets. From a contemporary perspective, one could say that Odysseus is a figure of fluidity.

This fluidity peculiar to the figure of Odysseus is not the least of the reasons that explain the Odyssey’s constant rereading and updating over the centuries that separate us from Homer’s epic. This ongoing reinterpretation is particularly prevalent in the 20th century, in which the epic hero receives unprecedented attention, whether it be in the widely studied example of James Joyce or in the works of Franz Kafka, Benjamin Fondane, Jean Giraudoux, Jean Giono, Primo Levi, Nikos Kazantzakis and Clarice Lispector, among others. However, as Marie de Marcillac showed in Ulysse chez les philosophes, Odysseus also appears among most twentieth-century philosophers, where he serves as the personification, allegory or metaphor of conceptual thought.

The contemporaneity of Odysseus can also be explained by his status as a traveller, exile or even refugee. Prevented from returning home after a great war, wandering on the waves full of peril and separated from his own by incalculable distances, he shares a condition that is today experienced by a growing number of individuals. This condition of being in exile was powerfully brought out by Benjamin Fondane in his poem "Ulysse," in which the Greek hero becomes a wandering Jew, a poem on which Fondane was still working when he was deported to Auschwitz.

In The Odysseus Theme (1954), William B. Standford shows that while Odysseus was long defined in a one-dimensional way by tradition as a being devoid of principles and ready to do anything to achieve his ends, in the twentieth century he again becomes a figure as complex and nuanced as he was in the Odyssey. More recently, in her Ulysse : odyssée d’un personnage d’Homère à Joyce, Corinne Jouanno has also revealed the new complexity that Odysseus acquires from the 20th century and thereafter. It would therefore be pertinent to ask what in this Greek mythological character so appeals to our modern and contemporary sensibility.

At bottom associated with a strongly masculine universe, Odysseus is nevertheless distinct from all the other Homeric heroes in his relationship both to his masculinity as well as to women. As Stanford has shown: "Homer intended to imply a closer temperamental affinity between Odysseus and the women of the Heroic Age than between him and the more conventional warrior-heroes who felt uneasy and distrustful in his company.”[2] Now, in some of these modern rereadings, Odyssesus deserts the camp of men altogether, as with Monique Wittig, who, in addition to mobilizing the figure of the Trojan Horse to make it a central motif of her literary theory, writes in The Lesbian Body (in allusion to Du Bellay's poem): " Happy if like Ulyssea I might return from a long voyage.”[3]

Emily Wilson, in her recent translation of The Odyssey into English, translates the Greek polytropos of the first line, which refers to Odyssesus, as "complicated": "Tell me about a complicated man.”[4] The adjective “complicated,” from the Latin complicare, meaning “to fold” or “to fold up” several things into one, indicates that, to offer himself to the gaze of our knowledge, Odysseus must be carefully and slowly unfolded. This is the exercise that the 9th issue of MuseMedusa invites us undertake, in reflecting on the way in which rereading the Odysseus figure makes it possible to reveal a complexity, a fluidity and a condition of exile already present in The Odyssey. We welcome case studies and critical works, theoretical reflections, historical and cultural approaches as well as literary and artistic creations that address the figure of Odysseus as it manifests itself in The Odyssey as well as in its modern and contemporary rereadings.

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Scholarly articles or texts and creative works in French, English or German should be sent no later than January 15th 2021 to Louis-Thomas Leguerrier louisthomasleguerrier@gmail.com and copied to Catherine Mavrikakis cmavrikakis@sympatico.ca.

Contributions should be accompanied by a short bio-bibliographic notice, two abstracts, and two lists of 10 keywords (one in French and one in English or German [see the writing protocol]).

 

 

[1] Marcel Conche, « Ulysse et le pessimisme d’Homère », Essais sur Homère, Paris, Presses universitaires de France, 1999, p. 178. Our translation.

[2] William Bedell Stanford, The Ulysses Theme: A Study in the Adaptability of a Traditional Hero, Dallas,  Spring Publications, 1992, p. 65.

[3] Monique Wittig, The Lesbian Body, trad de David Le Vay, New York, William Morrow and Company, 1975, p. 23.

[4] Homer, The Odyssey, trad. de Emily Wilson, New York et Londres, W. W. Norton & Company, 2017), 105.

 

Bibliographie

Conche, Marcel, Essais sur Homère. Paris, Presses universitaires de France, 1999.

De Marcillac, Marie, Ulysse chez les philosophes. Paris, Classique Garnier, 2015.

Homère. L’Odyssée, traduit par Philippe Jaccottet, Paris, La découverte, 2004.

Homer, The Odyssey, traduit par Emily Wilson, New York et Londres, W. W. Norton & Company, 2017.

Horkheimer, Max et Theodor W. Adorno, « Ulysse ou Mythe et Raison », dans La dialectique de la Raison : fragments philosophiques, traduit par Éliane Kaufholz-Messmer, Paris, Gallimard, 2013.

Jouanno, Corinne, Ulysse : odyssée d’un personnage d’Homère à Joyce, Paris, Ellipses, 2013.

Leguerrier, Louis-Thomas, Entre Athènes et Jérusalem, Ulysse au XXe siècle, Montréal, Hashtag, 2019.

Stanford, William Bedell, The Ulysses Theme: A Study in the Adaptability of a Traditional Hero, Dallas, Spring Publications, 1992.

Wittig, Monique, Le Corps lesbien, Paris, Minuit, 1973, p. 16.