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Toute âme est un nœud rythmique. André Wyss (1947-2018)

Toute âme est un nœud rythmique. André Wyss (1947-2018)

Publié le par Université de Lausanne

Toute âme est un nœud rythmique. André Wyss (1947-2018)

La Direction de l’Université de Lausanne et sa Faculté des lettres ont la profonde tristesse de faire part du décès le 9 novembre 2018 de Monsieur André Wyss, Professeur honoraire et ancien Doyen de la Faculté des lettres.

 

Nommé professeur ordinaire de littérature française en 1987 à l’Université de Lausanne, André Wyss a marqué plusieurs générations d’étudiants par son enseignement de la poésie, de la versification, de la stylistique, qu’il aimait associer à la chanson française ou encore aux contraintes de l’OULIPO. Passionné par les questions du rythme et de l’image, dont il faisait un ressort énigmatique de la littérature, il reprenait inlassablement la formule de Mallarmé, « Tout âme est un nœud rythmique », afin de méditer sur les œuvres.

Décédé le vendredi 9 novembre, après une longue maladie, André Wyss laisse auprès de ses collègues et anciens étudiants l’image d’un professeur d’une grande finesse, alliant la perspicacité à la précision, l’écoute à l’empathie, aimant constamment explorer dans la discrétion de nouveaux horizons. Homme curieux, il possédait des collections impressionnantes d’enregistrements, de documents rares, dont il faisait usage dans ses cours. Vice-doyen (1999-2002), puis doyen de la Faculté des lettres (2002-2006), au moment où celle-ci vivait d’importants développements, André Wyss a également marqué ses collègues par son goût des institutions, des équilibres savants, des soins apportés aux détails, ou encore par son art d’harmoniser les sensibilités. Dans un même esprit, il a présidé de nombreuses commissions ou des prix littéraires (notamment le prix Michel Dentan) avec le désir de soutenir les jeunes auteurs ainsi que les chercheurs. Une des relations les plus intenses vécues dans ce cadre fut certainement celle qu’il noua avec Philippe Rahmy (1965-2017), d’abord son étudiant qu’il accompagna dans l’élaboration de son mémoire sur Joë Bousquet, et dont l’œuvre littéraire le bouleversait, tant par son écriture que par la puissance de vie qu’elle dégageait dans la fragilité. 

Par-delà son rôle de professeur, André Wyss fut plusieurs vies en une ; toutes accordées entre elles par le goût des lettres et de la musique, de l’harmonie peut-être : tantôt chanteur à la voix saisissante et grave (trois disques enregistrés sous le nom d’Alexandre Pertuis ; puis dans les différents chœurs qu’il a fréquentés) ; tantôt homme-dictionnaire (arbitre dans le jeu télévisé À vos Lettres). Il n’aimait guère se sentir enfermé dans des cases ou des certitudes. Truffé d’humour et de dérision, sachant que le mot ou la note justes ne suffisent jamais à produire le souffle ou l’élévation, il parcourait la littérature et la musique en homme libre, c’est-à-dire en homme critique et savant, passionné et sensible. Loin de se complaire dans un esprit théorique, il ne redoutait cependant pas les questions les plus ardues, sans avoir la tentation de les résoudre. Ainsi progressait-il de question en question dans une fugue permanente, une fugue de paroles sur la littérature, que certains dégustaient comme une figue — pour reprendre la formule de Francis Ponge qu’il aimait évoquer. Sa thèse (Jean-Jacques Rousseau, l'« accent » de l'écriture) ou ses essais (notamment Éloge du phrasé, PUF 1999, prix des Muses 2000) témoignentdes réflexions qu’il engageait sur les limites de la voix dans l’écriture, de ce qui se met subitement à sonner ou à chanter par le texte.

Profondément attaché au Jura, lui qui était né à Saint-Ursanne, André Wyss a aussi abondamment travaillé sur Alexandre Voisard (dont il a édité les œuvres chez Campiche) ou encore Jean Cuttat. Sa leçon d’honneur, publiée dans Les Échelles du texte (Études de lettres n° 1-2, 2015), donne la mesure de son travail : consacrée à Charles Racine, poète maudit jurassien, elle rend justice par l’attention méticuleuse du critique à ce qui semblait lui échapper pendant des décennies. Dans un dialogue subtil, il souligne comment la poésie peut accompagner une vie qui se tenait au bord de l’horizon, pour la remettre dans un espace commun, et la faire résonner entre nous à partir des mots laissés près d’un « ciel étonné » :

écrivant dans l’intimité d’une plume
qui souhaite la rejoindre
un homme s’en va
son pas l’amène
ses épaules échancrent le temps 
dans l’ombre qu’il emmène en conscience
cette pendule s’y balance
à portée du pas
qui précipite la route
hors du pas

Charles Racine, « Ciel étonné », 1967.

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Lire l'hommage rendu par Pierre Michot dans  Le Temps du 12 novembre 2018…