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Tammsaare et ses voisins

Tammsaare et ses voisins

Publié le par Matthieu Vernet (Source : Katre Talviste)

« Tammsaare et ses voisins »

28 septembre 2013

Paris



« J’ai rarement lu un livre plus beau », déclarait Jean Giono à propos du premier volume de La Terre-du-Voleur, il y a de cela près de soixante-dix ans. En 2009-2010, les éditions Gaïa ont publié, sous son titre véritable de Vérité et justice, une nouvelle traduction française du roman écrit par A. H. Tammsaare entre 1926 et 1933. (La Colline-du-Voleur, 2009, trad. J. P. Ollivry ; Indrek, 2009, trad. J. P. Ollivry ; Jours d’émeutes, 2009, trad. J.-P. Minaudier ; Indrek et Karin, 2010, trad. E. Toulouze ; Retour à la Colline-du-Voleur, 2010, trad. J. P. Ollivry.)

Alors que Giono avait lu une adaptation parue dans les années quarante, effectuée à partie d’une traduction allemande qui se basait elle-même sur un texte abrégé par l’auteur, le lecteur français dispose aujourd’hui d’une version fiable et complète de cet imposant monument de la littérature estonienne.

Toutefois, un livre ne saurait se contenter des couronnes qu’on lui a tressées dans le passé, ni d’un quelconque statut de « monument » : il doit susciter un plaisir de lecture toujours renouvelé, des questions, des objections, le désir d’interpeller d’autres lecteurs. Nous invitons tous ceux qui aimeraient bousculer le piédestal sur lequel les louanges ont placé les cinq volumes canonisés de Vérité et justice à venir échanger leurs points de vue le 28 septembre 2013, à l’occasion d’un colloque qui se tiendra à Paris. Les exposés peuvent s’appuyer sur l’œuvre dans son entier, sur l’un des volumes ou sur un extrait. Pour trouver plus facilement une langue commune aux travaux, que l’on souhaite inscrits dans une démarche comparatiste, nous proposons de partir, lors du choix du thème d’un exposé, d’une ou de plusieurs des problématiques suivantes :

* L’intellectuel comme héros de roman et comme antihéros

«ils veulent en faire un voleur de chevaux… ils convoitent tous son âme» (t. I)

L’éducation sauve-t-elle l’individu, et l’individu éduqué la société, ou, à l’inverse, les
connaissances et la réflexion privent-elles l’homme de l’espérance qu’il pourrait autrement nourrir ? Comment Tammsaare se positionne-t-il par rapport à la compréhension du rôle de l’intellectuel dans la société et de l’intellect dans l’existence humaine, telle qu’elle se fait jour au tournant des XIXe et XXe siècles ?

* Le progrès, possible et impossible

«je ne peux quand même pas continuer à marcher à quatre pattes quand je serai grande» (t. II)

L’une ou l’autre des « vies », individuelles ou collectives, présentées dans Vérité et justice,
doivent-elles nous convaincre qu’une paralytique peut marcher, que des serfs peuvent
constituer un État, qu’un marécage peut être transformé en prairie ? Comment comprendre les quelques « miracles » que présente Tammsaare au sein du maquis des illusions brisées : s’agit-il des dernières valeurs dont on ne veut pas démordre, ou celles-ci se positionnent-elles au contraire, finalement, par-delà les limites du réalisme ?


* Un nécessaire et envahissant discours

«c’est quoi, leur liberté, quand il y a quelqu’un qui frappe à ta porte à cinq heures du matin?» (t. III)

Le roman de la défense des prairies contre les inondations et les crues trouve, au terme des efforts de deux générations successives, une conclusion heureuse. Mais qu’en est-il du roman de l’engloutissement sous les crues discursives, que celles-ci expriment les valeurs bibliques, la propagande nationale, le pathos révolutionnaire, la condition féminine ou les bizarreries des univers individuels ? Comment décrire le charme, ou l’ennui, que dégagent les innombrables péroreurs qui peuplent Vérité et justice ? Ces derniers ont-ils de la parentèle dans d’autres littératures ?
 

* Construire une culture, éternellement

«arriver en retard au café, cela voulait pour ainsi dire renoncer à son statut, alors qu’arriver en retard pour prendre un train ce n’était tout simplement qu’un retard» (t. IV)

Les petites cultures que le réveil du XIXe siècle a fait germer ou a réveillées souffrent
invariablement de la hantise d’être en retard. Chez Tammsaare lui-même, la première
génération de personnages veut arriver quelque part, tandis que leurs descendants cherchent de plus en plus à rattraper quelqu’un ou quelque chose : la culture, l’Europe, la société. Les efforts des uns ne sont pas forcément plus adaptés à leur objet que ceux des autres, mais ces tentatives suscitent-elles la même empathie, et les risques d’échec sont-ils comparables ?

* Poétique du réalisme, poétique des réalités

«on aurait évité une guerre mondiale si on avait fait davantage de sport, et vous, vous avez peur de me prêter votre vélo !» (t. V)

L’attention que Tammsaare porte au monde est sans doute impitoyable par sa sobriété, sa justesse et sa précision, mais cela ne l’empêche pas de décrire également l’idéalisme, le lyrisme et la naïveté des hommes (y compris lui-même). Si sa réputation de grand réaliste est justifiée, c’est peut-être en ceci que, tout comme il existe une réalité matérielle, économique et sociale, il y a aussi une réalité psychologique, une réalité des rêves et des illusions, ou une réalité linguistique. Comment celles-ci se percutent-elles, ou s’harmonisent-elles, dans le monde de Tammsaare ? Ce monde entre-t-il en résonance avec d’autres, au sein de la littérature européenne ?

On peut proposer un exposé traditionnel (d’une durée de 20 minutes et suivi de 10 minutes de discussion) ou des discussions dirigées à partir de textes (5 à 10 minutes pour présenter la problématique, puis 20 à 30 minutes de discussion). Dans un cas comme dans l’autre, il convient d’envoyer avant le 31 mai 2013 le thème et/ou le titre de l’exposé, avec références aux volumes concernés, à l’adresse katre.talviste@ut.ee

Dans le cas d’un exposé traditionnel, ces références peuvent être vagues (indication du(des) tome(s) ou du(des) chapitre(s)) ; pour une discussion, nous vous demandons d’indiquer avec précision l’extrait que vous souhaitez utiliser (jusqu’à 2 pages, ou jusqu’à 5 pages si vous souhaitez y joindre des textes d’autres auteurs à des fins de confrontation).

Le comité scientifique
 

Organisation:

Institut scientifique français (Tartu)
Institut national des langues et civilisations orientales (Paris)

Comité scientifique:
Philippe Chardin, professeur de littérature comparée, Université de Tours
Valerie Deshoulières, professeur de littérature française, Université de Sarrebrück
Jeanne E. Glesener, assistant-chercheur en littérature luxembourgeoise et comparée
Florence Godeau, professeur de littérature générale et comparée, Université Lyon 3
Françoise Lavocat, professeur de littérature comparée, Université Paris 3
Anne-Marie Le Baillif, critique
Tanel Lepsoo, lecteur de littérature française, Université de Tartu
Stephane Lojkine, professeur de littérature française, Université d’Aix-Marseille
Katre Talviste, assistant-chercheur en littérature comparée, Université de Tartu