Revue
Nouvelle parution
Tropismes 15 : L'Intrigue

Tropismes 15 : L'Intrigue

Publié le par Vincent Ferré (Source : Richard Pedot)

Tropismes 15 : L'Intrigue

publication du groupe Tropismes, Centre de Recherches Anglophones, Université de Paris Ouest Nanterre la Défense

ISBN  978 2 907335 35 5

10 EUROS

PRÉSENTATION :

<!>

La notion d'intrigue est, avec celui de personnage, l'undes concepts les mieux admis de la théorie critique, concept dont l'héritageest très ancien, même après sa remise en cause par des mouvements tels que lemodernisme ou le nouveau roman, pour ne rien dire des nombreux domainesartistiques où il ne semble n'avoir aucune portée. La narratologie, enparticulier, a largement contribué à en faire un outil simple d'emploi, dontl'origine n'est guère questionnée. Pour autant, il convient de s'interroger surl'ambivalence d'une notion qui évoque à la fois un mouvement (le nouementaristotélicien, par exemple) et un agencement de faits (le schéma narratif quirésume l'histoire dans ses enchaînements). Sa définition ou son usage oscilledonc entre dynamique (l'intrigue comme moteur, procès) et structure (le schémacensé lier les événements en un tout signifiant). Ou serait-ce l'objet même quioscille ? Il faut interroger l'intrigue comme schéma d'intelligibilité desoeuvres, et cela passe par une réflexion sur leur pouvoir d'intriguer.

C'était le projet du séminaire « Intrigue/r »du groupe de recherches Tropismes (CREA, Paris 10), en 2005-2006 et 2006-2007,de s'attaquer à ces questions, de faire retour sur le concept d'intrigue et sesenjeux tels qu'ils apparaissent dans le tremblement de sa définition,c'est-à-dire sans le séparer de son aspect dynamique, de la question del'impact de l'oeuvre, mais également d'aborder le problème par ce deuxièmeaspect en se demandant, par exemple, si une oeuvre qui intrigue estnécessairement une oeuvre à intrigue et réciproquement. Nous faisionsl'hypothèse que la notion d'intrigue n'était qu'une démonstration particulière,peut-être limitée, une tentative d'acclimatation, du pouvoir d'intriguer del'oeuvre : une manière de répondre à ce qui intrigue  par un récit aminima. Les articles de ce recueil sont le fruit de cesréflexions menées sur deux ans. D'une oeuvre à l'autre, d'un genre à l'autre,d'un domaine d'expression à l'autre, ils examinent, chacun à sa manière, lesrapports entre intrigue et intriguer — dont la graphie « intrigue/r »est là pour signifier l'interdépendance.

Dans toute réflexion actuelle sur l'intrigue, laréférence à Reading for the Plot, de Peter Brooks, estinévitable — en témoigne sa récurrence dans ce numéro —, comme est du coupinévitable de procéder à un examen des tensions et des limites de cettethéorie, exercice auquel se livre Anne-Laure Fortin qui suggère qu'il manque àl'approche brooksienne une théorie de l'événement pour cerner plus efficacementla dynamique narrative. Similairement, l'article suivant explore la manièredont l'intriguer déborde le cadre reconnu de l'intrigue, faisant l'hypothèseque les modèles explicatifs de l'intrigue visent au fond à maîtriser dansl'après-coup les séductions de l'oeuvre littéraire (R. Pedot). Il n'en reste pasmoins, comme le démontre Michel Morel à propos du suspens, que l'intrigue estun mode de pensée, « une disposition mentale » (examinée sous unangle axiologique, du fait divers au feuilleton du 19ème en passantpar les « dramas in real life » du Reader's Digest),machine idéologique que les créations d'un Raymond Carver ou d'un Howard Barkerenrayent ou retournent contre elle-même, dans un refus de la purificationtragique. Fins connaisseurs du roman policier ou du récit à énigme, CamilleFort et Jean-Pierre Naugrette nous proposent de réfléchir sur les séductions deces récits : s'intéressant pour la première au jeu entre énigme etintrigue, à la manière dont l'une vise une résolution syntagmatique de l'autrequi parvient pourtant à luis survivre, tant il est vrai qu'aucune n'existe sansl'autre ; et pour le second, à l'articulation du lieu et de l'intrigue,c'est-à-dire au pouvoir qu'ont les lieux de secréter des intrigues. SergeChauvin, quant à lui, nous invite à nous replonger dans le cinéma hollywoodienclassique, redoutable machine à intriguer comme le montrent ses incipit, piégéset piégeux, qui jouent sur l'effet de surprise bouleversant l'horizon d'attentedu spectateur pour mieux l'agripper avant de restaurer l'ordre générique. Pluscontemporain, l'objet d'étude de Claudine Thomas nous maintient cependant aucoeur de notre questionnement en s'interrogeant sur le devenir de l'intriguelorsque l'on s'éloigne de la période de son triomphe (aux 18ème et19ème siècles) et qu'elle rencontre la catégorie du virtuel quiaboutit, dans les récits postmodernes de William Gibson, l'inventeur ducyberespace, et de Thomas Pynchon, à un glissement de la notion d'intriguequi exige peut-être un autre mode de lisibilité. Mais ce défi à l'intriguen'est pas nouveau, les trois derniers articles sont là pour nous le rappeler.Dans une lecture très sensible aux apories du temps (de l'histoire, du mythe,du récit), Chantal Delourme nous livre une analyse de la « non-narrativité »woolfienne dans Between the Acts où l'intrigue, parasitée,interrompue ou congédiée, s'avère être la mise en scène de la genèse d'uneparole, une intrigue de « l'Epos de la langue ». Marc Porée se penchesur la relation singulière de la poésie romantique à l'intrigue, signalant leparadoxe d'un développement sans précédent du poème narratif dans le même tempsque la narrativité est bousculée, contrariée dans une mise en tension del'intrigue et de la poésie qui pourrait bien avoir connu une postérité chez lespoètes modernes. Semblable tension, et mise en échec de l'intrigue dans les« narratives » improbables de Gertrude Stein dont Isabelle Alfandarymontre comment la mise en intrigue est différée, désamorcée pour constituer enfin de compte une mise en abyme de l'intrigue, soumise aux apories du désir etde la réticence à dire.

Le tour de la question, bien sûr, n'est pas fait, malgréla richesse des contributions réunies ici. Mais, tel qu'il est, ce travaildevrait suffire à convaincre de la pertinence critique d'une remise en chantierdes concepts établis, non seulement pour eux-mêmes, mais aussi parce que, tousles articles regroupés ici autour de la notion d'intrigue en témoignent, il n'ya pas de critique de la critique qui ne soit en même temps, et éminemment, unecritique renouvelée des oeuvres qu'elle invoque.