Questions de société

"Son Excellence l'excellence": radiographie d'une imposture(2), par P. maillard (29/03/11)

Publié le par Bérenger Boulay

Après le dévoilement des 100 laboratoires d'excellence, Pascal Maillard, membre de Sauvons l'université et du groupe de recherche POLART, prolonge son étude de la politique «d'excellence» et dénonce le scandale financier du recours massif à des cabinets de consultance. Il appelle à une remise à plat complète des procédures du Grand Emprunt.

http://blogs.mediapart.fr/edition/les-invites-de-mediapart/article/290311/son-excellence-lexcellence-radiographie-dune-im

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«Son Excellence l'excellence»: radiographie d'une imposture (2)

Le premier volet de cette étude était politique. Le second entend apporter une contribution plus démonstrative à la critique de la politique d'excellence mise en oeuvre par le gouvernement. Celle-ci change tous les paradigmes de la recherche et de la production du savoir -qu'ils soient institutionnels, académiques ou scientifiques- en les soumettant à l'idéologique et à l'économique. Avec ce qu'on nomme improprement «politique d'excellence», il ne s'agit pas d'une simple réforme ou d'une évolution du système d'enseignement et de recherche, mais d'une «révolution», au triple sens d'un changement brusque et profond des structures externes de la production scientifique, d'une transformation interne de ses conditions de production et de diffusion et d'une liquidation pure et simple des conceptions et des valeurs attachées à la l'université et à la recherche. Il s'agit d'une révolution libérale et autoritaire, ce qui n'est pas une contradiction dans ce beau pays qu'est la Sarkozie.

Valérie Pécresse parlait en septembre 2010, au moment du lancement de la politique d'excellence, de «la révolution culturelle de l'université française», initiée par l'autonomie en 2007, prolongée par le Plan Campus en 2008 et parachevée par les «Investissements d'Avenir» en 2010 et 2011. Cette «révolution culturelle» est conduite dans un temps record et au rythme actuel, il est manifeste qu'elle sera totalement achevée en 2012 et qu'il sera bien difficile de la réorienter ou d'en limiter les conséquences délétères. Elle s'applique avec une radicalité, une efficacité et une violence d'autant plus insidieuse qu'elle prend l'apparence très libérale d'appels à projets et repose sur une intense communication célébrant un effort financier hors du commun.

Mais la manne du Grand Emprunt cache bien plutôt un véritable scandale financier et un début de fiasco institutionnel. Dans le même temps, elle programme un désengagement massif de l'Etat. Pour élaborer leurs projets d'excellence, les universités dépensent des millions d'euros auprès de cabinets de conseil et dilapident ainsi l'argent du contribuable à la seule fin de participer à un concours national dont le jury et les procédures sont en partie décrédibilisés. Le dévoilement en grandes pompes, ce vendredi 25 mars à Matignon, des 100 laboratoires d'excellence (Labex) sélectionnés, après retard, protestations et repêchages, clientélisme et choix politiques, «fuitex» et «patouillex», ne rassure personne. Pas plus que les sept Idex pré-sélectionnés, dévoilées le même jour à 21h avec trois jours d'avance. Le TGV chaotique de l'excellence serait-il sur le point de dérailler? Il est encore un peu tôt pour le dire même si certains commencent à sentir une catastrophe venir.

Pour bien saisir de quoi il retourne et rétablir quelques faits contre les mensonges et les leurres véhiculés par la propagande ministérielle, pour tenter aussi de lutter contre la désinformation de l'opinion publique et des universitaires eux-mêmes, j'offre aux lecteurs de Mediapart, profanes en matière de Grand Emprunt ou un peu avertis, six petites monades de résistance à l'esprit de l'excellence. Si elles s'enchaînent logiquement, elles peuvent aussi être lues indépendamment les unes des autres.

Le processus des appels à projets lié au Grand Emprunt est complexe. J'essaie d'exposer simplement ce que sont les «Investissements d'Avenir» (1), en mettant l'accent sur quelques vices inaperçus. Une lecture du texte de l'appel à projet Idex (2) montre ensuite une stratégie délibérée visant à redéfinir la carte territoriale de la recherche française (3) au profit de quelques grands pôles : l'Ouest, le Centre et le Nord de la France semblent promis à un grand désert de chercheurs. Les conditions inadmissibles d'élaboration des projets (4) témoignent d'un véritable viol des universités. Les modalités de ce forçage sont principalement une entreprise inédite de communication (5) qui tient à la nature même de la nouvelle excellence qu'on cherche à imposer. L'ensemble de cette politique devrait aujourd'hui inciter les chercheurs et les universitaires à faire valoir l'intelligence contre l'excellence (6), à marquer fermement leur opposition à cette déstructuration de la recherche française et à exiger une remise à plat complète des procédures du Grand Emprunt.

1. Que sont les « Investissements d'Avenir »?

Troisième grande étape de la «révolution culturelle de l'université française», les «Investissements d'avenir» sont composés d'un ensemble d'appels à projets dont l'Initiative d'excellence (ou Idex) est le plus important, doté de 7,7 milliards sur les 21,9 milliards consacrés à l'enseignement supérieur et la recherche dans le cadre du Grand Emprunt. L'Idex suit chronologiquement l'appel «Equipements d'excellence» (Equipex) dont les résultats de la première vague ont été dévoilés le 20 janvier 2011 -52 projets sélectionnés sur 336 déposés alors qu'on attendait une centaine de lauréats- et l'appel «Laboratoires d'excellences» (Labex) dont on vient de découvrir les 100 premiers lauréats sélectionnés parmi 241 projets remontés des universités.

Les appels à projets se déroulent en plusieurs vagues jusqu'en 2012, ce qui permettra aux recalés de persévérer, ou à de nouveaux candidats de se présenter, même si on ne sait pas toujours quand et selon quelles modalités. Les dotations sont composées d'une part consommable (réduite) et d'une part issue des intérêts de la dotation. Ainsi, par exemple, si une université ou un PRES (Pôle de recherche et d'enseignement supérieur) reçoit en dotation un milliard dans le cadre de l'Idex, il bénéficiera en revenu annuel d'une somme comprise entre 30 et 40 millions d'euros, soit l'équivalent des intérêts générés par le placement de cette dotation.

Notons que la communication gouvernementale et certains médias jouent habilement sur la confusion facile entre le montant de l'emprunt et les intérêts, si bien que certains Français ont fini par croire que les universités étaient généreusement arrosées de milliards. Pour donner un ordre d'idée objectif d'une université dotée d'un milliard, ceci pourra constituer une augmentation de 10% à 15% de son budget récurrent consacré à la recherche. C'est important, mais en aucun cas mirifique, surtout quand on sait que dans le même temps le budget récurrent du CNRS diminue d'autant. Il faut bien garder à l'esprit ce jeu potentiel de vases communicants entre le budget de l'Etat qui est alloué à toutes les universités et organismes -et qui n'augmente pas contrairement à ce que dit Valérie Pécresse- et le financement du Grand Emprunt destiné aux seuls «excellents», soit au mieux 20% de nos chercheurs.

L'action Equipex, dotée de 1 milliard dont 40% consommable (260 millions immédiatement utilisables ont été attribués lors de la première des trois vagues), concerne les équipements de recherche: centres de données, plates-formes de simulation, observatoire... L'action Labex, également dotée de 1 milliard avec une part consommable de 10% seulement, vise, selon la présentation de l'ANR (Agence Nationale de la Recherche qui pilote les «Investissements d'Avenir»), «à doter les laboratoires ayant une visibilité internationale de moyens significatifs pour leur permettre de faire jeu égal avec leurs homologues étrangers». Un projet de Labex repose concrètement sur un laboratoire ou un réseau de plusieurs laboratoires évalués A+ par l'AERES (Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur), c'est-à-dire ceux qui sont aujourd'hui considérés comme les meilleurs.

Contrairement à ce qu'on aurait pu imaginer, les jurys de ces grands concours nationaux ne sont pas issus de l'AERES, mais sont internationaux, ceci afin de conformer notre «révolution culturelle» aux standards de la mondialisation et à l'excellence des meilleures universités de la planète selon le modèle imposé par le classement de Shanghai. Si la composition des jurys Equipex et Labex est connue, celle de l'Idex reste étrangement à demie secrète alors que la Ministre avait promis la transparence. Philippe Jacqué, journaliste au Monde peu suspect de «résistance» à la politique gouvernementale, chemine vers l'excellence critique et découvre enfin matière à «polémique» en lisant dans certains résultats de l'Idex «un choix très gouvernemental». Celui-ci aurait été orienté par Philippe Gillet, ancien directeur de cabinet de Valérie Pécresse, et Philippe Aghion, auteur du fameux rapport sur «L'excellence universitaire» commandé par la Ministre et fort bien commenté par Christophe Pebarthe ici-même. Tous deux sont membre du jury de l'Idex, malgré les risques évidents de conflits d'intérêt (voir ici). L'impartialité et l'objectivité du jury constituent la première Arnaquex. La Sarkozie est décidément incurable. Un blogueur averti, Pierre Dubois, chante avec justesse que « Les Idex ne font pas le printemps ».

2. L'Idex dans le texte

Selon un modèle de type constructiviste, ou plus simplement selon une logique d'empilement de briques, les Equipex constituent la base «matérielle» du nouvel édifice; les Labex en sont comme la matière grise, répartie en configurations infiniment variables, mais selon un critère important de taille «critique» (les petits repasseront); les Idex viennent couronner le tout en sélectionnant quelques rares et grands pôles de recherche (7 pré-sélectionnés sur 17 candidats, entre 5 et 10 au final) destinés à rassembler les forces les plus excellentes selon une logique de répartition territoriale très politique. Mais si les universités et les PRES concourent trois fois, il est exclu qu'ils gagnent au Loto à trois reprises comme certains le croient encore aujourd'hui. En effet les dotations Labex et Idex ne sont pas cumulables. Cette limitation de la manne est clairement stipulée dans le texte de l'ANR: «Les fonds des Initiatives d'excellence et des Laboratoires d'excellence n'étant en revanche pas cumulables, un Laboratoire d'excellence relevant d'une Initiative d'excellence reçoit le soutien qui lui a été accordé dans le cadre du dispositif d'allocation propre à l'Initiative, une fois celle-ci désignée». Les lauréats de l'Idex n'auront droit qu'aux dotations de l'Idex. Le gouvernement a inventé un concours qui annule les bénéfices du concours précédent. Seconde Arnaquex.

Une lecture rapide du texte de l'appel à projets Idex, logiquement très proche de celui des Labex, permet de dégager trois traits remarquables de la politique d'excellence telle que notre gouvernement la conçoit. L'excellence vise tout d'abord à récompenser ceux qui sont déjà excellents, ou supposés tels selon l'évaluation du «jury ministériel»: «Les candidatures d'Initiatives d'excellence devront faire la démonstration de leur qualité au moment du dépôt du projet (excellence de l'existant)». Est excellent celui qui est arrivé. Le risque n'est-il pas alors que le lauréat, une fois devenu plus gros et plus riche, ne s'assoie? Ne va-t-on pas fabriquer des Assis de l'excellence, à rebours des intentions affichées? Quoi qu'il en soit, les universités et les PRES concourent bien pour confirmer et renforcer une excellence déjà là. Les Idex récompensent certes un projet, mais elles visent moins à faire émerger une nouvelle excellence qu'à labelliser et doter une excellence déjà existante selon des critères désormais définis en dehors de l'université et de la recherche française. Ce qui est aussi une manière de confirmer, quoi qu'en ait dit notre président, que la recherche française n'est pas si «médiocre» que cela !

Les Idex ont pour second trait remarquable d'être soumises à un impératif de «visibilité internationale» et à un «effort permanent de benchmarking international». Pour cela la compétition doit devenir l'objet même du projet: «S'agissant de leur projet, il devra définir son niveau d'ambition dans la compétition mondiale et préciser, notamment, à quels campus internationaux il souhaite se comparer.» Cette demande explicite de comparaison et de recherche de modèle international en dit long sur l'abdication de toute quête d'une spécificité ou d'une originalité nationale. L'imposition des techniques stratégiques du marketing vise à transformer définitivement les universités en entreprises de stature internationale. Plus avant, l'université française est appelée à se renouveler par une importation massive des excellents étrangers, avec bien peu de considération pour la qualité des chercheurs, des jeunes chercheurs et des étudiants français. Les Idex doivent se développer «en recrutant des chercheurs et des équipes de renommée mondiale et en attirant les meilleurs étudiants». Les chercheurs ainsi que les étudiants sont ainsi considérés comme des valeurs sur le marché mondial de la science. Personne ne s'est encore étonné ou même scandalisé que les appels à projet se focalisent principalement sur une valorisation par l'attraction des chercheurs et étudiants étrangers et non comme cela devrait aller un peu de soi, sur les conditions d'une élévation de la qualité de la recherche française par nos propres chercheurs et au bénéfice de nos propres étudiants, lesquels n'apparaissent qu'en filigrane dans les textes de l'ANR. C'est que l'idéologie de l'excellence repose sur un axiome sans cesse répété et dont personne n'a fait la démonstration: la concurrence avivée par l'importation des meilleurs serait vectrice d'émulation. A moins qu'il ne s'agisse aussi de faire payer à des étudiants étrangers des droits d'inscription dignes d'universités américaines...

La troisième caractéristique de l'excellence française est la concentration extrême des moyens sur des périmètres d'excellence très ciblés et donc très limités. Ceux qui croient encore aux sirènes locales (je pense aux discours de certains présidents d'université) et nationales de «l'excellence partout et pour tous» (Arnaquex numéro 3) en seront pour leurs frais. La logique, qui a sa cohérence propre, est d'en finir définitivement avec le saupoudrage des moyens et de procéder à une concentration sur ceux que les jurys auront considérés comme les meilleurs. Le texte est explicite: «Les financements du projet d'Initiative d'excellence au titre du programme « Investissements d'avenir » devront faire l'objet d'un engagement du porteur quant à leur concentration sur le périmètre d'excellence». Ce qui à ma connaissance est passé inaperçu est l'obligation de concentrer également les moyens récurrents des universités et des organismes de recherche sur ledit périmètre: «Les actions des Initiatives d'excellence mobiliseront à la fois ces financements et les financements récurrents des institutions présentes affectées à ces sites (moyens en personnels et infrastructures notamment) et auxquels ils s'ajoutent». Le démantèlement administratif du CNRS et sa fusion-dissolution programmée au service (au sein?) des Idex s'inscrivent parfaitement dans cette logique de double concentration. En cas de sous-dotation des Idex il est évident qu'il y aura de fortes ponctions sur les moyens pérennes, au risque d'asphyxier et de voir disparaître des projets, des laboratoires et des secteurs disciplinaires qui ne seront pas dans le périmètre d'excellence. Quand ce ne sont pas des territoires entiers qui seront menacés. Les résultats des concours Equipex et Labex montrent que ce ne sont plus aujourd'hui des craintes, mais des faits.

3. Concentration et reterritorialisation de la recherche

La logique de chaînage des trois appels à projets conduit automatiquement à concentrer les moyens sur quelques sites amenés à devenir les pôles d'excellence du territoire français. Comme il est difficile de concevoir des laboratoires et des Idex sans les infrastructures nécessaires au développement de la recherche, les Equipex ont eu un rôle inducteur et ont probablement orienté les choix des deux autres jurys. A moins que la carte n'ait été dessinée à l'avance par un axe Bruxelles/Matignon et que quelques brouillons aient circulé dans le premier jury. Mais faisons le pari de l'indépendance et de l'intégrité des jury internationaux et contentons nous d'observer les résultats des concours qui nous sont désormais connus.

Il est tout d'abord très instructif de superposer les cartes de la répartition territoriale des Equipex et des Labex. Trois faits sauteront aux yeux de chacun: l'Ile-de- France concentre plus de la moitié des Equipex et des Labex; les universités qui sont à l'est d'une ligne Strasbourg-Bordeaux sont assurément les mieux loties avec une forte concentration de projets, en plus des deux précédentes, à Lyon, Grenoble, Aix-Marseille, Montpellier et dans une moindre mesure Toulouse; le Centre, l'Ouest et le Nord, malgré quelques Equipex, accusent le coup d'une grave désertification. Alors qu'une réflexion stratégique un peu approfondie en matière de répartition territoriale aurait pu et certainement dû conduire à valoriser les régions que les Equipex avaient commencé à soutenir un peu (Bretagne, Pays de Loire, Nord-Pas de Calais), le jury des Labex, avec une grave inconséquence, a massacré, entre autres, Lille, Rennes, Orléans, l'Université de Lorraine et la Franche-Conté. Il se passera peu de temps avant que cette cécité politique du jury ne fasse beaucoup de bruit du côté des élus, des universitaires et des chercheurs de toutes ces régions, dont les établissement sont pourtant regroupés dans des PRES ou en voie de fusion. Les très gros lots attribués à Paris et l'Ile-de-France laisseront songeurs ceux qui espèrent encore un peu d'une politique de décentralisation.

C'est que les cartes dessinées par les résultats des concours reproduisent assez fidèlement des priorités économiques et industrielles qui croisent fortement une distribution territoriale des secteurs disciplinaires. Il a ainsi été décidé en haut lieu que l'Ile-de-France concentrerait l'essentiel de la recherche en SHS au risque des créer un appauvrissement des Humanités sur l'ensemble du territoire. Notons au passage qu'une lecture attentive des 26 projets en SHS montrerait qu'il s'y trouve quelques intrus relevant d'autres secteurs -aurait-on voulu gonfler cette liste?-, que les Lettres proprement dites y ont une place plutôt réduite et que la majorité des projets semble rechercher des débouchés économiques et orienter les formations vers une professionnalisation certaine.

Ainsi encore, il est manifeste que le secteur Biologie-Santé, qui se taille la part du lion avec les autres sciences «dures», est dévolu à Strasbourg et Bordeaux et que l'Energie se concentre en Rhônes-Alpes et en PACA, si l'on excepte Nice qui n'a pour l'heure que du Numérique. Seul l'Environnement semble échapper à cette logique d'affectation territoriale de dominantes sectorielles, ce qui est certainement une bonne chose. Mais il est à craindre que les prochaines vagues d'appels à projets ne mettent les jurys devant la lourde tâche de corriger les erreurs et d'amender les premières copies qui commencent à faire des vagues d'une toute autre nature. C'est que les conditions inadmissibles d'élaboration des projets affecteront durablement les universités comme leurs personnels. Elles ont aussi déterminé la nature même des projets et donc les choix des jurys.

4. Les conditions d'élaboration des projets : un viol des universités

Je sais la force du mot. Mais il est précis, et en ce cas très exact. L'excellence a violé trois fois les universités. Et ce viol a été collectif et répété. Une première fois par le gouvernement qui n'a pas témoigné du respect élémentaire des enseignants-chercheurs et des chercheurs en leur imposant un calendrier inadmissible. Une seconde fois par la majorité des équipes de direction des universités qui, malgré quelques protestations formelles sur des calendriers délirants, ont non seulement joué à plein le jeu de la concurrence en poussant à des élaborations opaques, en comité restreint, mais ont aussi contourné systématiquement les conseils centraux de leurs établissement qui n'ont pu ni conseiller, ni statuer sur les projets. Une troisième fois par des cabinets privés, auxquels on a certes fait appel -ici encore sans la moindre consultation des conseils centraux et parfois sans accords d'engagement financier-, mais qui ont été très peu respectueux de la culture scientifique des chercheurs et se sont fait grassement payer pour des conseils et des rédactions souvent médiocres, médiocres, même s'il faut concéder que celles-ci étaient très bien adaptées à la nature de la demande.

Mais il faut peut-être d'abord rappeler le contexte dans lequel les projets d'excellence ont été élaborés. En juin 2010, quand est publié l'appel à projet Equipex, les premières universités à avoir adopté les RCE (Responsabilités et compétences élargies) n'ont pas encore absorbé leur passage à l'autonomie. Et les autres sont en train d'élaborer leurs projets de fusion ou d'autonomie, ou sont encore impliquées dans la construction d'un PRES. Toutes sortent du mouvement de contestation de 2009, le plus long et le plus dur depuis cinquante ans, qui s'est soldé par un terrible échec. Les concessions obtenues furent marginales. Le passage en force du gouvernement qui a imposé dans la violence toutes ses réformes (nouveau statut des enseignants-chercheurs, réforme de la «mastérisation») a littéralement cassé les reins de l'université. Le colosse aux pieds d'argile se relevait à peine quand la salve estivale des appels à projet est tombée. Quelques-uns y ont vu une bouée de sauvetage. Les équipes de direction des universités ont poussé les plus réticents et de petits groupes se sont mis au travail, aidés dans l'urgence par ces mêmes cabinets de conseil qui avaient déjà été sollicités pour d'autres opérations.

Trois mois pour élaborer un projet d'Equipement d'excellence, qui plus est en plein été, relevait de la gageure ou de l'inconscience. Beaucoup ont renoncé à se mettre au travail dans de telles conditions. Conséquence: bien des projets ne sont pas remontés. D'autres ont dû faire très vite et au mieux, ce qui explique que certains laboratoires de très bon niveau se sont retrouvés classés B et ont dû être repêchés après protestation, juste avant la proclamation des résultats. Une lettre, assez maladroite, du président du jury Labex, tente de justifier le repêchage des excellents, initialement collés. L'Idex n'a pas échappé à cette course de vitesse qui a frôlé l'absurdité.

Même les entreprises privées les plus capitalistiques ne construisent pas leur stratégie à cinq ou dix ans dans un brainstorming improvisé de quelques semaines. Et on n'imagine pas que des stratégies de cette importance soient définies par des équipes aussi resserrées que les petits groupes de pilotage des universités. Et c'est pourtant bien ce qui s'est passé pour la rédaction des projets d'excellence. On peut aujourd'hui se demander avec raison si ces calendriers impossibles à tenir ne relevaient pas d'une stratégie délibérée: contraindre les universités et les PRES à faire appel à des cabinets privés dont la spécialité est de répondre à des appels d'offres dont la nature semble bien aussi avoir été un peu conçue pour eux.

Et ces cabinets de conseil sont effectivement intervenus massivement dans l'élaboration et la rédaction des projets. Je renvoie sur ce point au très bon dossier du site EducPros (ici). Pour donner une idée des sommes engagées auprès de ces cabinets, l'on peut citer Toulouse qui a dépensé 400 000 euros, Lyon 350 000, Bordeaux 250 000 ou Strasbourg qui a été plus «économe» avec 125 000. Les quatre ont été pré-sélectionnées pour le concours de l'Idex. Un bon retour sur investissement se profile donc et il n'est pas exclu de continuer à faire appel à certains cabinets pour la mise en oeuvre même des projets. Mais pour les 10 projets Idex recalés, pour les 425 projets Equipex et Labex non sélectionnés, quel est le coût des investissements perdus? Monstrueux, si l'on tient compte, en plus de la sous-traitance, des probables 100 000 heures de travail des universitaires impliqués dans l'élaboration de tous ces projets.

Ainsi les universités sont devenues un marché porteur pour la consultance. Au tarif de 1000 euros par jour pour le travail d'un seul consultant, l'on conviendra que l'argent du contribuable fait l'objet d'un emploi problématique. Un travail en interne aurait coûté cinq fois moins cher. Ces dépenses m'apparaissent triplement scandaleuses. Par les montants engagés en période de restriction budgétaire, y compris des universités elles-mêmes, mais surtout pour deux autres raisons, assez évidentes. Tout d'abord parce que les chercheurs et les universitaires savent écrire et penser. C'est même leur spécialité. Il me semble aussi que ce sont bien eux qui forment, au moins en partie, les futurs consultants. Ensuite parce qu'on a délégué à des entreprises extérieures à l'université une part de la conception des projets. Les présidents d'université et la CPU n'auraient jamais dû accepter de jouer le jeu induit par le gouvernement et les pouvoirs économiques. Ils ont vendu et continuent de vendre au secteur privé l'expertise scientifique et la culture du projet à laquelle les universitaires et les chercheurs sont pourtant rompus depuis des années. Mais il se pourrait bien qu'un projet d'excellence ne soit pas d'abord un projet scientifique, mais la réponse administrative et technocratique à une nouvelle économie politique de la recherche. La « révolution culturelle des universités » par l'excellence n'est qu'un conversion forcée aux lois du marché qui annonce un plan social de la science et une braderie de la qualité de la science française au profit des intérêts du privé. Nicolas Sarkozy l'annonçait clairement dans son discours du 22 janvier 2009: «Les entreprises grandes et petites doivent puiser dans le vivier formidable de la recherche publique».

En définitive, un gouvernement irresponsable a inventé, par temps de crise économique et démocratique, et au risque de l'aggraver, le concours national le plus cher et plus absurde de toute l'histoire de la fonction publique. Le principe d'égalité devant le concours est allégrement bafoué: sera excellente l'université qui aura le plus dépensé ou simplement sélectionné le plus excellent cabinet. Tous les recalés des premières vagues ne seront-ils pas incités à avoir recours aux excellents cabinets privés qui auront aidé à la réussite des premiers lauréats? La chose est à craindre. Certains, qui exagèrent un peu, parlent maintenant d'un concours de cabinets. Hormis le service économique rendu au secteur florissant de la consultance, mesure-t-on bien le degré d'absurdité que l'on a atteint avec le Grand Emprunt, dans les universités françaises ?

5. L'excellence communicationnelle

«Trop, c'est trop!», écrivais-je au début de cette étude. L'objet de l'exaspération et de ce cri de colère était moins les conditions d'élaboration des projets du Grand Emprunt qu'une chose plus profonde, plus invisible et plus étendue, comme l'air dans lequel on baigne et qu'on respire, ce qu'on appelle l'air du temps. Ce temps est celui de la communication. Et comme l'excellence s'est fondue en elle, comme elle est sa matière même, l'air est devenu irrespirable. L'excellence, comme nous l'avons vu, est une procédure très lourde et très complexe, fort coûteuse et soumise aux impératifs de la concurrence et de la mondialisation. Mais l'excellence, c'est aussi du vent. Rien d'autre que du vent. Je veux dire un concept vide, un mot vide de sens. L'écart entre la valeur du concept et son efficience est assurément abyssal.

Un mot vide est un cadavre. Un cadavre qui court. Plus il est vide, plus il court vite. C'est même une caractéristique majeure de cette idéologie fantastique qu'est la Sarkozie. Un cadavre a fait courir un petit peuple de chercheurs qui rêvaient à des jours meilleurs, ceux qu'on leur a promis, justement, sous la forme de l'excellence. Ils courent après «Son Excellence l'excellence». Mais s'ils courraient vers une chose littéralement insensée? S'ils couraient vers leur perte? Lacan eut un bon mot: «Unis vers Cythère». L'excellence n'est-elle pas un mirage, une vitrine, un affichage, une communication d'entreprise gouvernementale en passe de devenir une communication d'entreprise universitaire, bientôt universelle ?

L'excellence est désarmante. Qui, en effet, pourrait être assez stupide pour critiquer l'excellence ? C'est que son censeur prend évidemment le risque d'être taxé de frileux, de réactionnaire ou même de défenseur de la médiocrité. Les syndicats sont gênés aux entournures. Bien plus, les opposants doivent affronter un argument en apparence imparable: les appels à projets financés par le Grand Emprunt constitueraient seulement un financement supplémentaire de la recherche, un généreux «bonus» qui n'entamerait en rien les crédits récurrents de l'Etat, le fonctionnement des laboratoires et des universités qui ne seraient pas élus par les «Investissements d'avenir». Certains ont trouvé dans cet argument de bonnes raisons de ne pas se lancer dans les rédactions, d'ignorer les appels en affectant une posture critique au lieu de s'opposer véritablement. Mais cet argument ne tient pas. Le texte de SLU, encore une fois, a fait la démonstration du trucage des augmentations budgétaires et nous savons désormais que les EPST (Etablissements publics à caractère scientifique et technologique : CNRS, INRA, INSERM...), puis les universités, vont passer à la moulinette de la RGPP et des réductions massives d'emplois publics. C'est en cours au CNRS pour ceux qui ne le sauraient pas, et les universitaires feraient bien de s'en inquiéter.

L'excellence est magique. Les universités la décrètent, la célèbrent. La foi est une émulation fertile, si l'on peut dire. La croyance même en l'excellence de l'excellence contribue à la faire fonctionner. Des campagnes de communication tiennent lieu de politique scientifique avec des investissements massifs. Les budgets des services communication des universités explosent. A peine le mot prononcé, un consensus s'établit. On sait de quoi on parle. On croit même la créer en la nommant. Elle s'impose comme une évidence. Mais comme le disait Edmond Jabès: «Au coeur de l'évidence, il y a le vide». La frénésie d'emploi du mot fait elle-même sens: l'incapacité à la définir ou simplement à la penser doit être compensée en permanence par une répétition effrénée. Tel projet d'Idex, qu'on ne citera pas, contient le mot plus de deux cent fois. Venant d'universitaires, ce serait tout simplement affolant, mais on fera l'hypothèse d'un auteur-cabinet. Une expression d'un document produit par le Conseil économique et social de la Région Alsace est un joli symptôme: «Donner de la notoriété à l'excellence». Comme si l'excellence souffrait d'un déficit d'image. Il s'agit donc bien de conférer à ce mot une nouvelle aura, mais toujours indépendamment de tout contenu sémantique.

L'excellence est réduite à ses moyens. Bill Readings écrivait ceci dans un article sur «L'idée d'excellence»: «En tant que principe intégrateur, l'excellence a l'avantage exceptionnel de n'avoir strictement aucune signification ou, pour être plus précis, de ne se référer à rien». Parce qu'elle ne réfère à rien et qu'elle fait l'objet, comme diraient les linguistes, d'une désémantisation lexicale, l'excellence ne se définit que par le champ sémantique qui lui est associé. Christophe Pebarthe a commencé de le montrer dans sa lecture critique du rapport Aghion, ce Professeur d'économie de Harvard auquel l'université française doit bien de ses maux. Ces mots sont les suivants: émulation, concurrence, performance, compétition, évaluation, visibilité, fusion, etc. Leur point commun, on en conviendra aisément, est de constituer des moyens pour atteindre l'excellence. Or l'hypothèse que je fais est que nos petits idéologues de l'excellence ont réduit le contenu conceptuel de cette dernière à ses seuls moyens, confondant ainsi le but et les moyens, par incapacité à penser l'objet même de leur politique.

Les conséquences de cette perversion de la pensée sont calamiteuses. Le culte de l'excellence devient un culte de la performance. L'emploi du terme montre qu'on est sorti du seul management de la qualité. Au «faire mieux» des démarches qualitatives on a substitué «être le meilleur» dans une économie généralisée de l'évaluation sommative des performances, de la sélection et de la compétition. On en arrive à ce type de phrase, prononcée par un président d'université et mise en titre d'un journal régional: «La compétition est l'essence même de l'université» (Président de l'université d'Orléans, entretien dans La République du Centre, 3 janvier 2011). Ou bien encore on souscrit aveuglément au dogme des «tailles critiques» en poussant au gigantisme par des fusions très coûteuses qui sont devenues elles aussi synonymes d'excellence. Jean-Paul Caverni, président du PRES Aix-Marseille, y sacrifie en une phrase lourde de sens: «La fusion des universités est une démarche de rassemblement et d'excellence». On finit par ne même plus pouvoir concevoir que l'excellence puisse exister dans de petites structures, dans de petites universités, alors qu'en Allemagne, par exemple, on a labellisé la petite université de Constance.

Mais l'excellence, ne l'oublions pas, c'est encore un autre moyen, en passe de devenir un but, à tout le moins l'objet d'une intense activité des universités et qui conditionne leur autonomie: l'argent. La course aux revenus n'a pas peur d'user d'hyperboles démesurées. Ainsi peut-on lire sur la page «Comment faire un don» de la Fondation de l'Université de Strasbourg: «Chaque euro augmente de manière exponentielle l'excellence de l'Université de Strasbourg». L'excellence se fait campagne de levée de fonds et campagne de publicité. Elle scelle ainsi les noces du capital et de la communication. Plus qu'une rhétorique, elle est devenue le sociolecte managérial de la science, le lexique évidé du pouvoir financier, à l'image d'une transaction dématérialisée. Il ne se passera pas quelques mois avant que les noms même des universités ne deviennent une marque, donc une valeur sur le marché mondialisé. La chose est déjà engagée. Je l'écris alors avec gravité : le marketing a pris le pouvoir dans nos universités et la spéculation est à ses portes. Les personnels des EPST et des universités accepteront-ils de devenir des marchandises ?

6. L'intelligence contre l'excellence : pour un boycott de la politique d'excellence

Le pouvoir vient de faire une triple OPA sur la science : une OPA de l'Etat lui-même, une OPA économique et financière par le secteur privé, une OPA par la mercatique imposée par les cabinets de consultance. Dans les trois cas, il s'agit d'un rapt sur l'université et la recherche, opéré par trois instances extérieures à elles. Mais cette extériorité a déjà pris le pouvoir au sein même des universités. Les conseillers de l'excellence, via les Comités d'Orientation Stratégique ou les «Steering Comitee» qui se mettent en place, sont des PDG des banques et des grandes entreprises, voire des sociétés de courtage, dont certaines sont directement impliquées dans la crise financière de 2009. Les financeurs de l'excellence, via les Fondations partenariales des universités, sont les grands groupes industriels de la pharmacie, de la chimie et de l'agro-alimentaire. Cette triple extériorité «interne» -concepteurs, conseillers, financeurs- renvoie à une identité d'intérêts: les profits des grands groupes de l'industrie et de la finance. L'excellence se construit au moyen de ce qu'il conviendrait de nommer une «Exocratie». Celle-ci pourrait très bien mettre en place les conditions d'apparition d'une ploutocratie au sein même des universités. La recherche privée souffrait en France de carences bien connues? Qu'à cela ne tienne: il suffit de lui annexer l'ensemble de la recherche publique! Voilà ce qui est en voie de réalisation. L'Etat-Sarkozy fait ainsi d'une pierre deux coups: réduire son déficit en coupant dans les crédits publics de la recherche, offrir au secteur privé un potentiel de recherche qui est l'un des meilleurs d'Europe.

L'excellence aggrave ensuite la crise démocratique introduite dans les universités avec la loi LRU de 2007. Par l'affaiblissement des conseils centraux et de la représentation élue des universitaires et des chercheurs, ceux-ci se voient totalement dépossédés de la maîtrise de la politique d'établissement et de leur outil de travail au profit de membres extérieurs à l'Enseignement supérieur et la recherche. Via des groupes de pilotage, des fondations et des instances de consultation non élues -les présidents ont des droit régaliens de nomination non contrôlés-, la communauté universitaire est mise sur la touche des nouvelles «gouvernances». Le gouvernement des universités est en passe de devenir un mauvais calque de notre gouvernement national: décisions autoritaires non concertées, contournement des instances consultatives et même délibératives, concentration des pouvoirs dans les mains d'un président. Ainsi quelle IdEX a été votée en CA? Il faudrait faire une analyse de l'emploi de ce nouveau mot-fétiche de «gouvernance» que tous les membres des équipes présidentielles ont sans cesse à la bouche et dont la connotation intrinsèquement méliorative (une gouvernance est toujours «bonne») a pour fonction principale de masquer des modes de gouvernement opaques, centralisés et autoritaires. Le mot de «gouvernance» qui rime si bien avec «excellence» signifie la disparition de tout gouvernement collégial et démocratique des universités. Et, in fine, ce qui se met en place avec les Labex et les Idex c'est, au sens étymologique de chacun de ces termes, une aristocratie, une ploutocratie et une oligarchie: la force des excellents, des riches et des peu nombreux. Une fois qu'ils seront assis, ils le seront pour très longtemps.

A tout cela les universitaires et les chercheurs ne peuvent opposer que la force de l'intelligence et le courage d'un nouveau combat. Car si l'excellence s'impose en tous lieux, l'Université perdra ce qui lui reste de capacité à être critique d'elle-même. Sans cette capacité elle ne pourra continuer à penser de façon critique le social, le politique, l'économique, notre présent. Il n'y pas encore aujourd'hui une adhésion majoritaire à la politique d'excellence. C'est que les universitaires et les chercheurs ont toujours eu, par culture et conviction, une posture critique à l'égard des logiques de compétition et des procédures comptables et technocratiques de l'évaluation. Il est urgent et encore temps pour eux de se réapproprier la politique de recherche de leurs établissements, d'exiger des consultations et de vrais débats démocratiques, de forcer les équipes présidentielles à respecter la démocratie en exigeant que tous les projets passent devant les conseils centraux, de reconquérir enfin, par les petites marges de manoeuvre que laissent l'autonomie et la loi LRU, des positions majoritaires dans les groupes de pilotage. Je le redis : il est inadmissible de laisser aux banquiers, aux chefs d'entreprises, aux politiques locaux la définition même de la politique des établissements et des choix stratégiques en matière de recherche et par conséquent d'offre de formation.

Qui peut encore croire aujourd'hui à une politique de l'excellence quand l'augmentation du niveau de recrutement des enseignants s'accompagne de la quasi suppression de leur formation ? Qui peut imaginer que la disparition programmée de l'évaluation pédagogique des enseignants par le corps d'inspection au profit de seuls entretiens professionnels avec les chefs d'établissement participe d'un management de la qualité ? Comment faire avaler au monde de la recherche que l'excellence sera pour tous quand la très grande majorité des laboratoires est de fait exclue de son périmètre et qu'on crée des déserts territoriaux de la recherche ?

Alors, à toutes celles et tous ceux auxquels on demande d'oeuvrer à l'excellence, il faudrait dire, comme premier acte de résistance : cessez d'employer ce mot, faites en la critique. Boycottez massivement le mot d'«excellence»! Remplacez-le par celui de qualité, ou mieux encore celui de valeur -on évalue aujourd'hui sans avoir même réfléchi au concept de valeur et à sa signification en sciences humaines et sociales. L'excellence n'est pas un concept de la science, mais un artefact idéologique qui scelle une union perverse et dangereuse de la science avec la finance. C'est à la lettre un mot de propagande, digne de cette nouvelle LTI libérale-autoritaire de la mondialisation. Il faut l'abandonner et forger d'autres concepts, redéfinir les notions, penser leur valeur et leur criticité, ce qui est la tâche même des chercheurs et des universitaires, ce qui a toujours été leur tâche. Mais cela ne suffit pas. Les universitaires et les chercheurs, les jeunes chercheurs avec eux, ont aujourd'hui un vrai devoir de résistance à assumer et à exercer. Il faut engager un boycott massif du processus même de l'excellence, refuser de répondre aux appels à projets pour exiger une remise à plat complète du Grand Emprunt. Il est temps que les universitaires et les chercheurs reprennent aux politiques leur bien. Comme le disait Alain: «La faculté de penser ne se délègue pas».

Pascal Maillard