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"Life (New York, 1883-1936), objet culturel non identifié : Représentations et diffusion du modernisme américain et européen dans une revue mainstream" (conf. C. Mansati, ENS Paris)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Evanghelia Stead)

Séminaire TIGRE, ENS

Céline Mansanti (Université Jules-Verne, Amiens) : «Life (New York, 1883-1936), objet culturel non identifié : Représentations et diffusion du modernisme américain et européen dans une revue “mainstream”»

Le premier Life, moins connu que son illustre successeur, est un hebdomadaire satirique (devenu mensuel à partir du début des années 30), qui, comme beaucoup de revues nées dans la deuxième moitié du 19e siècle, est animé par la volonté de divertir et d’informer un large lectorat issu des classes moyennes, à qui il propose aussi bien des réflexions politiques et sociales (plutôt conservatrices) que des critiques sur des productions culturelles « grand public » de l’époque (livres, musique, théâtre, cinéma, peinture, etc). Si Life témoigne d’un rapport bourgeois à la culture, qui correspond à la « genteel tradition » qu’elle prétend incarner, son rapport aux avant-gardes est plus complexe que ce que l’on pourrait imaginer. Sa représentation des avant-gardes, souvent moqueuse et stéréotypée, n’empêche pas un véritable travail de passage de ces avant-gardes vers un public qui n’est pas leur cible première. Stein, Joyce, Wolfe, Thomas Woolfe, Faulkner, Dos Passos, Fitzgerald, Hemingway, Amy Lowell, D.H. Lawrence, mais aussi Metropolis, Le Cabinet du Docteur Caligari, Salomé, Nanook of the North, Moana, et bien d’autres auteurs et productions modernistes font ainsi l’objet de discussions, animées par des vulgarisateurs qui jouent un rôle essentiel pour Life par la quantité et la qualité de leurs interventions. On commence désormais à savoir (grâce notamment au travail de Karen Leick sur Gertrude Stein) que les ouvrages de Gertrude Stein et de James Joyce n’auraient pas accédé au statut de best-sellers dans les années 30 sans le travail de fond des revues « mainstream », qui n’ont pourtant que peu à voir, en apparence, avec les « petites revues » auxquelles on associe habituellement ces auteurs. On s’interrogera ainsi sur les modalités et les enjeux de la diffusion de certains aspects du modernisme dans une revue « mainstream » telle que Life, en se penchant aussi bien sur les intérêts de la revue que sur ceux des auteurs qu’elle décide de promouvoir et qui entretiennent à l’occasion cette promotion.  Une attention particulière sera portée à la parodie, forme récurrente de la satire dans Life. Nombre de parodies révèlent une fascination pour l’objet moqué, et exhibent finalement l’aisance culturelle de leurs auteurs, probablement sensibles à la distinction culturelle que représentent (en dépit du discours dominant, ou officiel, de la revue) les productions avant-gardistes et par ricochet le commentaire qu’on peut en faire. Cette analyse nous permettra de remettre en question l’opposition franche faite par Pound, en 1930, entre « petites revues » et revues établies ou « mainstream ». Des circulations existent, qui viennent autant compliquer le statut d’acteurs parfois peu connus comme John Barrett Kerfoot ou Louis Evan Shipman, que celui de revues telles que The Smart Set, The Dial, Masses ou New Masses, « revendiquées » par les spécialistes des « petites revues ». Recartographier les réseaux de revues et d’acteurs de la période devrait permettre de mieux saisir la complexité des échanges culturels du premier tiers du 20e siècle.