Questions de société
SLU dans Le Monde (05.02.09): Un débat national sur l'Université s'impose

SLU dans Le Monde (05.02.09): Un débat national sur l'Université s'impose

Publié le par Sophie Rabau

"Un débat national s'impose" LE MONDE | 05.02.09 | 12h56  •  Mis à jour le 05.02.09 | 18h58

 Sauvons l'Université répond, dans une tribune libre du Monde aux déclarations de Nicolas Sarkozy sur l'Université.

Le combat que nousmenons pour défendre l'université et la recherche, la formation desenseignants et le statut des universitaires concerne l'ensemble de lasociété française.

Voilà quarante ans que l'université répond àdes demandes sociales de plus en plus lourdes : l'objectif de 80 %d'une classe d'âge au baccalauréat a fait croître de manière continueles effectifs dans les facultés ; devant l'augmentation du chômage,davantage de jeunes cherchent dans les universités des formations quiles mènent au monde du travail. Nous avons affronté ces demandes,positives et négatives, comme autant de défis, en l'absence demodification structurelle adaptée, sans que jamais soient réellementremises en cause la séparation entre grandes écoles sélectives et biendotées et universités ouvertes à tous mais misérables, nil'insuffisance du financement public par étudiant à l'université,nettement inférieur à la plupart des pays de l'OCDE.

Nous l'avons fait sans sacrifier la recherche, et nous en sommesfiers. Le 22 janvier, le président de la République a violemmentagressé le monde de l'enseignement supérieur et de la recherche enaffirmant que nous formons mal et que nous cherchons mal.

Il estvrai que le mépris avait précédé l'insulte : la loi LRU, l'une despremières du nouveau gouvernement, a été imposée à la communautéuniversitaire, votée à la sauvette en plein été 2007, sans aucuneconcertation. Cette loi, sous couvert d'accroître l'"autonomie" desuniversités, fait de la concurrence le cadre unique des règles et desmissions du monde universitaire, paradoxalement réglé de façonautoritaire par le pouvoir exorbitant des présidents d'université etpar un dirigisme accru de la politique de recherche. En témoigne lefait que les instances nationales d'évaluation et de financement soientcomposées de membres nommés par le gouvernement. Parler icid'"autonomie", c'est pervertir le sens des mots.

En modifiant ledécret régissant le statut des enseignants-chercheurs, le gouvernementporte aujourd'hui une nouvelle atteinte à notre indépendanceintellectuelle, scientifique et pédagogique. Alors que l'évaluationactuelle sanctionne au niveau national une formation universitaire etune activité scientifique qui sont le fruit d'une longue maturation, lenouveau décret impose des évaluations rapprochées et locales,incompatibles avec la temporalité et l'échelle, souvent internationale,de nombre de nos recherches.

Il établit la concurrence entre individus en lieu et place de lacoopération au sein des équipes pédagogiques et de recherche, et prendle risque de développer un clientélisme qui contredit l'excellenceofficiellement prônée. Plutôt que de planifier des créations de postes,il instaure un système de primes.

Qu'on ne s'y trompe pas : si cebouleversement nuit à la recherche, il ne bénéficie pas pour autant àl'enseignement qui, à l'université, repose sur une pratique continue dela recherche. Selon le projet de décret, tout universitaire dont larecherche sera jugée insuffisante sera susceptible d'enseignerdavantage. Au-delà du fait que l'enseignement ne peut être conçu commeune punition, sans création de postes, nous serons tous amenés àenseigner plus. Surtout, l'université doit être un lieu de production,et non seulement de transmission des connaissances. La transmission dessavoirs de haut niveau, en renouvellement permanent, et la formation àla production de ces savoirs, sont indispensables à un paysdémocratique : elles irriguent l'ensemble de la société, elles sontnotamment constitutives de la formation des futurs enseignants.

Lectureconservatrice des "réformes" ? Il n'est que de considérer l'autre grandchantier du gouvernement, l'éducation nationale. La réforme de laformation et du recrutement des futurs enseignants, assurés par toutesles composantes des universités, impose un allongement non financé dela durée des études, une baisse de la qualité de la formation, et ouvreà un recrutement massif de contractuels dans l'éducation nationale. Onvoit la logique d'une politique visant à séparer l'enseignement de larecherche.

Nous ne nous battons pas seulement pour nous. Le jeude dominos est enclenché : le futur contrat doctoral, le statut despersonnels administratifs et techniques seront demain plus précaires,tandis que la question de la professionnalisation des études n'estpensée par le gouvernement qu'en termes d'employabilité à très courtterme. Avec d'autres, nous avons appelé à ce que l'université françaises'arrête. L'intérêt général est menacé. Un débat national s'impose.

Mathieu Brunet, université de Provence ;
Jean-Louis Fournel, université Paris-VIII ;
Laurence Giavarini, université de Bourgogne ;
Annelise Nef, université Paris-IV ; tous les signataires sont les porte-parole de Sauvons l'université.