Questions de société
Six présidents d'universités en appellent à N. Sarkozy (AP - 13/05/09) & lettre ouverte parue dans Le Monde

Six présidents d'universités en appellent à N. Sarkozy (AP - 13/05/09) & lettre ouverte parue dans Le Monde

Publié le par Bérenger Boulay

Dépêche Associated Press - 13/05/09:

Six présidents d'universités demandent un moratoire à Sarkozy.

Six présidents d'universités en appellent à Nicolas Sarkozy pour qu'ildécide d'un moratoire sur la réforme des statuts desenseignants-chercheurs. Dans une tribune paraissant dans "Le Monde"daté de jeudi, ils réclament du chef de l'Etat "des gestes d'apaisementvigoureux, radicaux et clairs" pour répondre au "sentiment générald'amertume, de colère, de rancoeur, voire de désespoir, qui aboutit àun mélange de consternation et de radicalisation avec le risque decomportements de plus en plus incontrôlables".

L'appel est signé par les présidents Pascal Binczak (UniversitéVincennes Saint-Denis/Paris VIII), Lise Dumasy (UniversitéStendhal/Grenoble III), Anne Fraïsse (UniversitéPaul-Valéry/Montpellier III), Bernadette Madeuf (UniversitéParis-Ouest/Paris X), Georges Molinié (Université Paris-Sorbonne/ParisIV) et Philippe Rollet (Université Lille-I, sciences et technologies).

Face aux perturbations et aux blocages dans certaines universités,"il n'est pas sûr que les examens puissent se tenir dans des conditionscorrectes ni même simplement se tenir" et "il y a risque réel denon-validation du semestre, donc de l'année, ce qui est aussicatastrophique pour les étudiants qu'ingérable pour nos administrationssauf à laisser les universités (...) concernées inventer" des solutionset trouver des "mesures exceptionnelles".

Face à "l'opposition et la colère de la quasi-unanimité des partiesprenantes" envers "un ensemble de réformes sans grand impact positif,voire aggravantes, menées dans la précipitation et sans réelleconsultation", les signataires souhaitent "un moratoire" qui puisse"favoriser une réflexion réelle, et collective, sur cette question quidéborde amplement le milieu universitaire et qui touche (...) tous lesenfants de toutes les familles du pays". AP

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Voici la lettre ouverte au Président de la République:

Monsieur le président de la République,

Si nous nous permettons de nous adresser à vous maintenant, c'est que la situation dans les universités est grave.

Quelle que soit la façon dont on vous présente les choses, aussibien officiellement que dans les médias, la confusion règne : on vousdit à la fois qu'il ne se passe rien de considérable et que tout rentredans l'ordre, et en même temps que l'année risque d'être perdue dansdes troubles et des désordres intolérables. C'est là un tableau pour lemoins contradictoire.

La réalité est certes contrastée. Mais, dans certains établissements etdans certaines filières, il n'est pas sûr que les examens puissent setenir dans des conditions correctes ni même simplement se tenir. Et lasolution du décalage au début de l'été pas davantage le basculement enseptembre ne constituent la moindre solution à ce type de problème. Ily a risque réel de non-validation du semestre, donc de l'année, ce quiest aussi catastrophique pour les étudiants qu'ingérable pour nosadministrations - sauf à laisser les universités éventuellementconcernées inventer, dans le cadre de leur autonomie, des modes derèglement du problème indépendants des contrôles strictementbureaucratiques des tutelles : à situation exceptionnelle, mesuresexceptionnelles.

Quel est l'état d'esprit des acteurs de la communauté universitaire? On peut le présenter sous deux aspects. L'un d'eux, que vous avezsans doute perçu dès le début de la crise, c'est l'opposition et lacolère de la quasi-unanimité des parties prenantes (sociétés savantes,organes décisionnels professionnels de l'enseignement supérieur,structures académiques, syndicats de tous bords...) vis-à-vis des deuxgrands chantiers que vos ministères ont ouverts : la réforme desstatuts des enseignants-chercheurs et l'ensemble du dispositif de laformation et du recrutement des professeurs des écoles et des lycées etcollèges. Une telle union n'avait jamais été vue.

Le second aspect est davantage et durablement porteur de tensions.Comme le traitement du premier point reste ambigu, subsiste uneimpression diffuse et tenace d'une volonté ministérielle de passersystématiquement outre les avis de la communauté universitaire. Pourparler clair, beaucoup n'ont plus confiance.

Pourtant, toutes les raisons ont été largement, clairement etpubliquement expliquées qui entraînent à voir dans les mesures prisesun ensemble de réformes sans grand impact positif, voire aggravantes,menées dans la précipitation et sans réelle consultation d'unecommunauté universitaire habituée à la collégialité dans la prise dedécisions et encouragée depuis des années dans l'idée et la pratiquequ'elle doit s'investir dans le gouvernement de l'enseignementsupérieur et de la recherche.

La sagesse consiste évidemment à décider un moratoire, de manière àfavoriser une réflexion réelle, et collective, sur cette question quidéborde amplement le milieu universitaire, et qui touche, justementparce que nous sommes une démocratie, tous les enfants de toutes lesfamilles du pays.

Or que constatons-nous ? Il n'y a ni suspension ni moratoire - maisune série de mesures, d'indications, de commissions, de projets,d'annonces, qui conduisent à faire entériner des dispositifs confus,peu lisibles et globalement nocifs. D'où un sentiment générald'amertume, de colère, de rancoeur, voire de désespoir, qui aboutit àun mélange de consternation et de radicalisation avec le risque decomportements de plus en plus incontrôlables. C'est miracle que l'on enait jusqu'à maintenant limité la propagation.

Qu'en sera-t-il quand on sera conduit à envisager que, par suite del'obstination ministérielle ou d'une démarche excessivement tatillonnede l'administration des tutelles, des milliers d'étudiants puissentperdre leur année ? La démarche actuelle génère, dans le milieu de laculture, de la recherche et de l'enseignement, très attaqué et moquéces temps-ci, un malaise profond, durable, et aux effets lointains,très peu susceptible de donner de l'attractivité à notre enseignementsupérieur et à notre recherche.

Il faut donc, vite, des gestes d'apaisement vigoureux, radicaux etclairs, que vous seul, Monsieur le président de la République, pouvezaccomplir avec éclat et avec sagesse. C'est la confiance qu'exprime dela sorte notre profond respect.

Pascal Binczak, président de l'université Vincennes - Saint-Denis (Paris-VIII) ;

Lise Dumasy, présidente de l'université Stendhal (Grenoble-III) ;

Anne Fraïsse, présidente de l'université Paul-Valéry (Montpellier-III) ;

Bernadette Madeuf, présidente de l'université Paris-Ouest (Paris-X) ;

Georges Molinié, président de l'université Paris-Sorbonne (Paris-IV) ;

Philippe Rollet, président de l'université Lille-I, sciences et technologies.