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Cycle de séminaires :

Cycle de séminaires : "Les révolutions du corps au XIXe siècle" (Doctoriales SERD, Paris)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Fanny Arama)

Les révolutions du corps au XIXe siècle

 

Organisé par la SERD (Société des Etudes Romantiques et Dix-neuviémistes)

Le comité organisateur des Doctoriales est composé de Manon Amandio (Université Paris Nanterre), Fanny Arama (Université Paris Diderot), Romain Enriquez (Université d’Artois), Anne Orset (Sorbonne Université) et Marie-Agathe Tilliette (Université Paris Nanterre).

Du 6 octobre 2018 à fin juin 2020 (une fois par mois)

Samedi, 10h à 13h, Paris-Diderot

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PRESENTATION

Placé dès le xviiie siècle sur la scène esthétique et politique, le corps se trouve au cœur des innovations littéraires, artistiques et scientifiques qui se développent au xixe siècle.

De plus en plus visible dans le champ de l’analyse critique, il est toutefois pris après 1789 dans un écheveau de paradoxes. Voyant se succéder romantisme, naturalisme et idéalisme, la littérature du xixe siècle oscille en effet entre exaltation du sentiment et exhibition des corps. La science, de son côté, est partagée entre célébration de l’objet artificiel et fascination pour les corps naturels, entre spiritualisme et matérialisme dans l’étude de la psyché. Face à un individualisme croissant, la société post-révolutionnaire contracte quant à elle une forme de nostalgie à l’égard des communautés organiques traditionnelles.

Au xixe siècle, le corps est donc tout à la fois mis à nu, mis en valeur et mis en cause. Ce sont les enjeux esthétiques et critiques de cette « révolution corporelle » que nous nous proposons d’étudier lors des rencontres des Doctoriales de la SERD.

Objet d’étude pluridisciplinaire, concept plastique dont les virtualités métaphoriques ont été activées dès le xixe siècle, le corps offre plusieurs pistes d’analyse que nous pourrons explorer au cours de nos deux années de séminaire (2018-2020).

 

Lire les corps 

Au xixe siècle, la médecine connaît une révolution épistémologique sans précédent, qui met le déchiffrement du corps au centre de ses préoccupations. À l’ère de la « naissance de la clinique », le physique dans toutes ses manifestations fait l’objet d’une véritable lecture, censée dégager les caractères de la norme à partir de l’observation des phénomènes pathologiques. La fièvre physiologique qui s’empare de la science contribue en outre à l’émergence et à la formalisation d’une psychologie matérialiste : souhaitant se défaire de l’emprise spiritualiste et dualiste des siècles précédents, les savants de l’époque tentent de « corporiser » l’étude de la psyché, que ce soit à travers la phrénologie, la physiognomonie ou encore la neurologie. Quels sujets d’étude inédits (corps souffrants, blessés, déformés) émergent de ces savoirs ? Comment la littérature et les arts s’approprient-ils le mode de présentation scientifique de ces corps nouvellement déchiffrés ?

Dans le sillage de cette lecture « indiciaire » des corps, se développent également de nouvelles disciplines (tératologie, médecine légale, anthropologie raciale et criminelle) qui dotent les instances politiques et scientifiques d’un véritable « biopouvoir». Comme Michel Foucault l’a montré, les corps doivent se plier à une discipline institutionnelle, tout en étant soumis à un contrôle étatique et statistique de plus en plus marqué. On s’intéressera aux enjeux idéologiques et esthétiques soulevés dans le discours littéraire et social de l’époque par cette appropriation politique des corps, en faisant un usage critique des concepts de normes, de races et de genres.

Les corps en représentation

Le corps est un sujet esthétique majeur au xixe siècle. Progressivement dévoilé, dénudé et exposé dans la peinture ou le dessin, il est également placé au centre des arts du spectacle qui se développent à cette époque, et il suscite un intérêt nouveau à travers l’émergence de la culture sportive. Dans la lignée des visual studies, il s’agit d’étudier les différents types de supports (peinture, gravures, photographies, cinématographe, etc.) utilisés par les écrivains, les artistes et les publicistes de l’époque pour représenter le corps, sans oublier l’expansion sans précédent de l’image satirique et de la caricature du corps dans les journaux à grande diffusion (succès de Cham et de Daumier). On pourra également se demander comment les théories esthétiques formalisées au xixe siècle renouvellent les genres mimétiques traditionnels (que ce soit à travers des blasons, des portraits ou encore des croquis anatomiques).

Dans la seconde moitié du siècle, la tendance est également à la célébration d’un physique « augmenté ». À l’exemple de Barbey (Du dandysme et de Georges Brummel) ou de Baudelaire (« Éloge du maquillage »), on pare les corps, on les sublime par l’artifice, on les dissimule par l’ajout de costumes et d’accessoires, de coiffures et de tatouages. Comment le corps cristallise-t-il les débats entre nature et culture, entre machines et organismes et comment redéfinit-il les rapports sociaux ?

Faire corps

Aux lendemains de la Révolution, la société du xixe siècle passe d’un modèle « communautaire » (monarchie de droit divin reposant sur une forme de communion au corpus Christi) à un modèle « sociétaire » (démocratie bâtie sur le principe de la liberté individuelle) qui aboutit à « la déchirure du lien social». Marquée par la disparition des corps anciens (états et corporations entre autres), elle se sent alors « menacée par les périls de “défédération”, de “dissociation” ou de “désagrégation”». De surcroît, le corps des figures d’autorité traditionnelles, qui bénéficiait auparavant d’une aura particulière (en particulier à travers l’onction du monarque et la vénération des reliques), tend à se désacraliser et à se banaliser.

La sociologie naissante, qu’Auguste Comte appelle d’abord « la physique sociale », est alors fortement marquée par une pensée organiciste : malade, blessé ou amputé, le corps social a besoin d’être guéri et reconstruit. Comment ces réflexions sociologiques sont-elles prises en charge en littérature ? Quelles nouvelles instances individuelles (artistes, écrivains, sociologues) ou collectives (associations, partis politiques, sociétés savantes, cénacles littéraires) se mettent en place pour tenter de mettre fin à ce qui est vécu à l’époque comme un démembrement du corps social ?

À partir de l’analyse de Pierre Bourdieu qui décrit les « effet de corps dont les groupes littéraires et artistiques les plus fameux ont tiré d’immenses profits symboliques, jusque dans et par les ruptures plus ou moins éclatantes qui y ont mis fin», on étudiera les enjeux littéraires de ces reconfigurations sociales. La fondation de la Société des gens de lettres par Louis Desnoyers et Honoré de Balzac en 1838, mais également l’éclosion de groupes, d’écoles, de mouvements, souvent réunis et exposés au sein de revues très identifiables, façonne l’identité de l’écrivain désormais lié au corps de ses pairs. Il conviendra d’interroger les causes, l’évolution et les enjeux de ces mouvements qui « corporisent » l’arène littéraire et artistique tout au long du siècle.

Corpus d’auteurs, corps de lecteurs 

Dans une perspective métalittéraire, on abordera enfin la présence physique de l’auteur dans ses œuvres. Certains genres littéraires (comme les confessions, les pamphlets, ou encore les poèmes lyriques) accordent une importance toute particulière à l’incarnation de l’écrivain, en donnant une épaisseur matérielle à sa parole. Quel rôle joue la description du corps dans la construction d’un éthos auctorial ? Par le biais de l’analyse pragmatique et de l’histoire des sens, on pourra observer l’engagement physique et émotionnel du lecteur. Comment l’auteur parvient-il à lui ménager une place dans le corps de son texte ?

D’un point de vue plus métaphorique, on peut se demander comment une œuvre parvient à « faire corps », soit par la volonté de son auteur (rédaction de préfaces et de manifestes, ou retour des personnages), soit par construction rétrospective de son éditeur (publications posthumes, éditions intégrales, etc.).

 

APPEL ET CALENDRIER

 

Les Doctoriales de la Société des Études Romantiques et Dix-neuviémistes (SERD) sont ouvertes à tous les doctorants et jeunes docteurs, dans toute la France et à l’étranger, dont les recherches portent sur l’histoire, les arts et la littérature du xixe siècle.

Nos rencontres sont conçues comme un espace d’échanges et de discussions entre jeunes chercheurs d’une même discipline. Elles se déroulent au sein de l’Université Paris-Diderot une fois par mois, le samedi de 10h à 13h. Chaque séance porte sur un sujet précis en rapport avec la thématique générale du séminaire, et choisi préalablement par l’un des participants. Elle se compose d’une à trois communications de jeunes chercheurs, ainsi que d’un point méthodologique (bibliographie, bourses de thèse, déroulement des soutenances, échéances de la thèse…). Le séminaire s’achève sur un déjeuner auquel chacun est chaleureusement convié.

Voici le calendrier prévisionnel du premier semestre 2018 :

  • 21 septembre 2018 : Atelier de la SERD « Quelles sources pour l’histoire des sens ? » organisé par Erika Wicky (FNRS /Université de Liège) – Fondation Biermans-Lapôtre
  • 6 octobre 2018 : séance introductive consacrée à la présentation du thème de l’année
  • 10 novembre 2018 : séance organisée par Manon Amandio (Université Paris Nanterre), autour du « corps souffrant » - Université Paris Diderot
  • 7 décembre 2018 : Atelier de la SERD « Les Chefs-d’œuvre inconnus » organisé par Amandine Lebarbier (Université Paris Nanterre) – Maison de Balzac

Nous invitons tout jeune chercheur dix-neuviémiste à proposer des thèmes de séances ou des communications en rapport avec « les révolutions du corps au XIXe siècle » pour le second semestre (janvier à juin 2019). Vous pouvez nous soumettre vos propositions à l’adresse suivante : contact.doctoriales.serd@gmail.com.

 

BIBLIOGRAPHIE


Raphaël Baroni, La Tension narrative. Suspense, curiosité, surprise, Paris, Seuil, 2007.

Pierre-Jean Simon, Histoire de la sociologie, [1991], Paris, Presses universitaires de France, « Fondamental », 2002, p. 290.

Denis Pernot, Le Roman de socialisation (1889-1914), Paris, Presses Universitaires de France, « Écriture », 1998, p. 9.

Ernst Kantorowicz, Les deux corps du roi. Essai sur la théologie politique au Moyen-Âge, trad. de l’anglais par J.-P. et N. Genet, Paris, Gallimard, 1989 (1ère éd. en anglais en 1957).

Pierre Bourdieu, Les Règles de l’art. Genèse et structure du champ littéraire [1992], Éditions du Seuil, « Points Essais », 2015, p. 438.

Patrick Clastres et Paul Dietschy parlent de « l’émergence du corps moderne » entre 1789 et 1870 à travers le développement de la pratique sportive. Voir Sport, culture et société en France : du xixe siècle à nos jours, Paris, Hachette Supérieur, « Carré Histoire », 2006.

Carlo Ginzburg, « Traces. Racines d’un paradigme indiciaire », dans Mythes, emblèmes, traces, Paris, Verdier, 2010.

Michel Foucault, Histoire de la sexualité I. La Volonté de savoir, Paris, Gallimard, « Tel », 1976.

Michel Foucault, Naissance de la clinique, Paris, Presses universitaires de France, « Quadrige », 1963.