Questions de société
Roumanie: l'enseignement supérieur privé mis en cause par un scandale (Le Monde, 15/08/09)

Roumanie: l'enseignement supérieur privé mis en cause par un scandale (Le Monde, 15/08/09)

Publié le par Bérenger Boulay (Source : SLU)

Le système de l'enseignement supérieur roumain mis en cause par un scandale - Mirel Bran, Le Monde, 15 août 2009. Article paru dans l'édition du 16.08.09.

http://www.lemonde.fr/europe/article/2009/08/15/le-systeme-de-l-enseignement-superieur-roumain-mis-en-cause-par-un-scandale_1228862_3214.html#ens_id=1228932

Spiru Haret, le grand réformateur de l'enseignementroumain au XIXe siècle, doit se retourner dans sa tombe. Pour avoirdélivré par dizaines de milliers des diplômes non reconnus au termed'un enseignement indigent, l'université privée de Bucarest qui porteson nom est l'épicentre d'un scandale qui met en cause le système del'enseignement supérieur en Roumanie.

En termes quantitatifs, l'Université Spiru-Haret peuts'enorgueillir d'être le plus gros centre universitaire privé d'Europeavec ses 300 000 étudiants. Mais vue sous l'angle de la qualité del'enseignement, Spiru-Haret est loin du compte. Le ministère roumain del'enseignement l'a gommée de la liste des universités privéesautorisées le 24 juin. "Je suis désolée pour les étudiants, mais l'Université Spiru-Haret fonctionne illégalement", a affirmé la ministre Ecaterina Andronescu.

L'aventure de cette machine à délivrer des diplômescommence en 1991, lorsqu'Aurelian Bondrea, un haut responsable duministère de l'éducation à l'époque de la dictature communiste, crée lafondation La Roumanie de demain, devenue, en 2000, une universitéprivée. Chargé du contrôle des diplômes sous le communisme, il basculedans le capitalisme sauvage après la chute de Nicolae Ceausescu.Aujourd'hui, son université compte 30 facultés et des antennes àl'étranger pour l'enseignement à distance - à New York, Toronto, Paris,Rome, Madrid, Vienne et Tel-Aviv.

Le ministère de l'enseignement a décidé de prendre letaureau par les cornes en mettant fin à la fabrique de diplômes. Ladécision de la priver de son autorisation et d'effectuer des contrôlessystématiques a valu au ministère une véritable guerre de la part del'université incriminée. "Seuls les juges peuvent seprononcer sur la légalité d'un diplôme, s'est défendu le recteurAurelian Bondrea. La loi ne donne aucune autorité au ministère del'enseignement dans ce domaine."

Rasvan Bobulescu, chef du syndicat Alma Mater, s'agace, lui, du retard avec lequel ont réagi les pouvoirs publics. "Cettesituation est due à la passivité du ministère, s'insurge-t-il. On apris enfin la bonne décision en ce qui concerne l'escroquerieSpiru-Haret. Cette institution s'est comportée comme un Etat dansl'Etat et se permettait tout."

L'Université Spiru-Haret a bénéficié de l'envolée dunombre d'étudiants ces dernières années. De 63 600 en 1999, lesdiplômés sont passés à 220 000 en 2009. Au total, la Roumanie compte950 000 étudiants, soit 44 étudiants pour mille habitants, un des tauxles plus élevés d'Europe.

Pour capter au mieux les nouveaux étudiants,l'Université Spiru-Haret a ouvert sans autorisation de nouveauxdépartements d'enseignement à distance. Sur les 300 000 étudiantsinscrits, seuls 44 714 suivent les cours. Les antennes ouvertes àl'étranger n'ont pas eu le feu vert du ministère. Cet échafaudageillégal a permis à l'institution d'encaisser une centaine de millionsd'euros en 2008.

Mis à part Spiru-Haret, 31 autres universités privéesont ouvert leurs portes en Roumanie. Aujourd'hui, 60 % des étudiantsroumains choisissent l'enseignement privé, dont les exigences sontminimes. "Nous ne pouvons pas donner le chiffre exact des étudiants inscrits dans ces institutions",avoue Mihai Floroiu, porte-parole de l'Agence de contrôle de la qualitéde l'enseignement. Ces universités invoquent leur autonomie et refusentde déclarer le nombre de leurs étudiants.

La résistance opposée par l'Université Spiru-Haret auxcontrôles du ministère public s'explique aussi par son pouvoird'influence. Une partie des parlementaires et des hauts fonctionnairesroumains sont en effet passés par ses bancs. Le 25 juillet, un grouped'intellectuels a adressé une lettre ouverte aux autorités pour mettrefin à la "gigantesque imposture universitaire créée par l'Université Spiru-Haret". "Rien ne peut justifier des registres de 9 000 d'étudiants gérés par un seul professeur", affirment-ils.

Dans ce contexte, le parquet national anticorruptions'est saisi du cas de deux universités fantômes d'Alexandria (sud dupays), qui auraient délivré 15 000 faux diplômes pour un prix de 3 000euros l'unité. Le bénéfice des universités Al. Ghica et Europa Ecord'Alexandria est estimé à 45 millions d'euros par an. Les révélationssur le trafic de diplômes semblent n'être que la partie visible d'uniceberg aux ramifications politiques et mafieuses.

Mirel Bran