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Revue d'Historiographie du Théâtre, n° 3 :

Revue d'Historiographie du Théâtre, n° 3 : "L’idée d’un théâtre originaire dans la théorie et la pratique dramatiques" (É. Eigenmann & L. Michel, dir.)

Publié le par Université de Lausanne

Référence bibliographique : Revue d'Historiographie du Théâtre, n° 3 : "L’idée d’un théâtre originaire dans la théorie et la pratique dramatiques" (É. Eigenmann & L. Michel, dir.), , 2017.

 

 

Revue d'Historiographie du Théâtre • Numéro 3
L’idée d’un théâtre originaire dans la théorie et la pratique dramatiques

Actes du colloque de Lausanne, sous la direction d'Éric Eigenmann et de Lise Michel


Qu’est-ce donc que le théâtre originaire ? un mythe ? un fantasme ? Du mythe, il partage le caractère narrativisable d’un récit des origines, la réapparition constante sous des formes et dans des versions différentes, la valeur fondatrice, et l’ambivalence par rapport à l’Histoire – mais non les invariants constitutifs, sans doute. Du fantasme, au sens que la psychanalyse a pu donner à ce terme, il possède le lien étroit avec l’imaginaire, la fonction critique, émancipatrice et créatrice et la souplesse à se voir investi des aspirations, voire des désirs, de ceux qui sans cesse le réinventent – pas toujours le rapport à l’inconscient. Quoi qu’il en soit, le fait même que le recours à l’idée – appelons-la ainsi – d’un théâtre originaire surgisse dans la théorie et dans la pratique à chaque époque de l’histoire du théâtre doit aussi être perçu comme un symptôme de la manière particulière que nous avons de penser le théâtre. Dans une perspective transhistorique, du XVIIe siècle à nos jours, le volume met à l’épreuve des réflexions et réalisations scéniques qui se réclament d’une forme de ressaisie des origines.

 

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DOSSIER

Introduction – Saisir les origines du théâtre : enjeux d’une fascination (texte en libre accès)
Lise Michel, Éric Eigenmann
Qu’est-ce donc que le théâtre originaire ? un mythe ? un fantasme ? Du mythe, il partage le caractère narrativisable d’un récit des origines, la réapparition constante sous des formes et dans des versions différentes, la valeur fondatrice, et l’ambivalence…

« Ce qui m’obligea à remonter à l’origine des choses… » – Contexte et enjeux du recours aux origines du théâtre dans la réflexion aubignacienne
Marc Vuillermoz
En écrivant sa Pratique du théâtre, l’abbé d’Aubignac entend fonder toutes les règles de l’art dramatique en raison. Pourtant, il ne cesse de convoquer les exemples du passé pour appuyer ses considérations sur la théorie et la pratique théâtrales. Parmi ceux-ci, le « théâtre des origines » occupe une position privilégiée, tant par l’espace textuel qui lui est dévolu que par la signification exemplaire prêtée à ce moment mythique de l’histoire. La présente étude cherche à éclaircir ce paradoxe en dégageant les enjeux stratégiques de ce recours constant aux origines du théâtre, notamment à la lumière de la querelle sur la moralité du théâtre.

L’acteur romain peut-il défendre le théâtre au XVIIe siècle ?
Clotilde Thouret

Cet article reconstitue le théâtre originaire des apologistes dans les premiers temps des controverses sur le théâtre : leur théâtre mythique ou antique est un théâtre du pouvoir. Revendiquant l’intégration de la pratique dramatique dans le corps social et politique, ils multiplient les liens entre le théâtre, ses praticiens, et le pouvoir – les hommes de pouvoir, et les buts du pouvoir, conquête militaire ou police des sujets. Bien loin d’être une pratique marginale, leur théâtre est, dès l’origine, reconnu par les sages de la Grèce pour ses capacités d’instruction morale et militaire, apprécié et pratiqué par les fils de patriciens et les empereurs romains, utilisé pour encourager les exploits des héros et les conquêtes. Les défenseurs du théâtre s’approprient ainsi l’autorité de l’Antiquité, véritable enjeu dans la polémique, et purgent la charge fantasmatique attachée au théâtre originaire des adversaires, qui est un théâtre diabolique, sexuel ou sanglant.

L’« antiquité » du « Théâtre de Béziers » (1628-1657) – construction et perpétuation d’une valeur fondatrice d’un corpus
Bénédicte Louvat-Molozay

Édité en 1628 à Béziers, le premier recueil du « Théâtre de Béziers » (un ensemble de vingt-quatre pièces, composées pour l’essentiel en occitan et représentées le jeudi de l’Ascension) s’ouvre sur un long discours historique qui donne son titre au recueil et est consacré à « l’Antiquité du Triomphe de Béziers au jour de l’Ascension ». Publier ce théâtre, c’est donc publier l’antiquité de Béziers et l’ancienneté de sa langue. Les pièces prolongent cette entreprise : les prologues rappellent la longévité de la tradition dans laquelle s’inscrivent les représentations et les pièces elles-mêmes font régulièrement appel aux figures tutélaires de la ville. Et c’est en tant qu’il se réapproprie le théâtre comme célébration collective et représentation du passé et du présent de la cité que le « Théâtre de Béziers » peut être considéré comme un théâtre originaire.

« Ce théâtre n’est pas le nôtre. » Rousseau et Diderot spectateurs de plein air
Marc Escola

En conflit sur presque tout, Rousseau et Diderot s’accordent au moins sur ce constat : le théâtre de leur temps est un art corrompu, et le siècle a accéléré sa dégénérescence. Le « fantasme grec » qu’ils partagent jusqu’à un certain point est au demeurant celui de toute une génération, on l’a souvent observé. On a moins souligné en revanche que, sous la plume de Rousseau comme de Diderot, la référence au « théâtre des Grecs » constitue moins un saut dans le temps qu’un déplacement dans l’espace, et même une sortie au grand air : le théâtre antique qu’ils convoquent est un théâtre ouvert, et tout s’y joue sous le ciel, devant le peuple assemblé.

Fernand Chavannes ou l’invention d’un théâtre vaudois
Daniel Maggetti

Le théâtre et les écrits personnels de Fernand Chavannes, dramaturge vaudois actif après la Première Guerre Mondiale, sont symptomatiques de la quête d’une littérature originale, et originelle, qui touche en Suisse romande toute une génération. Le Journal de Chavannes et sa tragédie Le Mystère d’Abraham, rédigés en parallèle, relaient cette quête collective d’une forme théâtrale qui saurait exprimer les spécificités de la culture romande, que l’écrivain perçoit en décalage avec la culture française. Doter la Suisse romande d’une forme dramatique et d’une expression scénique bien à elle, c’est inventer un théâtre originaire qui pourrait la rassembler, à l’instar d’une fête partagée.

L’athlète du cœur et les mirages de l’origine (Artaud)
Natacha Allet

« Et je peux avec l’hiéroglyphe d’un souffle retrouver une idée du théâtre sacré », affirme Antonin Artaud en 1935 au sujet de l’acteur, invoquant le souvenir idéalisé d’un théâtre auquel il désire se retremper. Cet article envisage sous l’angle des passions la valeur critique de cet appel lancé à un retour aux sources. Il se demande quel type d’émotion première l’« athlète du cœur », par son travail postural et rythmique, entend ranimer. Il scrute la métaphore de l’athlète à partir de ses horizons rhétorique et mystique, et interroge son effacement du vocabulaire d’Artaud après les affres de son internement (1937-1946). Dès 1945 le poète rejette l’idée d’origine et ses divers modes – Dieu, l’esprit, les ésotérismes. Mais le fantasme d’un théâtre originaire continue d’affleurer sous sa plume, lorsqu’il appelle de ses vœux un second Théâtre de la cruauté, voué à refondre l’anatomie humaine. Le vertige des origines, renversé, y est comme projeté en avant.

L’origine et l’artefact : usages du théâtre antique chez Michel Vinaver
Catherine Brun

L’œuvre de Michel Vinaver, souvent présentée comme un théâtre du quotidien, de l’immanence, ne se laisse pourtant pas circonscrire dans l’ici et le maintenant arpentés par ses lecteurs-spectateurs. Nombre de ses pièces, de ses Chœurs pour Antigone (1957) jusqu’aux Troyennes (2002), ont notamment puisé aux sources de l’héritage dramatique grec avec lequel elles semblent s’écrire en dialogue. Il s’agira pourtant moins ici de parcourir cet ensemble pour y repérer des traces de cet héritage ou analyser les modalités de ses réécritures, que de s’interroger sur la nature, les enjeux et les fonctions de ce qui passe d’abord pour un retour au théâtre grec antique. Ou, pour le dire autrement, de tenter d’approcher une énigme, que le dramaturge situe à l’origine de sa pièce Iphigénie-Hôtel : « qu’attendons-nous des ruines que nous allons visiter ».

Emmanuel Genvrin – Constitution à l’île de la réunion d’un théâtre des origines – sur l’absence des origines de ce théâtre
Michel Bertrand

L’hétérogénéité caractérisant les origines des premiers occupants de l’île de la Réunion pose la question de l’identité nationale d’un territoire qui fut toujours rattaché à la France sans que ce lien institutionnel ne s’avère fondateur d’une identification aux valeurs de « la mère-patrie ». Au travers des mythes, des contes, des fables et de l’ensemble des formes simples du récit, le théâtre réunionnais questionne depuis plusieurs décennies les fondements d’une hypothétique identité réunionnaise. Le dramaturge Emmanuel Genvrin interroge quant à lui les origines de la civilisation réunionnaise à travers la question de son théâtre originaire, et en suscitant des fictions dramatiques de ce récit des origines.

Formes chorales originales, poétiques de la reconstruction – Les exemples de Césaire, Gatti, Weiss et Tillion
Martin Mégevand

Le propos de cet article est de rendre compte des usages des formes chorales dans quelques œuvres de la modernité théâtrale de la seconde moitié du siècle dernier, période dominée par de grandes catastrophes historiques et par leur mémoire (violences coloniales, guerre, crimes de masse). Ces formes peuvent être perçues comme les héritières lointaines du khoros antique qui est lui-même relié étymologiquement à khora, le chaudron originaire auquel Jacques Derrida consacra naguère un livre marquant. À la fois reliées à un passé immémorial et entées sur le présent, ces formes chorales sont qualifiables selon les termes de l’Ursprung, l’origine telle que Walter Benjamin la nomme dans L’Origine du drame baroque allemand. Elles sont ici envisagées comme le lieu où apparaissent de manière particulièrement nette des opérations de l’esprit par lesquelles les écrivains s’efforcent de répliquer à une situation de catastrophe historique majeure. On propose de décrire quatre de ces opérations : celle qui consiste à nommer, celle qui s’attache à remontrer, celle qui chercher à revitaliser et celle qui œuvre à faire front. Ces opérations concourent à rassembler les œuvres où elles s’insèrent sous le paradigme commun des poétiques de la reconstruction.

L’origine à venir – À propos du Sang des promesses de Wajdi Mouawad
Patrick Suter

Le théâtre de Wajdi Mouawad associe les mythes des origines à des formes issues des origines du théâtre occidental. Dans Le Sang des promesses, l’incipit aussi bien que l’explicit résonnent vers l’origine, qui relie en écho les bornes du quatuor – tout en les maintenant ouvertes. L’origine est l’actant principal de l’œuvre, placé en exergue dès la préface de Littoral (« De l’origine de l’écriture ») ; mais c’est en absente qu’elle agit. Absente, elle constitue le véritable « destinateur » de la quête mais aussi son objet ultime.

Le paradoxe de la parole originaire (Valère Novarina)
Marie-Hélène Boblet

Les adjectifs « rupestre » et « pariétal » par lesquels Valère Novarina qualifie son œuvre pointent une certaine primitivité, de même que les syntagmes théâtre des oreilles ou théâtre des paroles – ce dernier s’impose à partir de la Lettre aux acteurs en 1979. Ces dénominations suggèrent la source en même temps que la destination de l’œuvre ; elles indiquent le fantasme d’une pratique antérieure au théâtre mimétique et à la représentation dramatique, s’autorisent d’une réhabilitation du sensible audible, sacrifiant l’opsis au babil. L’œuvre, écrite à partir de l’ouïe, et pour être entendue, se fonde paradoxalement sur un certain nombre de soustractions qui pourraient tenir lieu d’un retour vers l’origine.

La « couronne du roi posée de travers. » sur la notion d’origine dans la pensée théâtrale de Walter Benjamin
Romain Jobez

Dans l’Origine du drame baroque allemand, Walter Benjamin introduit le concept d’histoire-nature (Naturgeschichte), qui apparaît également au sein du projet des Passages parisiens, où Benjamin caractérise notamment l’expérience fondamentale de la modernité. L’article montrera comment la notion d’origine, « catégorie tout à fait historique, [qui] n’a pourtant rien à voir avec la genèse des choses », permet à Benjamin de penser l’idée d’un genre dramatique (le Trauerspiel) inscrit dans la temporalité tout en en étant détaché.

Les guerres baroques – enjeux mythologiques de la mise en scène des classiques
Céline Candiard

es pièces du Grand Siècle sont volontiers pensées comme la référence dominante et matricielle du théâtre français. À ce titre, elles sont l’objet de multiples mythologies, dont chacune reflète une manière de concevoir l’identité culturelle nationale. L’un des affrontements les plus significatifs de ces mythologies entre elles est le climat très polémique qui entoure les propositions de mise en scène dite « baroque » de ce répertoire, non pas tant en raison de leur insuffisante rigueur historique (une rigueur que les artistes concernés ne revendiquent jamais) que des conceptions transdisciplinaires et transnationales auxquelles est associée la notion de « baroque », en opposition directe avec l’idée du « classicisme » comme exception littéraire française. Si les reproches mutuels de projections fantasmatiques a posteriori soulignent avec justesse la fragilité théorique de ces notions, ils ne doivent pas pour autant occulter leur fécondité artistique potentielle.