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Rythmes, voyages et perceptions des paysages

Rythmes, voyages et perceptions des paysages

Publié le par Alexandre Gefen (Source : Danièle Méaux)

SÉMINAIRE DU CIEREC
(Centre Interdisciplinaire d'Études et de Recherches sur l'Expression Contemporaine, Université de Saint-Étienne)


RYTHMES, VOYAGES ET PERCEPTIONS DU PAYSAGE




Le territoire possède ses rythmes propres qui tiennent au retour périodique des saisons et des jours, des pluies et des marées, mais également à ses formes, proportions ou dispositions (que celles-ci soient naturelles ou résultent des aménagements successifs réalisés par les hommes). La notion de paysage suppose cependant que l'espace soit rapporté à la perception d'un sujet, qui investit le territoire de son regard et de son corps. Ainsi le voyage instaure certaines postures spécifiques et conditionne l'appréhension des sites. Aux rythmes du territoire se conjugue dès lors le rythme du déplacement qui vient réorganiser la perception des lieux. C'est ce que rend particulièrement sensible une bande vidéo intitulée Juste le temps (1983) de l'artiste Robert Cahen : le paysage, vu du train, se situe à l'interface entre le subjectif et l'objectif, le dedans et le dehors - comme sans doute à l'intersection entre le réel et l'imaginaire.


Le rythme du déplacement tient d'abord aux moyens de locomotion utilisés : on ne voyage pas de la même façon, à pied, à cheval ou en voiture ; on ne circule pas non plus de la même manière selon les époques. Paul Virilio a stigmatisé les effets des déplacements rapides de l'ère contemporaine, qui aboutissent selon lui à l'anéantissement de toute perception de l'espace réel. Mais certains voyages prennent valeur de résistance dans la mesure où ils utilisent à contre-emploi les voies de circulation à grande vitesse (Les Autonautes de la cosmoroute de Carol Dunlop et Julio Cortazar) pour instaurer une autre façon de percevoir les lieux. Il est des déplacements délibérément placés sous le signe de la lenteur, telles les promenades de Paul Armand Gette, les marches d'Hamish Fulton ou de Richard Long. Dans un tout autre registre, les films de Wim Wenders instaurent une temporalité étirée où sentiment de la durée et sentiment de l'espace semblent se confondre dans une forme d'improvisation illimitée qui n'est pas sans évoquer le jazz ou la musique répétitive. Route One USA de Robert Kramer (1989) obéit, quant à lui, au rythme lent d'une enquête minutieuse.


Il est des voyages « en zigzag » (je pense évidemment à Töpffer, mais on pourrait également évoquer Stevenson) ; il est aussi des itinéraires contraints - tel celui du photographe Gérard Rondeau partant sur les traces de Delacroix ou de Thierry Girard retrouvant les stations d'Hiroshige dans La Route de Tokaido… Contraintes sont également - dans un tout autre genre - les « walks » que l'artiste Janet Cardiff fait effectuer à son public par l'intermédiaire d'une bande son dictant un cheminement extrêmement précis, avec ses accélérations et ses arrêts.


Du rythme du déplacement dépend la façon dont les sites sont perçus. La lenteur de la progression pédestre, la fréquence et la liberté des pauses n'induisent pas les mêmes rapports aux lieux que les moyens de circulation rapides. Les situationnistes exaltaient par exemple l'appréhension heurtée - proche du montage cinématographique - qui pouvait naître en milieu urbain de l'utilisation des transports en commun. Rythme et vitesse de déplacement coïncident en outre souvent avec la mise en présence avec certaines catégories de sites. Marc Augé parle des « non-lieux » du voyageur contemporain. À la marche correspondent les sentiers (voir Brouage de Thierry Girard), aux autoroutes les déplacements rapides (on pense à certains roads-movies) ; les touristes vont d'étapes en étapes indexées par les guides, à l'inverse des écrivains voyageurs tels François Maspero ou Jean Rolin préfèrent les espaces de proximité et les lieux « infra-ordinaires ». Si le tempo du voyage conditionne la confrontation avec certains types d'espaces, on peut également dire que certains territoires par leur conformation physique induisent à rebours des rythmes de circulation.


Le voyage, pour être connu, doit enfin faire l'objet d'une restitution : albums de photographies, bandes ou installations vidéo, films, journaux intimes ou récits d'écrivain, carnets réalisés par des peintres… opèrent - de façon extrêmement variée - une mise en forme de l'expérience du voyage qui possède un rythme propre, qui se trouve conditionné par le (ou les) matériaux utilisé(s). La transcription de l'expérience itinérante s'accompagne nécessairement d'une reconfiguration de la perception du territoire, dont le rythme est un trait important.

Dans le domaine diversifié de la relation de voyage qui implique une intrication des dimensions de l'espace et du temps, le rythme apparaît comme un paramètre essentiel qui touche à la fois à l'apparence du monde tel qu'il est, à la modalité spécifique d'appréhension du territoire propre à chaque voyageur et à la procédure de retransmission de l'expérience ; la question du rythme s'offre - dans un champ qui concerne des moyens d'expression très différents - comme un levier d'investigation permettant la discrimination de certains types de pratiques (errance, promenade, parcours, tourisme, marche…) comme de certaines démarches artistiques au 19e et 20e siècles. C'est en tout cas ce que ce séminaire permettra d'interroger, par la confrontation d'approches disciplinaires variées.


Ce séminaire sera dirigé par Danièle Méaux et Jean-Pierre Mourey. Il se tiendra à l'université de Saint-Étienne en 2007-2008 et 2008-2009 ; il y aura deux journées d'études chaque année. Dès janvier 2007, une réflexion préparatoire sera engagée sur la notion de rythme (au cours d'une première journée d'études). L'ensemble des travaux débouchera sur une publication. Des précisions seront données ultérieurement sur le calendrier et les intervenants.