Agenda
Événements & colloques
Trajectoires transfuges. La langue et le corps dans l'entre-deux des classes sociales (Montréal)

Trajectoires transfuges. La langue et le corps dans l'entre-deux des classes sociales (Montréal)

Publié le par Marc Escola (Source : Karianne Trudeau Beaunoyer)

Trajectoires transfuges

La langue et le corps dans l'entre-deux des classes sociales

Journée d'étude

14 mars 2018, de 10 h à 16 h

Université du Québec à Montréal (UQAM)
Local DS-1950, Pavillon J.A.-Desève, 320, rue Sainte-Catherine Est, Montréal

Plus de détails ici.


PROGRAMME

10 h 
Accueil et présentation de la journée
Sandrine Charest-Réhel et Karianne Trudeau Beaunoyer

10 h 10 
Sésame ou l'inter-dit transfuge
Dominique Bourque, professeure agrégée à l'Institut d'études féministes et de genre et au Département de français, Université d'Ottawa

10 h 50 
Pause

11 h 
Auteure clivée, personnages « ravis » : de Marguerite Duras à Lol V. Stein et Anne-Marie Stretter
Valérie Savard, doctorante en littératures de langue française, Université de Montréal

11 h 30
Boucles d'or transfuge
Diane-Ischa Ross, quinzièmiste, essayiste et poète

12 h 
Écriture transfuge, écriture illisible ? Aborder le corps d'un texte : les rapports de forces langagiers dans Quant à je (kantaje) de Katalin Molnár
Magdalena Kogut, candidate à la maîtrise en littérature française, Université McGill

12 h 30
Dîner

13 h 30
En finir avec la hiérarchie des dominations : penser l'articulation des rapports sociaux à partir de En finir avec Eddy Bellegueule d'Édouard Louis
Félix L. Deslauriers, doctorant en sociologie, Université d'Ottawa

14 h 
Maryse Condé et la République mondiale des Lettres
Elise Finielz, doctorante en études romanes, Université de Cornell

14 h 30
Pause

14 h 40
L'entre-deux : une tension (un déchirement) ou un équilibre ? Léon-Gontran Damas, figure d'un poète transfuge
Sanaa Mahroug, doctorante en littérature, Université de Bourgogne

15 h 10
De La sœur de Judith au Chemin Saint-Paul : la migration de Lise Tremblay
Béatrice Lefebvre-Côté, candidate à la maîtrise en littératures de langue française, Université de Montréal

15 h 40
Mot de la fin
Sandrine Charest-Réhel et Karianne Trudeau Beaunoyer


PRÉSENTATION

Cette journée d'étude entend ouvrir un espace de réflexion collective sur le concept de « transfuges » à partir de la manière dont il permet de penser les déplacements entre des classes sociales, et se propose d'interroger, sous ce thème, un ensemble de parcours qui se trouvent dans des situations perpétuelles d'entre-deux. 

Plus fréquemment mobilisé en France qu'au Québec, ce concept est notamment mis en acte dans les œuvres d'Annie Ernaux (1983, 1997), de Didier Eribon (2010) et d'Édouard Louis (2014, 2016) qui, en faisant le récit de leur éloignement d'un milieu populaire par la fréquentation des institutions scolaires et l'acquisition (tardive) de « capital culturel », témoignent des contradictions et des conflits vécus dans un double écart du monde familial d'origine et du monde d'arrivée dont ils ne maîtrisent que partiellement les codes sociaux. Au-delà des acceptions qui lui accordent le sens restrictif de « désertion » ou de « trahison » appliqué au changement d'allégeance à un pays ou à un parti (Jaquet 2014), la notion de « transfuges » telle que nous l'entendons fait ainsi principalement référence aux trajectoires d'intellectuel·le·s de première génération (Mauger 2004; Naudet 2013; Canisius, Doray, Bonin, Groleau et Murdoch 2010). En tant qu'individus, les transfuges se trouveraient partout nulle part et développeraient ce que Bourdieu a nommé un « habitus clivé » (1997).

Les études de Martine Leibovici (2013) et de Chantal Jaquet (2014) proposent déjà quant à elles de penser la pluralité des formes que peut prendre la figure du « transfuge/transclasse ». En plus de s'appliquer aux « migrations de classes » qu'effectuent les intellectuel·le·s de première génération, le concept de « transfuges " renvoie à un ensemble de situations d'entre-deux, dans lesquels les individus contestent l'idée d'une « identité » qui constituerait un « noyau immuable résistant au changement » (Jaquet 2014 : 107). Les « transfuges » référeraient ainsi à celles et à ceux qui manifestent une capacité d'adaptation au fil de leurs déplacements à travers différents espaces sociaux (Schütz 2003; Sayad 1999; Wright 1945; Djebar 2005) et qui opèrent, parmi les nombreux moyens adoptés pour s'ajuster, une désidentification dans un processus simultané (et toujours imparfait) d'identification à autre chose. Leurs dispositions étant modulées, apprises ou copiées, elles attesteraient la force normalisatrice à l'œuvre dans divers milieux en même temps qu'elles défieraient la naturalisation de traits, de savoirs, de comportements ou de postures liés à des groupes présumés immuables. Les reconfigurations effectuées par ces individus adviennent dans un rapport dynamique avec la langue et le corps, « lieux » où se concrétisent les rapports de pouvoir, mais également d'où ils peuvent être interrogés, contestés, modifiés ou subvertis.

Figures en marges, l'apparition des transfuges dans la sphère publique (universitaire et artistique) pose entre autres la question des « sujets légitimes » de la connaissance et des représentations. À la fois matérielles et idéelles, ces réflexions sont indissociables du contexte dans lequel ces trajectoires de transition se déploient comme de leur mise en forme dans les discours qui en rendent compte. Cette journée d'étude a ainsi pour but d'éclairer divers lieux de tensions chez les transfuges à partir de leurs manifestations et de leurs représentations littéraires, artistiques ou sociales, autour des questions suivantes, ni mutuellement exclusives, ni exhaustives :

Comment définir le concept de transfuge? Qu'est-ce que les transfuges nous apprennent sur la normativité sociale et le caractère construit des normes et des codes, notamment en lien avec la langue et les corps? Interrogeant la perméabilité des frontières, les transfuges participeraient-ils à dénaturaliser l'ordre social et les hiérarchies? Comment les transfuges problématisent-ils la question d'une identité immuable en oscillant entre authenticité et falsification? Comment penser les trajectoires des transfuges au-delà d'un raisonnement en termes de volonté idiosyncrasique? En quoi les trajectoires de transfuges invitent-elles à revoir les catégories de perception sociale? De quelle manière se manifestent les emprunts (stylistiques, esthétiques, linguistiques, corporels) à une culture/norme dite légitime? En quoi les parcours de transfuges génèrent-ils une position autoréflexive autour de certains marqueurs (corporels, langagiers, vestimentaires, etc.)? Quels sont les liens entre l'écart qui caractérise la posture des transfuges et qui leur permet de s'observer soi-même et l'autoréflexivité des manifestations littéraires des trajectoires de transfuges? À partir d'expériences éprouvées et subjectives, de quelle nature sont les changements apportés à la langue (registre, vocabulaire, jargon) au cours des trajectoires transfuges? Quelles habitudes corporelles et langagières avez-vous dû quitter (ou intégrer) selon les milieux à travers lesquels vous vous êtes déplacé·e·s?


ORGANISATRICES
Sandrine Charest-Réhel, Université d'Ottawa et CÉLAT (Université du Québec à Montréal)
Karianne Trudeau Beaunoyer, Université de Montréal

CONTACT
transfuges2018@gmail.com


BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE

BOURDIEU, Pierre (2003). Méditations pascaliennes. Paris : Éditions du Seuil.
CANISIUS KAMANZI, Pierre, Pierre DORAY, Sylvie BONIN, Amélie GROLEAU et Jake MURDOCH (2010). « Les étudiants de première génération dans les universités : l'accès et la persévérance aux études au Canada ». Canadian Journal of Higher Education/Revue canadienne d'enseignement supérieur, 40(3), 1-24.
DJEBAR, Assia (2007). Nulle part dans la maison de mon père. Paris : Fayard.
ERNAUX, Annie (1983). La place. Paris : Gallimard.
---- (1997). La honte. Paris : Gallimard.
ERIBON, Didier (2010). Retour à Reims. Paris : Flammarion, coll. « Champs. Essais ».
JAQUET, Chantal (2014). Les transclasses ou la non-reproduction. Paris : Presses Universitaires de France.
LEIBOVICI, Martine (2013). Autobiographies de transfuges. Karl Philipp Moritz, Richard Wright, Assia Djebar. Paris : Éditions Le Manuscrit, coll. « L'esprit des lettres ».
LOUIS, Édouard (2014). En finir avec Eddy Bellegueule. Paris : Seuil, coll. « Cadre rouge ».
---- (2016). Histoire de la violence. Paris : Seuil.
MAUGER, Gérard (2004). « Annie Ernaux, "ethnologue organique" de la migration de classe », dans Annie Ernaux, une œuvre de l'entre-deux (p. 177 204). Arras : Artois Presses Université.
NAUDET, Jules (2013). « Par-delà les spécificités nationales : comprendre les expériences de mobilité sociale en France, aux États-Unis et en Inde ». Sociologie du travail, 55(2), 172-190.
SAYAD, Abdelmalek (1999). La double absence : des illusions de l'émigré aux souffrances de l'immigré. Paris : Éditions du Seuil. 
SCHÜTZ, Alfred (2003). L'étranger : un essai de psychologie sociale, suivi de L'homme qui revient au pays. Paris : Allia.
WRIGHT, Ricard (1965). Black boy jeunesse noire. Paris : Gallimard.