Essai
Nouvelle parution
Revue des Lettres Modernes : Jean Cocteau n°4

Revue des Lettres Modernes : Jean Cocteau n°4 "Poésie critique et critique de la poésie"

Publié le par Florent Albrecht

Revue des lettres modernes : Jean Cocteau 4 « Poésie critique et critique de la poésie ».

 


 

 

Je trouve qu'un critique devrait se critiquer, avouer ses injustices, se contredire, expliquer ses fautes. Revoir les oeuvres, étudier les textes. Assister davantage au dialogue entre l'oeuvre et le public. Prendre du recul, écrit Jean Cocteau.

En problématisant l'idée d'une critique ex cathedra, critique de l'autorité, Cocteau définit une place véritablement sociale du critique, ancré à la fois dans une chronologie linéaire et évolutive, mais aussi dans une société face à laquelle la réception de l'oeuvre, sa fortune, à la faveur de cet « horizon d'attente » théorisé par Jauss, impose une distanciation nécessaire dans le temps, et donc une « posture » idéale et souple du critique. Que se passe-t-il alors quand le créateur lui-même devient critique de la création ? Quand il faut adopter cette position de « recul » vis-à-vis de ses pairs, dans un art où l'on est soi-même un maître, un modèle ?  Mais être critique dans l'acception générale du terme et être poète implique une posture problématique par rapport aux arts rivaux : celle de l'humilité, d'une part, l'analyse critique d'un autre art rendant nécessaire ou implicite la maîtrise d'une terminologie adéquate à l'examen de concepts échappant à l'art dont se réclame le critique, dont ne découle pas nécessairement celle du censeur-poète, que ce soit sur un plan dénotatif ou connotatif. C'est alors opter pour une vision plus esthétique qu'éthique au sens où l'affect entre en compte, et où, la caractérisation de l'objet étudié s'intègre à une représentation normée, architecturée par un art propre, celle-là même qui tente d'éclairer un art autre. Cela revient, autrement dit, à se positionner par rapport aux arts dans une relation ambiguë où, dans un mouvement spéculaire, réfléchissant et/ou déformant, le poète critiquera dans le but d'exprimer le sens, la finalité, et simplement l'existence de son propre art. Cela se vérifie, depuis Nerval, Gautier, Baudelaire bien sûr, dans cette critique de créateurs qui a servi la compréhension d'autres arts tout en éclairant de fulgurances l'oeuvre littéraire de leur auteur.

Cocteau cite Baudelaire, selon qui, le poète est le seul critique. Faut-il revenir aux étymologies respectives de poésie et de critique pour s'étonner de l'alliance de termes où serait confiné l'un, créeateur, et l'autre, juge ?  A moins que qu'il ne s'agisse d'un seul et même acte se définissant par une relation dépassant les catégories normatives de l'histoire littéraire : Faut-il être critique pour être poète ? Ou poète pour être critique ? Enfin, sur le contenu : La critique est-elle un acte créateur ? Doit-on subordonner à l'acte créateur la notion d'intuition que l'on opposerait ainsi à celle de raison ? Rien de trop nouveau, certes, dans cette succession de questions, si ce n'est qu'avec Cocteau, l'on passe d'une appréciation critique d'autres créateurs à la catégorisation normative de ces écrits sous la forme syntagmatique suivante : la poésie critique. Cette poésie critique devrait s'évaluer, selon la volonté de son auteur, d'une égale mesure avec son théâtre, son oeuvre plastique, son oeuvre cinématographique, enfin sa poésie. Serge Linarès, dans un article contenu dans ce volume de la Revue des Lettres Modernes, y voit  un choix de principe, l'appellation générique « poésie critique » [étant] d'ailleurs témoin, puisqu'elle inféode grammaticalement l'analyse à l'inspiration.

L'oeuvre protéiforme, éclatée et homogène à la fois de Cocteau n'a jamais laissé personne insensible par sa dimension ludique, expérimentale tant d'un point de vue formel que théorique.

 

 

Ce numéro spécial Jean Cocteau de la Revue des Lettres Modernes offre une mosaïque de textes hétérogènes offrant l'avantage d'offrir au lecteur un regard diffracté sur le critique que tout le monde pensait seul poète.

Une première partie est consacrée à deux écrits contemporains (1922). L'un des deux est signé de la main de Cocteau lui-même répondant aux questions de deux journalistes, dans la droite ligne des enquêtes littéraires inaugurées par Jules Huret en 1891. Cocteau y affirme trouver ses maîtres « hors les lettres ». L'autre texte est un article de Pascal Pia publié la même année dans les Cahiers idéalistes, et auquel Cocteau répond allusivement dans le texte précité.

Dans le notable article « Jean Cocteau critique des poètes », son auteur David Gullentops montre comment les propos évoluent de l'évocation de l'amitié à l'equisse biographique, jusqu'à la recherche d'une affinité sur le plan proprement poétique ou esthétique. Envisageant trois pôles catégoriels autour desquels s'articule cette « poésie critique » : l'esquisse biographique, les traités poétiques, les développements esthétiques. Si la critique selon Cocteau peut être dite, globalement, de sympathie, il s'agit pour lui d'affirmer l'authenticité et l'unicité de la production poétique de ces hommes, selon cette idée que l'espèce « artiste » doit être protégée. Relevant davantage d'un art du portrait, les esquisses biographiques où se déploient hardiesse et énergie dans ces images coctaliennes -Verlaine y est décrit comme cet homme-chien, femme à barbe- rejoignent la sphère du poétique pour que se reflète surtout la théorie de l'écriture défendue et appliquée par Cocteau. Par ailleurs, cette critique se définit par ce rapport direct que la création entretient avec l'existence de l'artiste. L'Histoire serait témoin d'une position absolue de l'artiste poète, dont l'existence est tout entière dévolue à la poésie, et déconnectée par voie de fait des contingences spatiales et temporelles. Enfin, la conscience historique du créateur, eu égard à ses aînés, impose l'hommage comme forme d'écriture spécifique du portrait. Pour conclure, David Gullentops envisage cette poésie critique comme l'un des registres d'écriture polymorphes coctaliens.

Dans un second article, « Jean Cocteau, critique d'art », Serge Linares développe cette idée d'une figure mythique du peintre, et plus généralement celle de l'artiste, qui s'opposerait à l'Histoire : l'écrivain réalise par anticipation la transfiguration posthume de sa vie et de son oeuvre personnelles.

Suivent un article d'histoire littéraire de Jean Roy portant sur la critique musicale de Jean Cocteau -notamment au sujet des relations du poète avec Stravinsky ou Satie-, puis un autre sur l'influence de Jean Cocteau sur son ami Jean-Marie Magnan, par Rémi Venture. L'article « La Grèce secrète » de Jean Kontakopoulos clôt cette première partie.

Une deuxième partie de la revue, intitulée « Mélanges », comporte trois articles : le premier, « Camouflage et dislocation de l'alexandrin au vers libre chez Breton et Cocteau », de Gérard Pernelle, veut montrer l'attachement du poète à une forme poétique. Ce texte est complété par l'article suivant de David Gullentops, « Présences de l'alexandrin dans Embarcadères », dans lequel son auteur estime que l'alexandrin continue à influer de façon déterminante sur le processus de création chez Cocteau. Un dernier article de Michel Décaudin offre une « Relecture des Manuscrits de Cocteau en marge d'un exemplaire de Mourir de ne pas mourir' ».

Une dernière partie est consacrée à un texte satirique anecdotique d'André Germain, sous la forme d'une miniature théâtrale, datant de 1918 : Têtes - Cocteau bourgéticide ou Apollinaire sauvé.