Questions de société
Trente enseignants de Paris-Descartes répondent aux Présidents d'Université (Marianne2 11/05/09)

Trente enseignants de Paris-Descartes répondent aux Présidents d'Université (Marianne2 11/05/09)

Publié le par Bérenger Boulay

Marianne2 - 11/05/09

http://www.marianne2.fr/Trente-profs-repondent-aux-Presidents-d-universite_a179578.html


Trente enseignants de Paris-Descartes répondent aux Présidents d'université: 

Lettre ouverte aux 16 présidents d'universités auteurs de l'article Moderniser l'Université (Le Monde, 22 Avril)

Nous avons lu et relu, avec beaucoup d'attention, ce texte que vousavez cosigné dans Le Monde du 23 avril 2009. Il nous a surpris et déçuspar sa faiblesse argumentative. La première raison du malaise résidedans la tentative maladroite de convaincre que les motifs de lamobilisation auraient disparu.
Le jour même où les lecteurs de votre texte découvraient que «l'ampleur du mouvement a permis l'ouverture de négociations qui ontabouti à un retrait de fait des textes incriminés », le Conseil desministres validait le texte de décret de modification du statut desenseignants-chercheurs pourtant si unanimement rejeté.
Au même moment, les rares maquettes de masters d'enseignementprétendument bloquées étaient avalisées par le ministère, avec mise enoeuvre possible dés la rentrée de septembre. On apprenait aussi lapublication au Journal Officiel du décret portant sur la reconnaissancedes grades et diplômes de l'enseignement supérieur délivrés par lesinstitutions canoniques dont vous demandiez vous-mêmes explicitement lamodification (lettre de la CPU du 5/01/09 à N. Sarkozy).

Votre affirmation de « sortie de crise » est donc fausse, vous lesavez. Vous tentez aussi de laisser croire à une quelconqueconcertation existante ou ayant existé entre les acteurs de lamobilisation et les représentants du gouvernement, ce qui est faux. Cetexte qui comporte de graves inexactitudes donne l'impression d'unassemblage, plus ou moins bancal, de phrases défendant « l'Université »et d'autres défendant « nos universités ». Les premières semblentexprimer, mais à mots prudents, une sorte de souci incantatoire pour leservice public que tout le monde partage ou, plus exactement, affirmeet qui n'engage pas beaucoup, comme chaque parole lénifiante. Lessecondes expriment, cette fois clairement, l'assimilation de « vos »universités à des entreprises que vous auriez à faire prospérer,machines à produire du savoir (s'il le faut) et surtout des diplômes(remplacez « nos universités » par « nos entreprises », l'effet estsaisissant). Entreprises exposées à des revendications sociales qui lesperturbent, les menacent, nuisent à leur pouvoir attractif.

Ce sont précisément ces phrases-là qui reflètent l'idéologieentrepreneuriale (plutôt qu'un « idéal ») qui a envahi le discours des« responsables », le plus souvent à leur insu, idéologie à laquellenotre métier nous apprend à être sensibles.
Ces « universités » qui sont « vôtres » ne sont que des fictions, desmodèles «prêts à penser» bien pratiques pour raisonner de façonréflexe, ce qui témoigne précisément d'un aveuglement idéologique, lemême que celui que dénoncent aujourd'hui les médecins. C'est l'ensembledes enseignants et des étudiants auxquels ils transmettent un savoirqu'ils élaborent dans leurs recherches qui sont l'Université.

Ainsi, ce ne sont pas « vos universités » qui ont l'impératif besoind'autonomie, ce sont les enseignants et les chercheurs : votreautonomie est gestionnaire uniquement, notre autonomie estintellectuelle uniquement. Et la première doit être au service de laseconde : votre autonomie gestionnaire est destinée à nous permettred'enseigner et de faire de la recherche ; notre autonomieintellectuelle n'est pas destinée à moderniser votre gestion.

Les conséquences que vous tirez des attendus de votre texte révèlentelles aussi que vos signatures ont été assemblées aux forceps : on litd'une part une charge forte vis-à-vis du pouvoir politique. Ainsi àcôté des protestations de la communauté dont vous reconnaissez lalégitimité, au moins pour certaines (sans du reste préciser lesquellessont légitimes), vous associez très explicitement l'origine de la«déstabilisation» des universités du côté des ministères, voire de laPrésidence de la République : « des projets de réformes empilés, lancésle plus souvent dans la précipitation, et sans dialogue préalablesuffisamment large (…), des suppressions de postes et la mise en causedes organismes de recherche ». Un peu plus loin, vous fustigez « lacacophonie institutionnelle et la confusion politique » qui empêchentl'université de progresser, ou encore l'impact négatif probable qu'il ya à faire de l'université « le champ clos de conflits politiques etsociaux qui, pour réels qu'ils soient, lui sont en partie extérieurs ».

On trouve aussi comme grief à nos gouvernants actuels que l'Etatn'assure pas « l'égalité sur tout le territoire  entre les citoyens, etentre les fonctionnaires », ou en tout cas, qu'il est nécessaire qu'ille fasse « mieux qu'il ne l'a fait jusqu'à présent ». Si nous nepouvons que souscrire à cette indignation, la suite a de quoiconsterner, et étonner, parce qu'elle n'est pas de la même eau : « ilest impératif que d'autres formes d'action (…) succèdent [à lamobilisation] » ; lesquelles ? Que proposez-vous ? Il faut « que soitrespecté le droit d'étudier et de travailler dans les universités »…Nous nous en chargions bien avant que vous ne soyez présidents etcontinuerons après : c'estnotre métier. Il est impératif « qu'unevalidation claire garantisse la qualité des diplômes délivrés ». Etqu'est-ce qui va garantir alors que ces diplômes seront délivrés pardes enseignants qualifiés, c'est-à-dire par des enseignants qui fontactivement de la recherche et non par ceux que vous enverrez enseignerplus parce qu'ils ne font pas ou pas assez de recherche, conformémentaux droits que vous confère le décret dont nous ne voulons pas et quevous avez laissé publier ?

Madame et Messieurs les présidents, nous sommes mobilisés et allonsle rester parce que nous savons lire et que nous savons que les «textes incriminés » n'ont pas été retirés. Certes les ministres, et lacour qui les entoure, font courir le bruit qu'ils l'ont été car ils ontl'urgent besoin d'étouffer ce conflit.  Cette crise est leur échec etle vôtre, qu'on tente d'effacer de l'actualité à grand renfort decampagne de communication.

Mais est-ce bien la fonction de présidents d'université departiciper à la diffusion de cet écran de fumée ? Vous, qui affirmezhaut et fort dans ce texte que vous ne pouvez « imaginer que lefonctionnement démocratique de nos universités soit mis au seul servicedes ordres d'un ministère ou de quelque instance nationale que ce soit», qu'avez-vous fait des intérêts de l'Université que vous servez ?
Pourquoi les bradez-vous contre vos intérêts et les pouvoirs qu'on vous donne de gérer des « ressources humaines » ?
Comment n'avez-vous pas compris que cette gestion qu'on vous abandonneest indigne de l'Université à laquelle vous devez vous dévouer ?
Sans moyens pour mener à bien une politique scientifique, un présidentaussi bien intentionné soit-il se verra contraint d'augmenter la charged'enseignement de ses collègues les moins armés pour enseigner. Vousprendrez la main sur notre emploi du temps, pourrez exercer tous lesmoyens de pouvoir, démocratiques ou moins démocratiques, pourcontraindre de fait à moduler à la hausse l'emploi du temps de tels outels collègues.

Cette besogne est-elle si attrayante ? Le fond du problème est quenous ne reconnaissons pas à ceux qui gèrent, même au mieux, lefonctionnement d'une université, la légitimité d'intervenir de cettefaçon sur notre travail : sans nous, pas d'université et d'ailleurs,nous en faisons la démonstration. Sans président, un gestionnaireéclairé permettrait l'exercice de notre fonction, sans s'y immiscer.

Madame et Messieurs les présidents, nous assumons nosresponsabilités devant nos étudiants, et devant eux seulement. Nousdéfendons leurs droits, nous pesons pour que prochainement leurssituations ne s'aggravent pas encore, pour que les droits d'inscriptionne deviennent pas prohibitifs pour « les étudiants les plus démunis »(qui soucient ceux qui tournent autour du pouvoir uniquement lorsquecela s'avère bienvenu pour leur argumentation). Nous défendons lanécessité d'une formation libre de tout contrôle autre que celui de larigueur de la connaissance scientifique.

Nous nous faisons confiance les uns aux autres, Madame et Messieursles présidents, car nous nous savons responsables et consciencieux.Nous n'avons nul besoin qu'on nous rappelle à l'ordre du haut d'unehiérarchie que nous ne reconnaissons pas.

Nous sommes des agents de l'Etat, non ceux de « vos établissements». C'est pourquoi nous considérons vos prises de position comme unabandon de vos fonctions de représentants élus par la communauté de vosuniversités. Croyez bien qu'aujourd'hui, comme demain, vous pouvezcompter sur nous, nous ne lâcherons pas. Nous sommes déterminés etnombreux à l'être. La modernité n'est pas un idéal, c'est une réalitéen perpétuelle évolution et la présenter comme un but à atteindre,outre que c'est encore une fiction, dissimuleces temps-ci une idéologieque les enseignants, les médecins, les journalistes, les psychologues,les magistrats, les chercheurs (qui tous savent lire aussi entre leslignes) et demain d'autres estiment calamiteuse. Ils estiment aussi quec'est de leur devoir de la combattre, obstinément.

Bonnot Virginie, MC*
Burkhardt Jean-Marie, MC
Caroff Xavier, MC
Chabert Catherine, PR**
Chaby Laurence, MC
Chagnon Jean-Yves, MC
Charvillat Agnès, MC
Cohen-De-Lara Aline, MC
Cornillot Michèle, MC
Coudin Geneviève, MC
Delgoulet Catherine, MC
Devouche Emmanuel, MC
Doré-Mazars Karine, MC
Duchet Clara, MC
Dufoyer Jean-Pierre, MC
Emmanuelli Michèle, PR
Estellon Vincent, MC
Girault-Lidvan Noëlle, MC
Granier-Deferre Carolyn, MC, HDR
Gueniche Karinne, MC
Gyselinck Valerie, MC
Houssier Florian, MC
Krauth-Gruber Silvia, MC
Missonnier Sylvain, PR
Mouchiroud Christophe, MC
Mouras, Marie-Josée, MC
Nicolas Serge, PR
Parot Françoise, PR
Plaza Monique, CR1, CNRS, HDR
Robert Philippe, MC
Verdon Benoit, MC
Vergilino-Perez Dorine, MC

* Maître de Conférence
** Professeurs d'université