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Séminaire

Séminaire "La résonance lectorale"

Publié le par Alexandre Gefen (Source : Alain Trouvé)

Approches Interdisciplinaires de la Lecture (AIL10)

 

Marie-Madeleine Gladieu – Jean-Michel Pottier – Alain Trouvé

CIRLEP – CRIMEL

 

Session 2014-2015

 

La résonance lectorale

 

Séances le Mardi, de 17 à 19h, en salle R202, bâtiment de Recherche

 

Semestre 1

 

 

 

 

 

Mardi 30/9 : Alain Trouvé : « Here comes everybody ? Résonance et fiction littéraire selon Joyce, Yourcenar, Le Clézio »

 

Mardi 7/10 : Juan Antonio Gonzalez Iglesias  (Universidad de Salamanque) : « Résonance et écriture poétique »

 

Mardi 4/11 : Marie-Madeleine Gladieu : « Retentissements des discours politiques de Vargas Llosa sur son œuvre »

Mardi 25/11 : Jean-Michel Pottier : « La voix et l'écoute - A propos d'une page de Proust. »

Mardi 16/12 : Nathalie Roelens (Université du Luxembourg) : « Lire Larbaud entre les langues : résonance et idiorythmie ».

 

 « La résonance lectorale »

 

 

A quoi tient qu’une œuvre littéraire nous émeut, nous touche, nous donne à penser ? L’incursion dans l’imaginaire de l’autre, dans ses fantasmes, la reconnaissance des éléments de l’histoire  (la grande et la petite)  convoqués dans le roman, la pièce de théâtre ou le poème viennent élargir notre expérience.

Toute création est sans doute dépassement d’un donné arrière-textuel par la confrontation avec la langue, ses contraintes et ses potentialités. Mais que se passe-t-il si l’on replace l’acte créatif dans la relation littéraire[1] comme co-création ? Le contre-texte[2] élaboré par le lecteur dans sa rencontre avec le texte peut prendre des formes diverses, de la simple réaction mentale  à l’élaboration verbale de l’interprétation, encore nommée texte de lecture[3].

C’est ce  phénomène d’écho qu’on voudrait explorer sous le nom de résonance. Le poète Francis Ponge affirmait que l’objet poétique devait conjuguer raison et réson  pour effectuer le dépassement vers l’invention. Il laissait peu de place à l’autonomie du lecteur supposé jouir comme lui et avec lui de l’objet poétiquement reconstitué, nommant dans les années 1960 objeu, le va-et-vient souverain entre raison, qui tient compte du signifié dans sa dimension conceptuelle, et réson, qui ajoute le réseau des analogies nées de la proximité sonore des signifiants. En ce sens, chaque œuvre est un monde recomposé par la pensée de l’artiste.  De fait, il n’est d’art digne d’intérêt que celui qui nous entraîne hors de nous-mêmes vers des terres inconnues dans le sillage de son créateur premier.

Pourtant, si l’arrière-texte auctorial (corps, vécu, mémoire intellectuelle et affective, rapport au monde) et l’arrière-texte lectoral coïncident partiellement, rendant possible l’expérience littéraire comme rencontre de l’autre, loin s’en faut que cette coïncidence soit toujours assurée, totale, voire souhaitable.

Ce décalage  tient sans doute  au caractère ouvert de tout énoncé linguistique exploré au début du siècle dernier par Volochinov pour qui « toute compréhension est de nature dialogique » et implique « une contre-parole »[4] ; idée reprise et élargie par Bakhtine dans Esthétique de la création verbale à travers la conceptualisation d’un sur-destinataire excédant la visée auctoriale[5]. Plus près de nous la réflexion de François Rastier sur un cycle de la transmission permettant, de part et d’autre du texte, « d’appareiller une valeur (le contenu) à un signal (l’expression) »[6] invite également à dépasser le cadre d’une compréhension enfermée dans l’énoncé à lire. Le changement d’époque, de sphère culturelle, la mise en résonance, dans chaque acte de lecture individuel, de deux subjectivités semblables et distinctes,  amènent à envisager la rencontre de l’arrière-texte auctorial et de l’arrière-texte lectoral comme interférence, entre tension et coopération. Umberto Eco avait naguère ouvert la voie dans Les Limites de l’interprétation (1990),  s’attachant à confronter approche générative et approche interprétative, montrant que la logique du texte et de son créateur limitait  les prérogatives du lecteur. Mais la question de la résonance dépasse celle de la légitimité de l’interprétation ; il s’agit aussi  de penser les conditions du décalage auteur-lecteur. De fait, par exemple, cette raison que les philosophes des Lumières crurent et voulurent universelle ne cesse d’être interrogée par les artistes  qui en éclairent les revers monstrueux. La confrontation des aires culturelles tend à en relativiser la portée, montrant le lien consubstantiel entre raison, pensée et système de notation scripturale. Léon Van der Meersch oppose dans Les deux raisons de la pensée chinoise (Gallimard, 2013) une pensée aristotélicienne de la causalité, solidaire des langues alphabétiques, et une pensée de la corrélation et de l’inclusion systémique, apparentée au caractère idéogrammatique de la langue chinoise. Sans que la science occidentale soit en mesure d’expliquer par ses outils les succès de l’acupuncture qui pense le corps humain en ne le séparant pas du macrocosme, force est pour elle, par honnêteté et pragmatisme, de reconnaître l’efficience de certaines de ses interventions.

Dès lors, on se propose d’interroger la résonance lectorale, entre harmonie et dissonance, sous plusieurs angles problématiques :

Degré de compatibilité, de congruence, du signal et de sa réponse, du « texte à lire », celui de l’écrivain, et du « texte de lecture » 

Passage d’une aire culturelle à une autre (incluant, entre autres, la question de la traduction) 

Lieux textuels de l’intersubjectivation : le personnage…

Modalités poétique et romanesque de la résonance : le poème, lieu de la consonance / le roman, lieu de la dissonance et de l’hétérogénéité constitutive ?

Forme et légitimité du texte de lecture poétique, au service du poème

Fabrique culturelle de la résonance, qui interfère avec la théorie de la réception mais se soucie aussi du conditionnement éditorial de la lecture. Il arrive que l’éditeur modifie le texte à lire, empiétant sur la fonction auctoriale. Quid de ces  intermédiaires : auxiliaires  ou agents pathogènes de la relation littéraire ?