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Révolution française et cultures populaires dans le monde aujourd'hui: mythologies contemporaines

Révolution française et cultures populaires dans le monde aujourd'hui: mythologies contemporaines

Publié le par Bérenger Boulay (Source : Marianne Dubacq)

« Sans ce drapé extravagant, propreà tous les grands révolutionnaires, (…) la Révolution n'aurait pu être cetévénement mythique qui a fécondé l'Histoire et toute idée de la Révolution.L'écriture révolutionnaire fut comme l'entéléchie de la légenderévolutionnaire : elle intimidait et imposait une consécration civique duSang »[1]. Rares sont lesévénements historiques ayant, au point de la Révolution française, engendréleur propre mythologie spontanée, conditionnant pour les siècles qui ont suivisa perception fantasmatique et projective qui est encore dans une large mesure lanôtre aujourd'hui. Scène primitive à l'efficacité rituelle et symboliqueinégalée ; mythe fondateur à vocation d'édification nationale et delégitimation institutionnelle ; fiction patrimoniale dont l'héritage nousest transmis en partage ; matrice d'un consensus qui n'est pas toujoursunanime sur les valeurs démocratiques et républicaines ; sourced'inspiration d'une production artistique tantôt critique et subversive, tantôtconformiste et consensuelle ; matière dont s'emparent les culturespopulaires à travers toutes sortes de représentations et surtout, de médiationssymboliques, parfois inattendues, la Révolution française n'a peut-être jamais étéaussi présente qu'aujourd'hui, à la fois dans le discours, en régime de« mythocratie », et dans les objets, qui fonctionnent comme unsystème de signes, autrement dit, comme un « mythe moderne », au sensde Roland Barthes[2].

Souventanalysée en terme de « légende »[3],insistant sur son caractère d'avènement fondateur, la Révolution l'est moinscomme une « mythologie » propre à notre temps. Une telle notion s'avèrepourtant féconde pour envisager les réappropriations et détournements de sonimaginaire symbolique, en particulier au sein des cultures populaires et deleurs relais médiatiques de masse. La plupart du temps à dominanteessentiellement visuelle, alors que la connaissance érudite ethistoriographique est plutôt fondée sur des ressources textuelles, cesreprésentations populaires, parfois très documentées, entretiennent sciemment (transgression,falsification, travestissement) ou inconsciemment (ignorance, clichés,stéréotypes), des effets de distorsion avec la culture savante et le discoursofficiel de consécration républicaine. Or ce sont précisément ces « idéesfausses » qui, selon la perspective adoptée ici, sont dignes d'intérêtdans la perspective d'une histoire sociale et culturelle de l'imaginairerévolutionnaire contemporain. Une attention toute particulière sera accordéeaux phénomènes de transferts, de réinterprétations et de représentations, dansles cultures étrangères et aires géographiques les plus diverses, de ce mythe nationalfondateur souvent considéré comme emblématique. Plus affranchies d'un certaindevoir de mémoire nationale, soustraites, en partie au moins, aux batailleshistoriographiques qui président à l'affrontement idéologique autour del'histoire officielle, les cultures populaires, a fortiori lorsqu'ellesproviennent de cultures étrangères, sont en effet souvent plus à même de sesaisir de ce patrimoine et de sa puissance de germination symbolique pourparfois en renouveler la perception aussi bien que les usages.

Sil'historiographie de la Révolution française a bénéficié, depuis un certainnombre d'années, de travaux novateurs et de perspectives de recherche fécondes,interrogeant les discours de savoir qui lui sont consacrés, tel est moins lecas du processus de mémoire sélective et de réinvestissement symbolique aufondement de nos représentations sociales et culturelles contemporaines, quiinnervent jusqu'aux cultures du quotidien et se cristallisent dans des objetsissus de la société et de la culture de masse. Le réinvestissement depatrimoine historique est en effet devenu une pratique courante concernant laRévolution, non seulement au sein du discours politique et médiatique, maisencore au sein des formes dérivées de cultures et de pratiques populaires, quipeut adopter les manifestations les plus diverses, depuis l'objet décoratifjusqu'à l'image animée ou la performance. Leur analyse et leur conservation sontd'autant plus urgentes que leurs supports, considérés comme impurs et partieprenante de processus de diffusion massifiée et de consommation à grandeéchelle, sont particulièrement altérables, périssables et sujets aux modes deconservation aléatoires ou arbitraires de collectionneurs privés, évoluant auxgré des modes et des mythologies personnelles. En effet, leur patrimonialité neva pas de soi, impliquant une conception élargie de l'historiographierévolutionnaire et prenant parfois la forme d'un patrimoine culturel immatériel.On cherchera donc à constituer comme objets scientifiques entièrement légitimesles idées et représentations, parfois fausses sur le plan historiographique, deces imaginaires révolutionnaires profondément enracinés dans une diffuseconscience collective, nourrissant une opinion commune stéréotypée, mais aussifantasmatique, source d'une interrogation renouvelée sur les représentations del'Histoire.

Plusieurs pistes sontprivilégiées, qui n'excluent pas d'autres approches possibles :

- Oninterrogera les effets de citation, detransposition et surtout, defocalisation de l'opinion communesur certains épisodes considérés comme emblématiques, sur les structures topiquesrécurrentes données pour représentatives d'une vulgate ou pour le moins, d'un imaginaire révolutionnaire largementpartagé, en France comme, selon des modalités différentes, à l'étranger.

- Onidentifiera, sous bénéfice d'inventaire, les formes de figuration et de diffusion, parfois à très grande échelle,d'une doxa associée aux mythologies révolutionnaires, à traversdifférentes sources de médiation :syntagmes cristallisés dans le langage courant, fictions policières, littératurepopulaire, cinéma et produits dérivés, bandes dessinées, mangas, spectacles dereconstitution historique, comédies musicales, animations de sites touristiques(sons et lumières), produits de consommation courante, industries du luxe, modeet haute couture, arts décoratifs, clips musicaux, opéras rock, animations, pornographie,publicités, jeux pour enfants, célébrations telles que celles du Bicentenaire…On cherchera à retracer les modes de citation et de circulation, parfoisinattendus, des objets et images afin d'en interroger les usages sociaux et lespratiques culturelles qui leurs sont associées.

- Onenvisagera les postures dontrelèvent ces modes de réappropriationspontanés, souvent revendiqués comme tels, véhiculés par les culturespopulaires, aux marges de tout discours savant ou de toute forme deconsécration institutionnelle ou académique, et tout particulièrement lesécarts, contresens, illusions rétrospectives, actualisations, déterritorialisations,erreurs de perspective, anachronismes assumés, voire revendiqués par cessupports de diffusion à grande échelle affranchis des règles de l'éruditionsavante.

- Onanalysera enfin les tentativesd'instrumentalisation, tantôt à des fins idéologiques, tantôt en fonction deconsidérations commerciales, voire simplement ludiques, de ces stéréotypesrévolutionnaires, sources d'une mobilisation collective d'autant plus efficacequ'elle prétend s'affranchir de l'Histoire au profit de relecturesactualisantes ou iconoclastes et s'enracine dans une période historique – lanôtre – marquée par la prédominance de l'art de raconter des histoires commemode de gouvernement des esprits et de production des affects.

Événements associés au colloquescientifique, en partenariat avec le Musée de la Révolution française à Vizille :

- Réalisation d'une expositionqui se déroulera de décembre 2012 à juin 2014, portant sur « La Révolutionfrançaise dans les cultures et pratiques populaires aujourd'hui » ;

- Conception d'une salle permanente du musée consacrée aucinéma, inaugurée en juillet 2014, « La révolution fait soncinéma » ;

- Conception et animation d'un site internetproposant une base de données élargies et de ressources virtuelles consacrées àla représentation de la Révolution française dans les cultures et pratiques populaires.

Comité d'organisation :Alain Chevalier (directeur du Musée de la Révolution française) et MartialPoirson (Université Stendhal-Grenoble III, UMR LIRE-CNRS).

Présidents du comité scientifique :Daniel Roche (Collège de France) ; Robert Darnton (Library of HarvardUniversity).

Comité scientifique :BaczkoBronislaw (Université de Genève, Suisse) ; JacquesBerchtold (Université Paris IV-La Sorbonne) ; Serge Bianchi (Université deRennes II) ; Michel Biard (Université de Rouen) ; Jean-Claude Bonnet(Université Paris IV-La Sorbonne-CNRS CELLF) ; Philippe Bourdin(Université de Clermont-Ferrand, Société d'Etudes robespierristes) ; GregoryBrown (University of Nevada, Las Vegas, Etats Unis) ; Alain Chevalier(directeur du Musée de la Révolution française) ; Yves Citton (UniversitéStendhal-Grenoble III, UMR LIRE-CNRS) ; Antoine de Baecque (UniversitéParis Ouest-La Défense) ; Michel Delon (Université Paris IV-LaSorbonne) ; Pierre Frantz (Université Paris IV-La Sorbonne) ; Jean-MarieGoulemot (UniversitéFrançois Rabelais-Tours) ; Laurent Loty (Université ParisIV-La Sorbonne-CNRS CELLF) ; Sarga Moussa (UMR LIRE-CNRS) ; MartialPoirson (Université Stendhal-Grenoble III, UMR LIRE-CNRS) ; Michel Porret(Université de Genève, Suisse) ; Jeffrey Ravel (Massachusetts Institut ofTechnology, Boston, Etats Unis) ; Pierre Serna (Université Paris IPanthéon Sorbonne, Institut d'histoire de la Révolution française) ; JeanSgard (Université Stendhal-Grenoble III, UMR LIRE-CNRS) ; Guy Spielmann(Georgetown University).

Partenairesdu projet :Musée de la Révolution française ; Bibliothèque nationale de France ;Comédie-Française ; Institut d'histoire de la Révolution française ; Sociétéfrançaise d'études sur le dix-huitième Siècle ; Société des études robespierristes ;UMR LIRE-CNRS ; Université Stendhal-Grenoble III ; VoltaireFoundation ; Grouped'études du XVIIIe siècle (UNIGE, Suisse).

Prière d'envoyervos propositions de contribution, d'environ 750 mots, avec un titre, incluantvos coordonnées, votre appartenance institutionnelle, une adresse postale etune adresse électronique, avant le 15 Juillet 2011 à Martial Poirson, martial.poirson@yahoo.fret LIRE Secrétariat, umrlire@u-grenoble3.fr


[1]Roland Barthes, Le degré zéro del'écriture, « Ecritures politiques », in Oeuvres complètes, Paris, Seuil, 2002, volume I, pp. 134-135.

[2]Roland Barthes, Mythologies,« Le mythe aujourd'hui », Paris, Seuil, 1957, pp. 193-247.

[3]Christian Croisille et Jean Ehrard (dir.), Lalégende de la Révolution, Presses de l'université de Clermont-Ferrand,1988 ; Jean-Claude Bonnet et Philippe Roger (dir.), La légende de la Révolution au XXe siècle, de Gance àRenoir, de Romain Rolland à Claude Simon, Paris, Flammarion, 1989.