Questions de société

"Sauvons la Recherche" (SLR) reçu par V. Pécresse: compte rendu

Publié le par Marc Escola (Source : SLU & SLR)

[Ce compte rendu a été transmis par Bertrand Monthubert aux membres de SLR]

Mardi 19 février, une délégation de Sauvons la Recherche a rencontré Valérie Pécresse, ministre de l’enseignement supérieur, de la Recherche et de l’innovation. La discussion a porté pour l’essentiel sur les questions d’attractivité des carrières scientifiques et les conditions de travail à l’université.

Nous avons souligné en préalable notre inquiétude concernant la désaffection croissante des étudiants pour les filières scientifiques en raison notamment des perspectives de carrières médiocres qu’elles offrent dans les secteurs public et privé. Nous avons évoqué l’urgence d’enrayer ce processus en mettant en place un plan pluriannuel pour l’emploi scientifique, indispensable par ailleurs à l’amélioration de l’encadrement des étudiants et de la qualité de la recherche universitaire. Les débouchés dans le secteur privé doivent également être améliorés au travers de dispositifs incitatifs à l’embauche de docteurs.

La ministre s’est refusée à donner la moindre perspective de recrutement statutaire, même à échéance d’un an. Elle a expliqué ce refus par la nécessité « d’avoir une meilleure visibilité sur les besoins des organismes et des universités ». De notre point de vue, il y a urgence de ne pas attendre ces remontées pour envoyer un message fort aux jeunes, ces besoins étant, au moins globalement, déjà connus. Elle a donné cependant des indications qui laissent prévoir, au mieux, une stagnation de l’emploi scientifique public ces prochaines années : elle a indiqué tout d’abord que, dans un contexte démographique marqué par de nombreux départs en retraite, il importait, pour maintenir la qualité des recrutements, de ne pas accroître le nombre de postes ouverts aux concours. Elle a souligné par ailleurs que la désaffection des étudiants pour les filières scientifiques (« en science, vous n’avez plus d’étudiants » [SIC]) conduit à des besoins moindres de recrutement. Cette analyse nous semble extrêmement dangereuse. D’une part, elle est fondée sur une lecture fausse de la pyramide des âges : le nombre de départ en retraite d’universitaires scientifiques va diminuer d’un facteur deux d’ici 6 ans (source : Etat des lieux de l’emploi scientifique, p.41 <http://media.education.gouv.fr/file/10/8/7108.pdf> ). D’autre part, elle fait très peu de cas de la question de la recherche puisque le recrutement d’enseignants chercheurs est ajusté aux seuls besoins d’encadrement…système qui a largement montré ses limites. A terme, une telle politique d’ajustement automatique de l’offre aux besoins d’enseignants ne peut qu’entraîner l’ensemble des filières scientifiques dans une spirale descendante. Cette politique nous fait entrer dans un cercle vicieux : l’absence de perspectives pour les jeunes entraîne leur fuite vers d’autres métiers ou d’autres pays, et le gouvernement s’appuiera sur cette désaffection pour refuser de créer des emplois. Pour sortir de ce cercle vicieux, il faudrait au contraire une politique d’embauche volontariste inscrite dans une vision de long terme de développement de la recherche et de l’enseignement supérieur à laquelle se refuse obstinément ce ministère.

Nous avons souligné que ces arguments, qui conduisent à une limitation stricte de l’embauche statutaire, n’avait pas empêché l’embauche massive de CDD depuis 2 ans via l’Agence Nationale de la Recherche (le nombre de CDD créée par cette agence reste un sujet de débat, mais il devrait dépasser les 5 000 postes). Nous avons alors demandé comment le ministère envisageait l’avenir professionnel des jeunes chercheurs qui occupent actuellement ces postes, et dont la première promotion arrivera cette année en fin de contrat. Le silence de la ministre sur cette question a été édifiant, et montre l’absence de prise en compte des conséquences graves de la politique qui est conduite par ce ministère. Aucun plan de recrutement dans le secteur public n’est prévu, mais « des discussions s’engagent pour favoriser l’embauche des docteurs dans les entreprises » sans qu’aucun élément concret permettant d’espérer d’avancée rapide sur cette question difficile (et ancienne) n’ait été avancé. Le gouvernement actuel et ses prédécesseurs ont donc entraîné des milliers de jeunes chercheurs dans des contrats post-thèse de 2 ou 3 ans sans aucune anticipation de ce qui adviendra d’eux à l’issue de leur contrat. Nous avons alors abordé la question de l’amélioration des conditions de travail des enseignants chercheurs et du taux d’encadrement en licence, en soulignant que ces objectifs nous paraissaient difficilement atteignables à moyens humains constants.

Encore une fois, la réponse a été pour le moins légère. C’est aux seules universités que revient la décision de définir les services d’enseignements. Nous avons fait remarquer que cette possibilité offerte aux universités est sérieusement contrainte par les moyens alloués et le nombre de recrutements que leur autorise leur ministère de tutelle, et, qu’en l’occurrence, la stagnation de l’emploi limite totalement les marges de manœuvre. Il nous a été répondu que la solution consistait à réduire le taux d’échec en premier cycle ce qui réduirait le nombre d’étudiants inscrits et donc permettrait d’augmenter le taux d’encadrement sans procéder à des embauches. Ce raisonnement macro-économique est très léger et ne s’appuie en rien sur une évaluation précise des effets supposés des nouvelles mesures. Tout au long de cette discussion, la plupart des questions sensibles ont été renvoyées aux travaux des commissions d’Aubert et Schwartz. Il en ressort une impression troublante qu’aucune réflexion stratégique ne semble être à la base de la politique en matière d’emploi et de carrières. En revanche, il semble qu’il y ait une ouverture sur la question de la double tutelle des laboratoires. L’annonce de la réunion des directeurs de laboratoires et de membres d’instances scientifiques <http://www.sauvonslarecherche.fr/spip.php ?article1842> (le 4 mars prochain) a conduit le ministère à commencer à bouger sur les UMR. C’est intéressant mais pas du tout concret. Les élections municipales sont proches, comme le changement ministériel, qui oblige la ministre à calmer le jeu. Nous ne sommes donc pas à l’abri d’effets d’annonce pour gagner du temps et démobiliser pour le 4 mars.

Cela contribue à notre conviction que la réunion nationale des directeurs de laboratoires et des membres des instances scientifiques, au cours de laquelle ces questions seront discutées, et des moyens d’actions élabores, aura une importance capitale pour peser sur le gouvernement, tout de suite et au-delà.