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Séminaire sur l'éloquence romantique

Séminaire sur l'éloquence romantique

Publié le par Marc Escola (Source : Aurélie Loiseleur)



Groupe détude sur les formes et la pratique de léloquence, dans le cadre de lEcole doctorale de Paris IV-Sorbonne, en lien avec luniversité de Marne-la-Vallée.



Programme détude de lannée 2003-2004



La scène éloquente ou linvention de léloquence romantique : sources et filiations modernes





Le domaine détude du groupe sera en premier lieu léloquence romantique, mais des incursions en deçà et au-delà du XIXe siècle seront indispensables. Travailler aujourdhui sur la rhétorique et léloquence sans se limiter demblée à un siècle nest pas un refus de la nécessité de porter un regard historique sur la rhétorique. Il va de soi que léloquence délibérative nest pas la même lorsquelle est défendue par Tacite, mise à distance par Tocqueville dans ses Souvenirs ou quand, aujourdhui encore, elle demeure une expérience de la parole vécue par les hommes politiques. On pense la rhétorique, on pratique léloquence en son siècle. Ainsi, la lecture et lanalyse des discours politiques dune époque donnée nécessitent la maîtrise dun savoir en partie oublié, sans lequel la réception est faussée. Tout discours perçu comme éloquent est dabord éloquent dans le moment et les conditions où il devait lêtre. Cest pourquoi il saccompagne dune production journalistique, littéraire) qui redouble lévénement historique, ou le crée. Comme une médaille est produite à loccasion dun événement, ou encore une statue. Les discours politiques constituent donc pleinement ce que Maurice Agulhon appelle le folklore dun régime ( M. Agulhon). Leur nature même (une écriture politique est en prise avec les circonstances sociales, culturelles de la vie publique) commande daccueillir largement, dans la réflexion qui est consacrée aux discours, les conditions de leur production.

Pourtant, ce mode spécifique du sens et de la référence doit être interrogé, dans la mesure où le régime dénotatif du discours le situe, pour nous lecteurs, dans un domaine de la langue très éloigné de la littérature, celui de la langue utile, de la langue circonstancielle, hiérarchiquement soumise à son objet. Il faut pour lire un discours se réapproprier un code en partie oublié, et séloigner de lobjet littéraire, sil est vrai, comme le dit Paul Ricur, que " la production du discours comme littérature signifie très précisément que le rapport du sens à la référence est suspendu. " (P. Ricur). Il reste donc à explorer la pensée rhétorique et sa pratique éloquente pour relever un défi de lecture, pour affronter une situation-limite de la réception littéraire où il faut reconstituer lhistoire dun texte pour len désengager ensuite. Cest la scène du discours ; la scène éloquente. Un des enjeux de ce groupe détude est den parcourir les différentes incarnations dans les uvres ou expérimentations de la parole qui lui ont fait une place. La première année de travail prendra plus particulièrement comme objet le XIXe siècle, considéré dans ses relations avec notre temps, parce quil est la source dune partie de notre éloquence, même si dans le même temps il nous éloigne de lui. Lamartine, Hugo, Balzac et bien dautres ont en effet pensé la modernité du fait de parole. Il est normal de nous rattacher à lorigine la plus visible de notre propre modernité, puisque cest elle qui nous fait lecteurs.

Enfin, la pensée rhétorique se situe entre un corpus antique à relire éternellement et une cascade infinie de métamorphoses et transformations dont la plus importante est sans doute le changement de statut du texte, de lécriture et de son rapport à loralité (Nous suivons ici la piste ouverte par Alain Vaillant dans la collection " Lieux littéraires " : Ecriture/Parole/Discours : littérature et rhétorique au XIXe siècle, Collection Lieux littéraires 2, Saint-Etienne, Edition Printer, 1997). Quelle que soit la perspective détude choisie et lécole adoptée pour lexpliquer, il reste toujours à constituer du moins à enrichir un protocole de lecture apte à rendre compte dun discours, mais aussi dun poème ou dun texte de théâtre. Car le choix du mot éloquence implique, dans notre esprit, et dans lintérêt dune réflexion fine, une ouverture à dautres disciplines et dautres domaines que léloquence politique. Et peut-être faut-il alors oublier momentanément la fin du XIXe siècle pour comprendre ce qui est en jeu dans léloquence romantique. Sans doute le théâtre romantique, la pratique populaire et révolutionnaire du discours dans les clubs, ou encore la chanson sont-ils des modèles possibles de transformation de léloquence politique. Il est aussi nécessaire de repenser les rapports de léloquence et du lyrisme autrement que sur le mode de lexclusion. Ce qui peut conduire à sintéresser aux métamorphoses (et aux limites) de léloquence politique permises par linvention lyrique.

Car le lyrisme, dans la critique moderne, engage vaguement des notions qui tendent à cerner la singularité de la voix qui s'énonce. Cette façon de relier le chant poétique au sujet dont il émane semble désormais une vérité des moins contestables. Ce qui ne va pourtant pas tout à fait de soi : nous formulons l'hypothèse qu'au XIXe siècle se joue de façon diffuse (Lamartine) ou éclatante (Hugo) un conflit et un passage. Alors le texte poétique se refuse à n'être que l'application d'anciens codes, tout en s'en réclamant encore, si bien que cette révolution pourrait marquer l'émergence de la modernité. En effet, le texte mobilise toujours différentes ressources rhétoriques, il se situe dans lhéritage de léloquence, dautant plus quand le poète romantique se sent investi dun rôle messianique. Surtout, le poème se constitue à partir de la mise en oeuvre de lieux communs (si nous dépouillons l'expression de sa connotation péjorative) afin d'établir cette communication tacite qui fonde tout pacte de lecture. Pourtant, il s'exécute avec nostalgie, avec distance, dans le pressentiment ou la conviction que la poésie pour s'éprouver vivante doit se poursuivre par la rupture et par la mise en question des formes anciennes. Et dune façon qui pourrait bien être liée, cette poésie qui tend à se distinguer de léloquence tend simultanément à se séparer de la politique, à se revendiquer elle-même comme un domaine propre et une qualité ontologique de la parole. Effficacité - et caducité de l'éloquence classique, prononcées par le renouveau du lyrisme à l'âge romantique ? Les poétiques qui sélaborent sont-elles les avatars modernes de lancienne rhétorique, ou leur négation même ? Suivant la perspective historienne que nous voulons proposer, il semble que ce fonds rhétorique se soit trouvé à la fois réemployé et subverti dans une redéfinition de la poésie.


Les travaux du groupe sorganiseront en séances thématiques. Toutes les propositions de contribution sont les bienvenues et les intitulés sont laissés volontairement larges de façon à ne pas décourager les entreprises innovantes.
Les séances se tiendront au Centre des correspondances de luniversité Paris IV-Sorbonne, de 16 heures à 19 heures.

- Une première séance de méthodologie aura lieu le vendredi 14 novembre. Son objet sera de donner le cadre des travaux de lannée et de confronter différents modèles et méthodes danalyse des discours. Les recherches contemporaines ont créé de nouveaux modèles qui prennent pour une part leur source dans léloquence politique actuelle ; elles font une large place aux mécanismes de la communication et de linterlocution ainsi quaux analyses linguistiques. Dans quelle mesure ces conceptions, confrontées à des modèles plus classiques, permettent-elles de rendre compte de léloquence (en particulier politique) de la monarchie de Juillet et de la seconde République ? Plus généralement, la réflexion sur léloquence doit passer par une réflexion sur le langage, sa nature et ses fins.
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Une seconde séance, le vendredi 16 janvier, sera consacrée aux écrivains-orateurs des XIXe et XXe siècles. Létude de grandes figures éloquentes permettra de voir à luvre des réflexions sur la rhétorique, mais aussi des pratiques de léloquence, saccompagnant de sa mise en doute.
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Une troisième séance, le vendredi 6 février, adoptera une perspective plus historique. La réflexion sera centrée sur les permanences et les évolutions de la pratique éloquente au cours du siècle (de la Révolution française à la troisième République). On reviendra sur la filiation révolutionnaire de léloquence politique romantique et, au-delà, on sinterrogera sur rapports existant entre les discours et leurs conditions de production. La naissance et lorganisation progressive des partis politiques, avec les modifications rhétoriques quelles engendrent, pourront ainsi être abordées.
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Une quatrième séance se tiendra le vendredi 12 mars. Elle envisagera les relations problématiques entre éloquence et lyrisme.
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Une cinquième séance, le mardi 11 mai, permettra de donner la parole à un certain nombre de praticiens de la parole (hommes politiques, avocats, prêtres) qui feront part de leurs impressions, de leur savoir-faire et du rapport entre leur pratique et un éventuel arrière-plan rhétorique.
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Une sixième séance conclura le vendredi 28 mai la première année de travaux. Outre le bilan de lannée, elle essaiera de définir de nouvelles pistes de réflexion, notamment grâce à louverture à dautres disciplines (esthétique, théâtre).