Essai
Nouvelle parution
Textuel n° 47 (2005): Comment lire Le Peuple? (Michelet)

Textuel n° 47 (2005): Comment lire Le Peuple? (Michelet)

Publié le par Nicolas Wanlin (Source : PETITIER Paule)

Textuel, n° 47:
Comment lire Le Peuple ?

Jules Michelet, Le Peuple (1846)
Textes réunis par Paule Petitier

L'oeuvre de Michelet se caractérise, à la différence des "chefs d'oeuvre intemporels" qu'aime l'histoire littéraire ,par le fait d'être datée, et pour le pire diront certains : pleine de ce qui nous paraît le rebut d'une époque (les préjugés, les stéréotypes, les amorces des turpitudes intellectuelles à venir...). Et pourtant, au lieu que cela la rende inerte, il se trouve qu'en même temps, elle s'avère incroyablement inventive, interrogative, provocante.
Significativement, deux des meilleures études consacrées à Michelet l'ont été à des moments historiques particuliers. De décembre 1942 à avril 1943, Lucien Febvre donna au Collège de France un cours consacré à "Michelet et le problème de la Renaissance". Ce qui rend son étude précieuse, c'est l'acuité avec laquelle il retrace les voies d'une invention. Comment Michelet a-t-il créé le concept historique de "Renaissance"? comment par les circonstances mêmes de sa naissance s'est-il, ainsi que le suggère le titre du cours, problématisé? Si cette étude est parmi les plus marquantes, c'est parce qu'elle restitue le frayage d'une pensée à travers un contexte et une expérience historique. Elle souligne ce en quoi l'oeuvre de Michelet est passionnante : la dynamique qui fait que la vie (l'engagement du moi dans des situations et par conséquent son engluement inévitable dans les insuffisances du moment) devient invention intellectuelle. C'est d'ailleurs cela même que Michelet cherche dans l'histoire : comment à partir du noeud parfois terriblement obscur des divers facteurs historiques se dégage et s'illumine un dessein humain.
En 1970, Gaëtan Picon écrit une longue présentation pour la réédition de L'Etudiant aux éditions du Seuil. Il propose de lire cette oeuvre, et de proche en proche de comprendre la parole historienne de /Michelet, à la lumière d'une situation toute récente dans laquelle le même public à cent vingt ans de distance, la jeunesse étudiante du Quartier latin, a joué un rôle de premier plan : mai 68. Abordant cette oeuvre comme ce qu'elle-même se proclame, une parole, il brise l'opposition entre les deux manières, tout aussi incomplètes l'une que l'autre, de lire Michelet : l'histoire des idées et l'expérience littéraire. L'histoire des idées tend forcément à objectiver le contenu de l'oeuvre et à minimiser le travail d'invention qui passe par la poétique etla pragmatique du texte. L'approche littéraire tend à minorer la capacité de cette oeuvre à penser, à faire surgir du nouveau grâce au "bricolage" (en cela peut-être littéraire) ou, pour reprendre un terme familier à Michelet, grâce à une alchimie d'idées, de sensations et de sentiments. Parce qu'elle se veut parole, c'est-à-dire pensée en acte, l'oeuvre de Michelet manifeste une pensée en train de se dégager, s'efforçant d'échapper aux déterminations de la doxa, n'y réussissant pas toujours, mais constamment tendue dans cet effort d'arrachement. "Elle n'est pas en deçà, mais au-delà des formes littéraires dont se contentent les contemporains?", dit Gaëtan Picon.
L'ensemble des études consacrées ici au Peuple s'attache, dans cette lignée, au surgissement de l'oeuvre au sein de son contexte historique et à l'invention intellectuelle qui accompagne ce surgissement. Entrecroisant les approches stylistiques, rhétoriques et historiques, la philosophie politique et la perspective de la réception, elles s'efforcent de renouer avec une conception de la littérature plus large que celle dans laquelle notre époque tend à se replier.


Sommaire :

PAULE PETITIER
Avant-Propos
Lire Le Peuple: une ambition intempestive ?

LAURENCE GUELLEC
Les enjeux rhétoriques de la lettre préface du Peuple
Comparaison avec d'autres préfaces politiques

JOËLLE GARDES ITAMINE
La langue du peuple

FRANCE VERNIER
L'évangile du peuple Aux innocents les mains vides

JEAN-CLAUDE CARON
Le " tournant " de 1845 et la prise de conscience de Michelet

PAULE PETITIER
Le mystère du Peuple

JULIETTE GRANGE
Nation et république dans Le Peuple de Michelet

JEROME GRONDEUX
Péguy, Michelet et l'idée de " peuple "

GEORGES BENREKASSA
Le retour vers l'origine: du Peuple à Une saison en enfer

BIBLIOGRAPHIE

Revue de l’UFR " Science des Textes et Documents "
Université Paris 7 — Denis Diderot

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