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Télévision et Justice : représentations, interactions, fonctions

Télévision et Justice : représentations, interactions, fonctions

Publié le par Sophie Rabau (Source : Marie-France Chambat-Houillon)

La revue CIRCAV, Cahiers Interdisciplinaires de la Recherche en Communication AudioVisuelle (GERIICO, Université de Lille 3) fait appel à des communications écrites pour leur vingt-et-unième numéro dont la thématique porte sur la télévision et la justice. L' objectif est de comprendre les liaisons entre l'institution judiciaire, socle fondamental de notre société de droit et un des médias dominant l'espace public, la télévision.

 Les propositions d'articles devront être envoyées au plus tard le 31 octobre 2008, les articles, le 30 avril 2009. Les deux seront rédigés en double exemplaire et envoyés aux deux co-coordinateurs : à Michel Chandelier, administrateur culturel du CIAM (Centre d'initiatives artistiques de l'Université de Toulouse le Mirail) et membre du Lara (Laboratoire de recherche en audiovisuel) de l'Université Toulouse le Mirail (m.chandelier@univ-tlse2.fr) et, à Marie-France Chambat-Houillon, MCF à Paris 3 Sorbonne-Nouvelle et membre du CEISME (centre d'études sur les images et les sons médiatiques) (marie-france.chambat-houillon@univ-paris3.fr).

Télévision et justice : représentations, interactions, fonctions.


Il semblerait que ces dernières années sur les chaînes de télévision françaises, nous assistions à un essor du thème de la justice –entendue ici comme institution et exercice d'un pouvoir. Quittant le prétoire, le magistrat devient ainsi un personnage familier du récit d'enquête, le plus souvent à travers la figure du juge d'instruction qui tend à concurrencer celle de l'avocat, et dispute même parfois le premier rôle au policier.

Mais la télévision ne se contente pas de promouvoir cette identité fictionnelle, ni de multiplier les débats sur la question. Elle peut s'impliquer elle-même, en organisant des médiations et en se substituant aux tribunaux pour régler des différends demeurés en suspens à l'exemple de l'émission Sans aucun doute présentée par Julien Courbet qui prétend relayer le dispositif judiciaire pour combattre les « injustices et les arnaques » (TF1, janvier 1994-juin 1998).

L'importance de ce thème à la télévision se mesure aussi à la couverture notoire qu'elle assure des affaires retentissantes dans lesquelles, parfois, elle se montre susceptible d'orienter la perception de son public au risque d'une erreur dans l'appréciation des faits. Elle s'évalue également aux efforts que le média déploie pour convaincre et imposer une « bonne » lecture tout en déniant construire un jugement médiatique qui pourrait ou non s'écarter de celui de la chose jugée.

Ces changements sont-ils le résultat des évolutions internes au média, de son influence sur la justice et la société ou traduisent-ils les attentes de cette dernière ? Ce qui semble être un renouvellement des formes d'accès au sujet de la justice combinant, entre autres, reconstitution, images d'archives et récit inventé dans un « docu-fiction » est-il l'expression de nouvelles relations entre l'institution médiatique et l'institution judiciaire ?

Il convient aussi de s'interroger sur la rapidité que semble adopter la télévision dans la conversion en fiction de faits divers actuels, entre autres, L'affaire Villemin (téléfilm de Bonitzer et Peck, octobre 2006, France 3). La mise en récit fictionnel est-elle imputable à une simple évolution de la fonction médiatique de la télévision ou bien la place actuelle de la justice -et son évolution interne- dans notre société y contribue-t-elle aussi ?

L'objectif de ce numéro est d'identifier la nature des relations entre justice et télévision en comprenant bien que ces interactions s'inscrivent dans une société et s'adresse à elle.  Pour tenter de répondre à ces questions, quatre axes de réflexions sont proposés. Composables entre eux, ils n'épuisent pas la thématique. Les questions ne sont que des exemples possibles et n'ont pas la prétention de saturer l'ensemble des recherches sur ce thème.

Les articles privilégieront le cas français pour mieux cerner le thème dans un cadre précis, mais néanmoins des communications relatives à d'autres sociétés pour mettre en regard diverses situations et effets de cette relation dans des contextes différents pourront être envisagées


I)Panorama des formes, figures et dispositifs à la télévision française.

Très présent à la télévision, notre objet – la justice - traverse les frontières génériques et les régimes d'énonciation des programmes. Ainsi, à 20 heures, en adoptant une visée informative, la télévision rend compte de la chose jugée dans le JT. Puis la justice peut constituer le cadre d'un récit fictionnel en prime time (Boulevard du palais, Femmes de loi, Alice Nevers, le juge est une femme). Il arrive aussi qu'elle puisse parfois être au centre d'une discussion « sérieuse » entre experts et témoins ( débat exceptionnel de Faîtes entrer l'accusé, « Que faire des multirécidivistes ? », France 2, 28 mai 2008) ; voire même fonder les possibilités d'une réflexion critique de la télévision sur ses pratiques médiatiques, pour preuve le reportage sur les coulisses d'un procès récent (Procès Fourniret : les diaboliques à la une,  France 5, dimanche 22 juin 2008).


Mais est-ce toujours la même justice dont il est question dans ces différents états télévisuels ? S'établiront dans cette partie la place et la finalité du thème de la justice dans les grilles récentes de programmes des chaînes de télévision françaises accompagnés de l'analyse de son traitement, soit dans une émission particulière, soit au sein d'une collection ou encore dans un genre précis. Les contributeurs s'attacheront aussi aux différents régimes des programmes : informatif, documentaire, polémique, de divertissement ou encore à leur dispositif (plateau, reportage, reconstitution, …) où il arrive que la justice soit parfois sujet, parfois objet. Selon les genres, un panorama identifiant les différents types de justice représentés à la télévision pourra se construire : justice pénale, civile, commerciale, administrative… Quelle justice pour quel programme ?

II) Trajectoires de la représentation de la justice à la télévision française.

Le téléspectateur français a-t-il toujours eu affaire aux mêmes programmes, aux mêmes figures de justice, aux mêmes dispositifs ? Dans le cadre d'une histoire générale des programmes de télévision, comment la médiatisation/représentation de la justice peut-elle y participer?
Plusieurs perspectives pourront être envisagées, couvrant les spécificités syntaxiques et sémantiques internes aux émissions jusqu'à leur identité générique, voire leur programmation sur différentes chaînes (thématique/généraliste, privée/publique, …)

Concernant les émissions journalistiques, les enjeux des modalités du rapport à la réalité judiciaire pourront être évalués : reconstitution, archive, entretien, etc. Existe-t-il des préférences selon les époques ? Ainsi la figure du chroniqueur judiciaire dont Frédéric Pottecher est l'emblème pourra être commentée en liaison avec le type de traitement fait à l'information judiciaire. A-t-elle vraiment disparue ? S'est-elle déplacée, reconfigurée dans la catégorie plus large des journalistes spécialisés ?

Il peut aussi être judicieux d'évaluer comment la télévision publique rend compte dans ses journaux de la mise en cause de la justice dans certaines affaires concernant l'Etat et le pouvoir politique et comment réagit-elle à des crimes estimés monstrueux ? Dans quelle mesure, l'essor à la télévision des questions de justice hérite-t-il de la dérive de l'affaire Grégory (depuis 1984) ou de la diffusion, à vertu pédagogique autant que symbolique, du procès Barbie ?(Chaîne Histoire, 1987)

Pour la fiction
La RTF, puis l'ORTF affectionnaient les séries judiciaires comme En votre âme et conscience (émission de Desgraupes, Dumayet et Barma, créée en février 1956) ou Messieurs les jurés (1974-1986, Antenne 2) impliquant le téléspectateur dans son dispositif en tant que juré. Comment saisir ces dispositifs ? Sont-ils dépendants du traitement de la « justice » ou bien renvoient-ils à une rhétorique télévisuelle partagée par d'autres émissions de l'époque ? Une attention particulière pourra être portée à la place (variable ou non ) des téléspectateurs dans ces dispositifs.

De façon générale, nous pourrons également penser à interroger les limites des genres fictionnels  mettant en scène les hommes de loi. Dès lors il semblerait pertinent d'appréhender les facteurs de l'apparition dans les années 70 de la figure du juge d'instruction dans les fictions télévisuelles. Si la distinction entre série judiciaire et série policière à la télévision, présente dans les années 60, semble actuellement s'estomper, comment saisir la recomposition des territoires génériques fictionnels ? Double-t-elle l'importance accordée au traitement journalistique des faits de justice ? Ou bien les fictions de justice empruntent-elles leur modèle hors du télévisuel (compte-rendu presse écrite, cinéma, etc.) ?

En effet interroger la thématique de la justice permet-il de comprendre la perméabilité des genres télévisuels ? Un parallèle est-il envisageable entre l'évolution des fictions et le traitement journalistique de la justice ?


III) Confrontations, collaborations ou interactions : quelles relations entre télévision et institution judiciaire ?

L'évolution des relations entre l'institution judiciaire et la télévision découle à la fois de mutations sociétales et de celles du paysage audiovisuel national durant les années 80. Est-il possible que certaines chaînes en arrivent à ne plus toujours servir la justice, mais à gêner parfois son bon fonctionnement, voire à le contester pour satisfaire leur audience ? Comment à travers les représentations de la justice, des enjeux identitaires pour une chaîne se composent-ils ?

En même temps, le pouvoir politique et ses institutions mesurent l'intérêt d'utiliser la télévision pour atteindre leurs objectifs. La mise en évidence des dysfonctionnements de l'institution encourage-t-elle la télévision à réhabiliter son image mise en cause ou, au contraire, à stimuler la polémique ?

Que signifie, pour le média et pour la justice, le fait de diffuser en direct et in extenso, une commission, présidée par le député P.Houillon, revenant sur la procédure aboutissant au jugement d'Outreau ? De façon générale, quelles sont les répercussions sur le traitement médiatique d'une affaire judiciaire quand l'information n'est plus seulement limitée à la grande messe du 20 heures, mais s'inscrit dans le flux perpétuel des chaînes d'information continue ?

Jugement médiatique et jugement judiciaire sont-ils réellement en concurrence auprès des téléspectateurs citoyens ? Ou développent-ils des logiques de mutualisation ?


IV) Symptômes, reflets ou miroirs. Comment les émissions de justice parlent de la société et de son époque ?


Si nous pouvons forger l'hypothèse que la télévision des premières décennies soumise au contrôle étroit de l'Etat assignait à l'expression du thème de la justice la mission de légitimer les institutions et de défendre l'ordre social, l'évolution des représentations du sujet aujourd'hui interroge à nouveau sa fonction.

Les formes repérées dans les programmes télévisuels ne traduisent-elles pas, au-delà du sujet lui-même, les tensions d'une société complexe qui a pris la mesure de ses faiblesses ? L'actualité n'a-t-elle pas commué la justice intangible, sûre de ses lois et de ses sentences en une institution faillible dont la société discute maintenant les actes, quand elle n'en fait pas à son tour le procès ?

De son côté, l'évolution de la société crée des déséquilibres et des nouvelles obligations que la loi et la justice peuvent corriger ou prendre en compte. Les représentations actuelles ou récentes du thème à la télévision ne visent-elles pas à entériner ces changements pour donner à partager un ensemble réaménagé de valeurs communes ? Dans quelles mesures, la justice à la télévision se décline comme la justice par la télévision en tentant de suppléer à la justice officielle, la construction d'un sentiment de justice pour les téléspectateurs/citoyens ?
La télévision occupe-t-elle alors la place laissée vacante par le recul du politique ?

Marie-France Chambat-Houillon, maître de conférences Paris 3/CEISME et Michel Chandelier, administrateur culturel du CIAM, Université de Toulouse Le Mirail / LARA.