Essai
Nouvelle parution
Ulrich von Zatzikhoven

Ulrich von Zatzikhoven

Publié le par Christopher Lucken

 

Ulrich von Zatzikhoven, Lanzelet, Texte présenté, traduit et annoté par René Pérennec, Grenoble, ELLUG, 2004.

Composé entre 1194 et 1230, peut-être autour de 1200, par un auteur originaire de la région de Saint-Gall (Suisse actuelle), connue pour sa célèbre abbaye, le Lanzelet d'Ulrich von Zatzikhoven est désormais disponible dans une traduction française publiée au regard de la version originale en allemand médiéval tirée de l'édition proposée en 1845 par K. A. Hahn. Ce roman s'inscrit dans le prolongement du récit bien connu des amours de Lancelot et de la reine Guenièvre écrit (probablement vers 1177-1181) par Chrétien de Troyes dans Le chevalier à la charrette, récit qui donnera naissance au cours de 1220 à cette impressionnante somme narrative qu'est le Lancelot en prose, lui-même au coeur du cycle consacré au roi Arthur et à la Table ronde appelé habituellement le Lancelot-Graal.

Comprenant 9444 vers, le Lanzelet d'Ulrich von Zatzikhoven raconte les aventures de son héros depuis sa naissance jusqu'à son couronnement comme roi de Behforet. Si le récit de ses amours avec Guenièvre y occupe une place significative, ses aventures sont moins motivées par elles, comme c'est le cas chez Chrétien de Troyes, que par l'importance qu'il accorde à ses relations de parenté et à celles qu'il entretient avec le monde de la cour. Ce roman se présente comme l'adaptation d'un « livre français ». On ne connaît toutefois aucun récit en ancien français qui puisse lui correspondre. S'agirait-il d'un roman arthurien aujourd'hui disparu ? Serait-il antérieur à Chrétien de Troyes, qui s'en serait alors servi pour élaborer son propre texte ? ou serait-il au contraire postérieur au célèbre écrivain champenois, considéré généralement comme le premier romancier de langue française, auquel un épigone aurait emprunté différents éléments afin de réaliser une nouvelle composition ? A moins que cette revendication serve à justifier une compilation originale en la présentant comme la traduction d'une oeuvre appartenant à une tradition littéraire pourvue d'un grand prestige et qui faisait alors référence ? Ces différentes hypothèses, qui ont pu être avancées à propos du Lanzelet, font l'objet d'une bonne mise au point dans l'introduction de R. Pérennec, consacrée principalement à l'origine de ce texte. Ce dernier penche pour une origine anglo-normande. Ulrich von Zatzikhoven affirme en effet avoir connaissance du « livre français » en question à l'époque où le roi d'Angleterre, Richard Coeur de Lion, avait été fait prisonnier par le duc d'Autriche, Léopold V, après qu'un des otages fourni par le roi, Hugues de Morville, ait apporté avec lui ce roman. R. Pérennec avance d'autres arguments afin d'étayer cette thèse, éclairant du même coup les zones de contact et les points de convergence interculturels qui caractérisèrent cette époque.

Le Lanzelet d'Ulrich von Zatzikhoven apparaît ainsi comme un exemple remarquable du mouvement de diffusion de sujets et de techniques narratives qui se développe entre 1150 et 1230 depuis la Romania vers la Germania, dans un mouvement de translatio dont témoignent aussi l'Erec de Hartmann von Aue et le Parzival de Wolfram von Eschenbach. S'ouvrent ainsi, pour le lecteur francophone, d'intéressantes perspectives de comparaisons autour de la figure légendaire de Lancelot.

La particularité de cette collection intitulée « Moyen Âge européen » et dirigée par Philippe Walter réside d'ailleurs dans le fait de proposer des traductions inédites de textes majeurs ou peu connus de la littérature médiévale européenne. Elle permet ainsi de mettre en regard des textes qui demeurent malheureusement trop souvent séparés les uns des autres. On compte encore dans cette collection deux ouvrages consacrés à des figures dont l'importance est attestée dans plusieurs langues, Saint Antoine (Saint Antoine entre mythe et légende, textes réunis par Ph. Walter, 1996) et Merlin (Le devin maudit : Merlin, Lailoken, Suibhne, textes et études réunis sous la direction de Ph. Walter, 1999), ainsi qu'un autre roman arthurien en langue allemande, le Wigalois  : le chevalier à la roue, de Wirnt von Grafenberg, présenté et traduit par C. Lecouteux et V. Lévy, dont l'étude offre d'intéressants rapprochements avec Le Bel Inconnu de Renaut de Beaujeu, le Carduino italien, Ly Beaus Desconus anglais et le tardif Conte du Papegau (bien que de façon plus marginale). C'est sans aucun doute là une excellente occasion à saisir d'ouvrir et de renouveler le champ d'investigation de la littérature médiévale française en prenant davantage en compte un archipel de textes européens.

Patricia Victorin