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Séminaire Récit et Argumentation:

Séminaire Récit et Argumentation: "Écrire l'Histoire. Des choix du récit historique à l’uchronie"

Publié le par Laure Depretto (Source : Solen Cozic)

Récit et Argumentation

Séminaire interdisciplinaire

LIRCES / I3M /I3DL, CRHI, École des Mines Paris Tech/Sophia

 

L’objectif de ce séminaire qui a lieu tous les trois mois est de développer une réflexion interdisciplinaire associant différents laboratoires de l’UFR LASH de l’UNS. Les interventions se dérouleront sur les années 2015 et 2016 (calendrier en cours de constitution pour l’année 2016). Une première publication devrait avoir lieu sur une sélection de textes soumis au comité de lecture des Cahiers de Narratologie http://narratologie.revues.org/ [indexation : MLA Bibliography plateforme PROQUEST, DOAJ (Directory of Open Access Journals), ainsi que les moteurs de recherche Google Scholar et WorldCat]. Pour l’année 2017, publication et préparation d’une contribution pour un colloque en 2018.

Les travaux s’inscrivent dans le cadre d’une large collaboration interdisciplinaire entre unités de recherche de l’Ecole Doctorale de l’UFR LASH (4 unités de recherche) et l’école des Mines Paristech/Sophia. Ce partenaire a proposé de travailler sur les scénarisations et les mises en récit qui jouent un rôle fondamental dans le secteur du risque (gestion et prévention). Dans ce domaine, l’articulation entre le narratif et l’argumentatif, qui sert de liaison entre la dimension technique et le facteur humain, constitue un objet privilégié de recherche.

De façon plus générale, le séminaire propose une approche synchronique et diachronique des notions d’argumentations et de récit. Les interventions porteront sur les divers domaines des arts, de la littérature, des productions culturelles et scientifiques qui font un usage du récit à des fins argumentatives. Elles prendront en compte l’histoire des formes du récit et ses usages argumentatifs. Il s’agira principalement de comprendre pourquoi et comment les formes narratives ont joué un rôle prépondérant pour convaincre dans un moment historique donné. Symétriquement, on s’interrogera sur les temps de l’histoire qui ont exprimé une grande défiance par rapport au récit, le séparant de la rationalité et de l’argumentation, l’excluant en quelque sorte du champ de l’histoire des idées et de la science pour le confiner au domaine de l’imaginaire et de la fiction, sous entendant ainsi une dimension fallacieuse de toute forme narrative.

Le séminaire sera présenté au comité de pilotage de l’axe interdisciplinaire de l’UNS Histoire des idées des sciences et des arts pour intégrer éventuellement les travaux de cet axe.

 

A travers la thématique Récit et argumentation, il s’agit d’appréhender comment et dans quelle mesure les diverses disciplines formulent ou ont pu formuler des savoirs et des idées au moyen des formes narratives, pour, en somme, saisir la façon dont elles ont narrativisé le réel.

 

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Les relations du récit avec l’argumentation sont anciennes et remontent aux origines de la littérature et des arts oratoires. En premier lieu, les approches théoriques tendent soit à subordonner le récit à l’argumentation, soit à considérer que « l’argumentation ne viendrait qu’en appui de la description des faits » (Charaudeau, 1998). Cette première opposition entre les tenants du « tout logique » et ceux du « tout narratif » en sous-tend une autre. En effet, une distinction a souvent été établie entre une argumentation directe, qui relèverait du non-narratif, de la logique et de l’ethos, et une argumentation indirecte, qui relèverait du narratif, du subjectif et du pathos. Cette distinction est sous-jacente dans le travail de Christian Salmon sur le storytelling, dont la pratique est renvoyée aux domaines des émotions et de la « fictionnalisation » du réel, (Salmon, 2007, 38-39). Cette distinction a souvent donné lieu à la condamnation du récit, d’une argumentation qui ne dirait pas son nom et s’appuierait sur le pathos.

Cependant, comme le remarque Raphaël Baroni «certes, l’intrigue est commerciale, et elle peut offrir un levier argumentatif dont il faut parfois se méfier ; certes, elle paraît artificielle lorsqu’elle donne l’illusion de recréer l’actualité d’un événement passé pour en augmenter le pathos. Mais l’intrigue et le suspense peuvent aussi se loger au cœur du quotidien, lorsque les événements restent encore ouverts sur les virtualités de l’histoire à venir. Dans une telle situation, suspense et éthique convergent et finissent par devenir indissociables : sans virtualités, sans craintes et sans espoirs, l’action responsable (encore moins l’action « héroïque ») est tout simplement impensable ». Cette réflexion sur la littérature pourrait être étendue au champ scientifique. On peut par exemple penser à l’expérience menée sur le récit historique par Anthony Rowley et Fabrice d’Almeida qui proposent, à titre expérimental, de « refaire l’histoire » en construisant à partir d’un événement contrefactuel quelques uchronies narratives qui éclairent sous un jour nouveau le récit historiographique classique (Rowley ; D’Almeida, 2011). Dans cette optique et au-delà du domaine de l’histoire, Marta Spranzi Zuber remarque que la fonction explicative du récit reste une constante dans la pratique de toutes les sciences, en particulier lorsqu’on interroge la causalité, « les récits […] sont souvent considérés comme explicatifs des événements auxquels ils conduisent, au moins au(x) sens pragmatique(s) où ils sont acceptés comme des réponses adéquates à la question “pourquoi x a-t-il eu lieu“ ; en d’autres termes, ils nous procurent une compréhension du phénomène qui constitue “leur fin naturelle“ » (Spranzi Zuber, 1998).

 

A partir de ces éléments, quatre axes de réflexion sont proposés :

 

1)         Les interactions du récit et de l’argumentation

Dans une perspective générale, quelles constructions de sens autorisent l’irruption de la narration dans l’argumentation et/ou l’argumentation narrative ? Comment raconte-t-on en argumentant et comment argumente-t-on en racontant ? Le récit est-il condamné à rester du côté du pathos et toute argumentation relève-t-elle uniquement de l’ethos ? Plus spécifiquement, eu égard aux séminaires précédents ayant réuni les laboratoires LIRCES et I3M sur le storytelling, il s’agit de savoir si cette forme représente un usage majeur du récit dans les médias ou s’il en est une pratique limite ?

 

2)         Les lieux de l’argumentation

Quels sont les lieux à partir desquels se déploient les approches argumentatives et narratives ? Des contributions sur les pratiques discursives issues de différentes sphères sociales et institutionnelles pourront être présentées, comme par exemple sur les sciences et les techniques et leur rapport avec la narration, sous forme de rapports, d’enquête, d’aide à la décision, dans les domaines du climat, du risque, etc… Un questionnement du même type pourrait être engagé sur des topoï tels que la famille, les organisations marchandes, les leaders et mouvements politiques, les médias traditionnels et numériques…

 

3)         Dispositifs, techniques et usages de l’argumentation

Interroger les interactions et les lieux de l’argumentation narrative peut nous conduire à un questionnement sur l’articulation des techniques et des usages à un dispositif que l’on pourrait qualifier de socio-langagier. Quelle valeur sociale est-elle accordée aux formes discursives de l’argumentation, de la narration ? Peut-on parler d’un antagonisme de la narration et de l’argumentation voire d’une lutte pour la prépondérance d’une forme discursive sur une autre dans l’utilisation éducative, scientifique, performative, politique du récit et de l’argumentation qui vise leur institutionnalisation ? Quelle « organisation discursive » pour quel espace public ? En d’autres termes, quels sont les enjeux, les techniques, les stratégies, et les publics visés (dont il s ’agirait encore de prescrire les usages), d’une articulation du récit et de l’argumentation dans une ambition de construction sociale du sens ?

 

4)         La formation à l’argumentation

Comment est organisée la formation scolaire, universitaire aux techniques argumentatives et/ou aux pratiques narratives ? En quel sens narration et argumentation peuvent-elles alors faire l’objet d’une appropriation culturelle par les (futurs) citoyens ? Comment distinguer et concilier ce ferment de la rationalité occidentale qu’est le bon usage de l’argumentation dans les débats publics et une approche narrative accessible et « maîtrisable » par un public plus large ? Parlera-t-on d’éducation, d’apprentissage ou d’accompagnement vers l’exposition et l’expression de soi dans l’espace public ?

 

Programme 2015

 

Journée 1, le 10 mars 2015 : Entre réel et fiction : l'argumentation dans le récit littéraire et médiatique (intervenants : Daniel Bougnoux, Université de Grenoble ; Céline Masoni-Lacroix, I3M, université de Nice).

Journée 2, le 28 mai 2015 :  Récit, argumentation, éducation (intervenants I3DL, Université de Nice : Nicole Biagioli, Serge Quilio).

Journée 3, le 2 octobre 2015 : Genèse et usages des récits (intervenants : Raphaël Baroni, université de Lausanne, Alessandro Leiduan, université de Toulon).

Journée 4, le 13 novembre 2015 : Les sciences du récit à l’usage des sciences du risque (intervenants : Aïssame Afrous et Aurélien Portelli, École des Mines, Paris-Tech / Sophia).

Programme 2016

Écrire l’Histoire : Des choix du récit historique à l’uchronie, 17 mars 2016

Ugo Bellagamba (U. de Nice), « Le récit uchronique offre-t-il une argumentation sur l'Histoire ? » ; Audrey Millet (Université Lille 3, Charles-de-Gaulle, UMR 8533, CNRS (IDHES), Université Paris 8) « Pour un récit sans crise : l’écriture historique adoptative. L'historien et le journal du dessinateur Henri Lebert (1794-1862) ».

Narration et didactique de l’argumentation, 21 avril 2016

Denise Orange, PR 70 didacticienne des sciences (Theodile-CIREL, Université Lille 3), « Récits des élèves et récits des scientifiques dans les sciences de la nature ».

Sylvain Doussot, MCF 70, didacticien de l'Histoire  (CREN, Université de Nantes) « Le récit et le modèle : éléments en didactique de l’histoire ».

Récit, argumentation, cinéma, 19 mai 2016

Pierre Quiviguer (CRHI, U. de Nice), « Godard, l'Ecriture et l'écriture cinématographique - Récit et calvinisme » ; Elsa Grasso (CRHI, U. de Nice)

 

Bibliographie indicative

 

·             Baroni, Raphaël, « La tension narrative à travers les genres, enjeux éthiques et esthétiques du suspense », in Marti, Marc et Pélissier, Nicolas, Tension narrative et storytelling, Paris, L’Harmattan, 2013, pp. 17-36.

·             Charaudeau, Patrick, « L’argumentation n’est peut-être pas ce que l’on croit », Le français aujourd’hui, n°123, Association Française des Enseignants de français, Paris, 1998. http://www.patrick-charaudeau.com/L-argumentation-n-est-peut-etre,74.html

·             D’Almeida, Fabrice et Rowley, Anthony, Et si on refaisait l’histoire, Paris, Odile Jacob, 2011.

·             Habermas Jürgen, (2013), De l’éthique de la discussion, traduit par M. Hunyadi, Paris, Flammarion, 202 pages.

·             Migozzi, Jacques, Arraga, Loïc, dir., « Récits journalistiques et culture médiatique », revue A contrario, 2012/2, n°9, http://www.cairn.info/revue-a-contrario-2009-2.htm  

·             Salmon, Christian, Storytelling, la machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits, Paris, La Découverte, 2007.

·             Spranzi Zuber, Marta, « Le récit comme forme d’explication, science et histoire », Littérature, n°109, 1998, pp. 46-58.

·             http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/litt_0047-4800_1998_num_109_1_2460

·             Young, I. M., 1996, « Communication et altérité. Au-delà de la démocratie délibérative. » in Girard (C.), Le Goff (A.) dir., La Démocratie Délibérative Anthologie de textes fondamentaux, Paris, Hermann, 2010.

·             https://hal-univ-diderot.archives-ouvertes.fr/NARRATIVE_MATTERS

·             Kidedi Varga, Discours, récit, image, Paris, Mardaga, 1989.

 

Séance du 17 mars / 16h30-19h / Salle du Conseil

Titres et résumés des interventions:

- Ugo Bellagamba (Université Nice Sophia Antipolis, ERMES): "Le récit uchronique offre-t-il une argumentation sur l'Histoire?"

L'uchronie, née au XIXème siècle en France comme un prolongement de l'utopie, est redevenue une mode littéraire depuis quelques décennies. Elle revisite l'Histoire par l'Imaginaire, mais loin de la réviser, elle tend plutôt à l'enraciner par sa démarche spéculative, purement fictionnelle. Sa subversion porte moins sur les faits, qu'elle se contente de modifier pour les besoins du récit, que sur l'interprétation que les historiens nous en proposent. Dès lors, elle serait plus proche de l'historiographie que de l'Histoire elle-même. Edward Hallet Carr affirmait que l'historien est nécessairement sélectif et qu'il fait parler les faits afin de nous raconter l'Histoire. Il en va de même pour l'auteur d'uchronie : le choix de sa période historique, la sélection de son point de divergence, n'est que le point de départ de sa démarche narrative. Mais, l'uchronie offre-t-elle une argumentation vraiment nouvelle sur l'Histoire ? Ou ressasse-t-elle simplement des convictions héritées, voire obsolètes ? Cette communication tentera de répondre à cette question, en partant de quelques exemples classiques, avant de revenir sur les productions les plus récentes de l'uchronie et leurs possibilités pédagogiques, notamment à l'université.

- Audrey Millet (Université Lille 3 Charles de Gaulle, UMR 8533, CNRS (IDHES), Université Paris 8): "Pour un récit sans crise: l'écriture historique adoptative. L'historien et le journal du dessinateur Henri Lebert (1794-1862)"

La découverte fortuite des 13 volumes rédigés par Henri Lebert, dessinateur textile colmarien, pose des questions essentielles à l’historien qui désire éditer des sources. En effet, ce manuscrit interpelle à la fois le professionnel et le particulier. Le premier volume est, en soi, impossible à transcrire puisqu’il est essentiellement composé d’échantillons de tissus, de dessins, de modèles, de brouillons et de mises en carte. Les douze suivants mêlent morceaux d’intimité, récits de visites au Louvre ou au musée des monuments français, souvenirs douloureux de l’apprentissage ou annales de soirées mondaines chez les Rothschild. Henri Lebert n’a pas choisi son genre : il fournit à la postérité un morceau de littérature ouvrière, une autobiographie, un récit de voyages et un journal intime.

Pour le dessinateur les souvenirs sont « comme une relique sacrée ». Il choisit d’écrire « ce qui ne doit être lu que dans le cercle si étroit de la famille ou de l’amitié véritable ». De quelle manière l’historien doit-il entreprendre son travail pour le donner au lecteur, sans déformations majeures, tout en entrant dans le cercle de l’amitié véritable ?

L’historien doit opérer des choix, des coupes et prendre des raccourcis pour transcrire et rendre lisible les douze volumes d’Henri Lebert. Au final, le premier volume fournit la démarche pour engager ce travail. L’historien doit alors conserver, griffonner, essayer, esquisser, coller, décoller, anticiper la pensée et le geste d’Henri Lebert. Impossible d’adapter ou d’adopter la posture du dessinateur : l’historien s’emploiera à saisir les deux attitudes pour réaliser une « adoptation ». Elle sera le point de rencontre des deux professionnels, dessinateur et historien, écrivains amateurs, et la sera l’acte de naissance d’un ouvrage.