Questions de société
Sarkothon 2009 (Le Nouvel Obs, 21/01/2009)

Sarkothon 2009 (Le Nouvel Obs, 21/01/2009)

Publié le par Bérenger Boulay

Sur le site du Nouvel Observateur le 21/01/2009

Envoyez vos livres au président de la République !

Le Sarkothon 2009 Par Jacques Drillon et Fabrice Pliskin

Le 28 janvier, Nicolas Sarkozyaura 54 ans, et il souffre d'une maladie, l'allergie à la littérature.C'est pourquoi nous lançons une grande opération thérapeutique :redonner le goût de la lecture à l'ennemi personnel de Mme de La Fayette

Monsieur le Président,

Serait-ce à force d'admirer les chiffres sur le cadran de votreBreitling que vous avez pris les lettres en horreur ? Vous nous rappelezsans cesse que le but de notre vie, c'est de gagner plus. Hélas, sousvotre présidence, les Français n'ont plus d'argent. Des «cinq ou sixcerveaux» que vous prête votre moitié, aucun ne semble stimulé par lachose écrite. La chose comptée vous importe seule, et il n'est pasjusqu'aux sans-papiers, êtres humains parmi les êtres humains, que vousne dénombriez par paquets de mille. Un texte, semblez-vous demander,combien de divisions ? Les richesses d'un livre, la multiplicité destons et des voix sont lettre morte pour vous. Pourquoi reconduire à lafrontière de votre conscience cette diversité-là ?

Vous nous souhaitez bonne année dans la bibliothèque del'Elysée, mais ces livres trop bien rangés montrent assez que vous n'enavez lu aucun ; vous aimez à vous parer d'Aimé Césaire et de Claude Lévi-Strausscomme d'un people et d'un top model, et tout le monde sent bien quec'est pour le show et la chanson. Après cela, étonnez-vous, Monsieur lePrésident, qu'on aille vous classer dans la variét'. Et si, au lieu de«faire du chiffre», vous faisiez des lettres ? D'où le Sarkothon 2009.

En guidant vos lectures, nous voudrions tempérer un peu votre «fureur d'accumuler»,comme dit La Fontaine, et vous redonner le goût de notre patrie, de sagrandeur spirituelle et de son histoire littéraire. Puissent cesquelques ouvrages favoriser votre retour au pays natal.



« Surveiller et punir » de Michel Foucault* • 17 novembre 2008 : un maître-chien, accompagnéde quatre gendarmes, lâche son molosse dans les classes de l'Ecole desMétiers du Gers à la recherche d'une substance illicite. 19 novembre :deux gendarmes lâchent un chien renifleur sans muselière dans uneclasse de troisième d'un collège de Marciac.

Le hussard noir de votre République, c'est donc le chien. Unmaître idéal. On se lève quand il entre dans la classe. Avec un pareilpédagogue, nul besoin d'IUFM. Presque aussi servile que XavierBertrand, il a, comme Rachida Dati, ce «bon sens» si bien partagé quiconsiste à emprisonner des mineurs de 12 ans. Et puis nulle lecturedangereuse ne parasite son pur esprit. Ce chien n'est pas homme à vousassommer avec un volume de Marcel Proust.Monsieur le Président, pour apaiser votre élan rintintinesque etsécuritaire, laissez-nous vous recommander très respectueusement«Surveiller et punir», un ouvrage où Michel Foucault déjoue lesstratégies de criminalisation et d'enfermement. Parce que «l'école durespect» n'est pas l'école des chiens. Et parce que cette lecture vouschangera de la conversation de Patrick Balkany.
(*) Gallimard.

« Le Rire » de Bergson* • «Ilfaut passer d'une politique défensive à une politique offensive enmatière de diversité culturelle et de rayonnement de la culturefrançaise à l'étranger. » (Nicolas Sarkozy, à la convention UMP,janvier 2006.)

Nous voudrions attirer votre attention sur ce que vous appeliez,à l'époque heureuse où vous n'étiez que candidat, une «politiqueoffensive» : un rapport sénatorial indique que l'on est passé de 173centres culturels français en 1996 à 144 en 2008. Près de 30 antennesfrançaises à l'étranger rayées de la carte : ce n'est pas del'offensive, mais de l'offense – à la langue, à la culture, aupatrimoine français. Et nous passons, de peur de vous gêner, sur lapromesse non tenue. L'image de la France, qui se ternit à chacun de vosdéplacements à l'étranger (Grande-Bretagne, Vatican, Chine, Inde,Etats-Unis), se rétrécit à la même vitesse. Il est vrai que votre idéede la culture, qui se fonde sur le prestige médiatique de quelquesamuseurs, ne s'exporterait guère. Il fut un temps où l'on envoyait unphilosophe, Henri Bergson, auprès du président Wilson pour leconvaincre d'entrer en guerre contre l'Allemagne. Vous y auriez envoyéChristian Clavier ou Bernard Tapie, l'Oscar de la gauche. Nous vousoffrons donc «le Rire» de Bergson. Cadeau diplomatique.
(*) PUF.

«La Culture générale pour les nuls»
de Florence Braunstein et Jean-François Pépin* André Santini,secrétaire d'Etat à la Fonction publique, a annoncé, en décembre 2008,qu'il projetait de supprimer les épreuves de culture générale auxconcours administratifs pour les remplacer par des «questions de bonsens».

Un serviteur de la République n'a que faire d'être un citoyen,de connaître des babioles comme la théorie de l'évolution, l'ImmaculéeConception, la nuit du 4-Août ou Tartuffe. Sans doute cette idées'inscrit-elle dans ce que vous appelez si drôlement «notre Renaissanceintellectuelle, artistique et morale». Trêve de plaisanterie, Monsieurle Président, vous savez ce qu'est la Renaissance. Cela relève-t-il devotre bon sens ou de votre culture générale? On peut être bonapartiste,autocrate, ennemi de la liberté de la presse, et n'en défendre pasmoins les humanités. Voyez Napoléon, qui dévorait Corneille et Racine.Il nous semble que vous sous-estimez les bienfaits de la culturegénérale, cette discipline où vous êtes passé maître et qui permet auxplus hautes autorités de l'Etat d'invoquer à tort et à travers lesLumières ou Jaurès. La pratique régulière de «la Culture générale pour les nuls» saura vous y convertir.
(*) Editions First. 

« L'Age d'or » de Pierre Herbart* • «On peut aimer Céline sans être antisémite comme on peut aimer Proust sans être homosexuel.» (Nicolas Sarkozy, lors d'une conférence de presse en Inde, le 29 janvier 2008.)

En somme, vous assimilez l'homosexualité à une doctrine raciste.Justement, les antisémites nazis mettaient les homosexuels dans lesmêmes chambres à gaz que les juifs. Vous le saviez, pourquoi feindre del'ignorer ? Parce qu'au fond les homosexuels, pour vous, c'est folles,fiottes et compagnie. Mais vous ne pouvez pas le dire tout haut. Alorsvotre inconscient a parlé pour vous. Votre conscient aussi le faitparfois. «Je suis né hétérosexuel», avez-vous dit le 5 février2007 sur TF1. Il n'y a pas de quoi être fier. On en a connu de peuragoûtants, des hétérosexuels. Et puis qui sait ce que nous réservel'avenir ?

Vous ne seriez pas le premier à changer de cap en cours de route. Maisvous avez raison : Proust, si ce n'est pas de la littérature pour lespédés, c'est de la littérature de pédé, au singulier. Même si, commevous, il se prétendait hétérosexuel-né. Nous vous offrons donc non pasdu Proust, mais un des plus beaux livres d'amour qu'on ait jamaisécrits, «l'Age d'or» de Pierre Herbart, «un livre, disait Jacques Brenner, qu'on ne voudrait mettre qu'entre des mains nettes». Nous prenons ce risque.
(*) Le Dilettante.


« La République » de Platon et « la Guerre des Gaules » de César*

•«Vous avez le droit de faire littérature ancienne, mais le contribuablen'a pas forcément à payer vos études de littérature ancienne.» (NicolasSarkozy, le 16 avril 2007.)

Vous n'aimez pas, n'est-ce pas, le latin et le grec? Cela coûtecher, cela ne sert à rien, il n'y a pas de débouchés. Vous êtes lepremier président de la Ve République à le dire. Le premier à ne pasavoir honte de le penser. Ce que nous serions, sans Rome et sansAthènes, n'est pas votre souci. Le latin, le grec, oublions tout cela ;faisons de l'informatique. «L'Etat n'est pas obligé de financer les filières qui conduisent au chômage»,disiez-vous ce jour-là. Vous avez bien raison : les 20 millions dechômeurs supplémentaires que Juan Somavia, directeur général du Bureauinternational du Travail, prévoit pour 2009 ont manifestement gâchéleur belle jeunesse à traduire Juvénal et Euripide. Même leshellénistes et les latinistes de chez Lehman Brothers n'ont plus dejob. Bien fait pour ces bénédictins.
Plongez dans «la Guerre des Gaules» de votre collègue César (Jules) ;et, pour le grec, «la République», parce que Platon y décrit un paysoù, pour reprendre une expression qui vous est chère, les artistes etpoètes, chômeurs professionnels, « n'ont pas vocation » à vivre.
(*) Les Belles Lettres.

« La Princesse de Clèves »de Mme de La Fayette• «L'autre jour, je m'amusais à regarder le programmedu concours d'attaché d'administration. Un sadique ou un imbécile avaitmis dans le programme d'interroger les concurrents sur “la Princesse de Clèves”.Je ne sais pas si cela vous est souvent arrivé de demander à laguichetière ce qu'elle pensait de “la Princesse de Clèves”.» (NicolasSarkozy, février 2006.)

Que votre volonté soit faite, Monsieur le Président. Du passéfaisons table rase. Kärchérisons toutes les fables qui façonnent notregrand récit national. Haro sur les «sadiques» et les «imbéciles». Viveles nihilistes ! Discréditons l'effort, l'exigence, la subtilité.Claquons la porte des grands textes au nez de la petite guichetière.Vive notre président pilon ! Gloire à l'autodafé d'Etat ! Et disons à Mmede La Fayette, cette soeur spirituelle de Corneille : «Casse-toi, pauvre c…» «La Princesse de Clèves» ? «J'ai beaucoup souffert par elle»,avez-vous déclaré, en juillet 2007. Dans la peur d'être accusés detorture par Amnesty International, nous vous en adressons, non le texteintégral, mais le «Profil d'une oeuvre». En vous souhaitant une prompterésilience.
(*) Edition établie par Myriam Dufour-Maître et Jacqueline Milhit (Hatier).

Jacques Drillon et Fabrice Pliskin

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«Sarkothon 2009 du Nouvel Observateur».
Adressez-le à : Monsieur le Président de la République, 55, rue du Faubourg-Saint-Honoré, 75008 Paris.
Un petit mot d'accompagnement n'est pas superflu. L'anniversaire du président ne se fête qu'une fois par an. Vous pouvez également faire vos promesses de don sur BibliObs.com en cliquant ici

Source : Le Nouvel Observateur, 22/1/09.