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Shakespeare et l'ailleurs

Shakespeare et l'ailleurs

Publié le par Florian Pennanech (Source : Murielle Cunin & Pascale Drouet)

Qu'appelle-t-on l'Ailleurs ? Un espace pour le moins ambivalent. Il peut être promesse d'une autre vie, d'une échappée vers « l'Azur », d'une invitation au voyage quand le réel dans son quotidien, dans sa monotonie, est terne, morose, voire insupportable. Mais il peut également être synonyme de privation, d'errance, de perte, d'exil, apparaître comme la menace d'un vide effrayant, et faire ressurgir la peur de l'inconnu. Qu'il soit lu de manière positive ou négative (et on pourra aussi se demander si l'Ailleurs, dans ses représentations multiples, échappe à cette polarisation), il est une projection spatiotemporelle physique ou mentale vers quelque chose d'étranger. D'où les questions suivantes : peut-on situer l'Ailleurs ? Est-ce une utopie (ou une dystopie) ? Est-ce un fantasme, une illusion, un leurre ? Participe-t-il de la cartographie ou reste-t-il condamné au hors-carte ? Comment le représente-t-on ? Comment le porte-t-on à la scène ?

On pourra aborder les axes suivants :

- L'Ailleurs et la dynamique de l'éloignement, du voyage, de la découverte, de la conquête, de la territorialisation, c'est-à-dire, pour reprendre les termes de Gilles Deleuze et Félix Guattari, de l'espace lisse qui est à dompter ; l'Ailleurs comme synonyme de nouveaux mondes et nouveaux espaces ; l'Ailleurs comme rencontre avec une terre autre, mais aussi avec l'étranger, avec l'Altérité au sens large, ce qui convoque la dialectique mise en lumière par Richard Marienstras : « S'éloigner de ce qui est proche, se rapprocher de ce qui est lointain, c'est inverser la relation habituelle de l'homme avec son milieu social et naturel[1] ».

- L'Ailleurs envisagé sous l'angle de l'exil, du bannissement, de ce qui est « en dehors », de « ces contrées d'en dehors des cartes[2] », dans un processus de déterritorialisation ; et, plus radicalement, l'Ailleurs comme espace inconnu, celui de l'impensable et de l'irreprésentable, celui de la mort. C'est-à-dire, l'Ailleurs comme espace d'exclusion « non seulement de la société mais aussi de l'ordre naturel[3] ».

- L'Ailleurs comme rêve, comme évasion vers des architectures et des paysages imaginaires. L'Ailleurs comme illusion théâtrale, comme espace de création éphémère, et plus largement comme échappée artistique. On pourra songer, par exemple, à la perspective comme ouverture ou percée vers un espace autre, à l'image de la scène de théâtre décrite par Serlio, lieu de mille et une merveilles : « l'on y voit en peu d'espace des palais dressés par art de perspective, avec grands temples et divers maisonnages proches et lointains de la vue, places belles et spacieuses décorées de plusieurs édifices, rues longues et droites, croisées de voies traversantes, arcs de triomphe, colonnes hautes à merveille, pyramides, obélisques et mille autres singularités[4] ».

- L'Ailleurs comme arrière-pays au sens où l'entend Yves Bonnefoy. L'Ailleurs, opposé à l'ici concret du quotidien, comme lieu mental, comme lieu de quête, comme « pays d'essence plus haute[5] » où dialoguent la projection et la réminiscence ; l'« ailleurs insituable » par opposition à l'« ici périssable[6] ». Comment les articuler, comment les réconcilier ?

- L'Ailleurs, c'est-à-dire également le retranchement (qui peut être aussi ouverture) dans des espaces intérieurs, qui peuvent conduire à des « décrochements » : folie, mélancolie, méditation, prière. Avec la question suivante : comment échapper à la dérive autiste ou schizophrène, réconcilier l'espace intérieur et l'espace extérieur, le réel et l'imaginaire ?

Les articles, en français ou en anglais, accompagnés d'une bio-biblio (200 mots) et d'un résumé en anglais (200 mots), sont à envoyer par fichier joint (.doc ou .rtf) à pascale.drouet@neuf.fr et muriel.cunin1@libertysurf.fr avant fin AVRIL 2010.


[1] Richard Marienstras, Le proche et le lointain. Sur Shakespeare, le drame élisabéthain et l'idéologie anglaise aux XVIe et XVIIe siècles, Paris, Les Éditions de Minuit, 1981, p. 18.

[2] L'expression est d'Yves Bonnefoy dans sa Préface à L'Arioste, Roland furieux I, trad. Francisque Reynard, Paris, Gallimard, coll. « folio classique, 2003, p. 14.

[3] Richard Marienstras, op. cit., p. 19.

[4] Sebastiano Serlio, Le Second livre de perspective (1545), in Philippe Hamou, éd., La Vision perspective (1435-1740). L'Art et la science du regard, de la Renaissance à l'âge classique, Paris, Éditions Payot et Rivages, 1995, p. 164.

[5] Yves Bonnefoy, L'Arrière-pays, Paris, Éditions Gallimard, 2005, p. 9.

[6] Ibid., p. 21, 57.