Agenda
Événements & colloques
Satire ménippée et rénovation narrative en Espagne: du lucianisme à Don Quichotte

Satire ménippée et rénovation narrative en Espagne: du lucianisme à Don Quichotte

Publié le par Marie Minger (Source : Pierre Darnis)

Satire ménippée et rénovation narrative en Espagne: du lucianisme à Don Quichotte
16-18 septembre 2015
Bordeaux et Saint-Julien-Beychevelle

 

L’année 2015 va être marquée par le 400e anniversaire de la publication de Don Quichotte, ou plus exactement de sa Seconde partie (1615). Dans le contexte de multiplication d’approches générales sur l’œuvre cervantine, nous proposons une rencontre scientifique centrée sur un aspect précis de l’histoire littéraire et du texte cervantin: la satire ménippée.

Relativement méconnu aujourd’hui, ce genre narratif avait connu un essor considérable pendant tout le XVIe siècle. La Renaissance redécouvre les textes de Lucien de Samosate et en imite la forme et l’esprit. Sous l’impulsion d’Erasme (Luciani dialogi aliquot, Eloge de la folie, Colloques) et de More (Utopie), les humanistes espagnols comme Vivès (Veritas fucata, Fabula de Homine), Argensola (dialogues) et Torquemada (Jardín de flores curiosas) s’essayent à la fiction lucianesque, qui trouvera à la fin du XVIe siècle une seconde jeunesse après la publication de la satire ménippée de J. Lipse (Somnium, 1581). En ce qui concerne Don Quichotte, après le premier repérage de R. Rapin (Réflexion sur la poétique de ce temps et sur les ouvrages des poètes anciens et modernes, 1673), il a fallu attendre G. Highet (The Anatomy of Satire, 1962), J. Parr (Don Quixote : An Anatomy of Subversive Discourse, 1988) et, plus récemment, N. Correard («La vérité au fond du puits», 2006) et Darnis (Don Quichotte, 2015) pour que soit reconnue la tradition narrative dans laquelle s’insèrent les deux parties. Dans son épopée burlesque, Cervantès reprend les caractères de la satire ménippée, qu’il modernise, comme Rabelais avant lui; mais la rénovation proposée est aussi un retour aux origines. Dans le même esprit que celui qui l’anime en écrivant le «Coloquio de los perros» (Nouvelles exemplaires), Cervantès propose un récit dont la divergence avec Guzmán de Alfarache se lit dans sa manière de reprendre différemment la veine lucianesque (Vian, «El Diálogo de las transformaciones de Pitágoras la tradición satírica menipea y los orígenes de la picaresca: confluencia de estímulos narrativos en la España renacentista», 1999; Hutchinson, «Luciano, precursor de Cervantes», 2005; Darnis, La picaresca en su centro, 2015).

Le relatif silence de la critique s’explique peut-être par la complexité du genre en Europe et en Espagne (Bakhtine, La poétique de Dostoïevski, 1998; Valdés, «Rasgos distintivos y corpus de la sátira menipea española en su Siglo de Oro», 2006) et par une double tentation: celle de la modernité et celle du romanesque. Si Don Quichotte est un «roman moderne», à quoi bon connaître ses origines? Pire, il pourrait être préjudiciable qu’on tente de le rapprocher de l’un des genres les plus anciens de la littérature européenne. Pourtant, la ménippée, ensemble narratif hors-norme, n’offrait-elle pas une capacité de dépassement des genres établis et canonisés? On peut ainsi se demander si M. Menéndez Pelayo n’a pas été clairvoyant lorsque, dans son Historia de las ideas estéticas en España (1883-1889), il a considéré paradoxalement Lucien comme «el más moderno de todos los antiguos».

Quoi qu’il en soit, il semble nécessaire de reprendre le dossier afin de saisir la portée d’un genre trop souvent marginalisé par l’usage de catégories contemporaines (la satire, la parodie, le carnavalesque, le roman, etc.) et peut-être, également, trop souple pour que nous puissions en percevoir sereinement les subtilités et les inflexions. Distinguer ainsi les multiples formes de cette veine (satire ménippée, ménippéenne, lucianesque) pourrait être une piste d’étude fructueuse, tout comme l’analyse des croisements avec d’autres types de récits (chevaleresques, historiques, autobiographiques, etc.). Au demeurant, on rappellera que la satire ménippée n’était pas toujours dissociable de deux «domaines» adjacents, le lucianisme et la milésienne, avec lesquels elle entretenait, pour les auteurs classiques, une sorte d’isomorphisme. D’une part, en effet, la formule narrative décalée et burlesque associée à l’Histoire véritable n’est pas toujours dissociable des autres écrits de Lucien, qu’il s’agisse de dialogues philosophiques ou de déclamations. Percevoir ainsi à quelle réorganisation lucianesque se livrent les auteurs du premier Siècle d’or peut s’avérer fécond. D’autre part, la version «lucianesque» de l’histoire de Lucius transformé en âne explique que les humanistes n’aient pas toujours distingué la ménippée de la fable milésienne (cf. Vives, De officio mariti; Casaubon, …). Les créations de l’époque contribuèrent d’ailleurs à accentuer cette homologie. Le Lazarillo et le Guzmán étaient nés de l’infléchissement du fantastique lucianesque par le prosaïsme du récit d’aventure milésien.

Nous préparons donc un colloque international dans lequel les chercheurs spécialistes seront invités à s’intéresser aux différents aspects lucianesques de la prose cervantine, mais aussi aux satires ménippées ou «ménippéennes» du premier Siècle d’Or pour en analyser les continuités, les mutations ou pour déterminer quel impact ces formes ont exercé sur la production narrative du «long» XVIe siècle.

Plusieurs perspectives sont attendues. Par sa cohérence scientifique, le colloque doit permettre des repérages transversaux et, donc, de préciser de qu’il faut entendre par «satire ménippée» au XVIe siècle jusqu’à la publication de Don Quichotte. La présence d’une spécialiste de Lucien de Samosate (Montserrat Jufresa) et ainsi que celle d’une autre collègue spécialiste des formes lucianesques «modernes» (Ana Vian) devraient permettre des regards croisés entre les textes-source (dialogues, récits et déclamations de Lucien) et les réalisations du Siècle d’Or (traductions de Lucien, prose narrative lucianesque). Une synthèse finale (P. Ruiz, F. Rico) doit servir à dégager les apports du colloque et à définir la ménippée espagnole moderne autant dans son unité que dans son polymorphisme. Quelles évolutions ou mutations sont sensibles au cours de cette période d’intenses productions? Au-delà de la dimension diachronique de l’écriture des ménippées, on s’interrogera d’ailleurs sur l’un des aspects qui font le sel (pour les auteurs et pour les lecteurs) de ce type de récit: la dénonciation des travers du monde contemporain.

 

PROGRAMME

 

MERCREDI 16 septembre (Bordeaux, Institut Cervantès)

14h45. Ouverture du colloque par Isabelle Tauzin (directrice d’AMERIBER), Juan Pedro de Basterrechea (directeur de l’Instituto Cervantes), Ana Vian (directrice de DIALOGYCA) et Véronique FERRER (directrice du Centre Montaigne).

Président de séance: Elvezio Canonica

- 15h05-15h40: Theodora GRIGORIADU (Université Ionienne, DIALOGYCA)


«La sátira menipea en el conjunto de las traducciones lucianescas peninsulares: siglos XV- XVII»

- 15h40-16h15: Ana VIAN (Université Complutense de Madrid, DIALOGYCA)


«Caos del mundo, libido sciendi y parodia lucianista del más allá: El Crotalón de ‘Cristóforo Gnofoso’»

Pause

- 16h30-17h05: Folke GENERT (Université de Trier)


«Erasmo, Luciano y algunos médicos humanistas de la primera mitad del siglo XVI (Andrés Laguna, Juan de Jarava y Francisco Delicado)»

Débat

JEUDI 17 septembre (Bordeaux, Institut Cervantès)

Présidente de séance: Ana Vian


- 9h50-10h25: Germán REDONDO (Université Complutense de Madrid, DIALOGYCA)
 

«Características de la sátira menipea en los diálogos de Bartolomé Leonardo de Argensola: selección de recursos y su funcionalidad»


- 10h25-11h: Miguel GARCÍA-BERMEJO GINER (Université de Salamanque)

«Haciendo más anotomías que Demócrito: Sátira y carnaval humanista en la Comedia llamada Doleria de Hurtado de la Vera»

Pause

- 11h15-11h50: Monserrat JUFRESA (Université de Barcelone)

«Guzmán de Alfarache, un héroe menipeo»

Débat Repas

 

Président de séance: Pedro Ruiz

- 14h30-15h05: Nicolas CORREARD (Université de Nantes)


«Poétiques de l’incrédulité: métamorphose de la satire ménippée du Crótalon au Colloque des chiens»

- 15h05-15h40: Valentín NÚÑEZ (Université de Huelva)


«Los dos Lazarillos desde Juan de Luna: haz y envés de la fantasía lucianesca»

Débat Pause

 

Président de séance: Valentín Núñez


- 16h05-16h40: Adrián SÁEZ (Université de Neuchâtel)

«‘Nueva admiración y nueva maravilla’: los relatos verídicos de Cervantes»

- 16h40-17h15: Sònia BOADAS (Université Autonome de Barcelone)

«Traiano Boccalini en la República Literaria de Saavedra Fajardo»

Débat

 

VENDREDI 18 septembre (Château Branaire-Ducru, Saint Julien Beychevelle)

- 11h30: visite des Chais


- 12h30: repas dans l’Orangerie du château

Président de séance: Jean-Marc Buiguès

- 14h20-15h: Pedro RUIZ PÉREZ (Université de Cordoue) Synthèse et vue d’ensemble sur la satire ménippée au Siècle d’or

- 15h-15h40: Conférence de clôture: Francisco RICO (Université Autonome de Barcelone, membre de la RAE et de l’Institut de France)

- 16h: Hommage à Michel Cavillac