Questions de société
Réponse d'A. Trautmann (SLR) à la provocation présidentielle du 22/01/09

Réponse d'A. Trautmann (SLR) à la provocation présidentielle du 22/01/09

Publié le par Marc Escola (Source : SLR & SLU)

Réponse à la provocation présidentielle du 22 janvier, par Alain Trautman (SLR), 26 janvier 2009

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Ecouter et voir sur le site de l'Elyséele discours sur l'avenir de la recherche que N. Sarkozy a prononcé le22 janvier 2009 est un exercice instructif et éprouvant. Dans cediscours était confirmée la mise en place d'un comité de 18 personnes,toutes nommées par le gouvernement (7 universitaires, 6 chefsd'entreprise, 5 personnalités politiques ou de la hauteadministration), connues pour leur positions proches du gouvernement enla matière, et chargées de rédiger très rapidement et en touteindépendance un rapport dont une des principales conclusions étaitannoncée à l'avance : retirer au CNRS la gestion de ses laboratoires etde ses personnels, le transformer en un ensemble de petites agences derépartition des moyens financiers pour la recherche, dans deslaboratoires désormais universitaires. Cette année devrait donc voir lafin du CNRS, la fin d'un des centres de recherche les plus réputés auniveau international, celui qui vient d'obtenir le plus de financementseuropéens pour des jeunes équipes de recherche de pointe, ce centre quiattire de nombreux étrangers (actuellement, 20% des recrutements), N.Sarkozy a décidé de s'en débarrasser, et vient de choisir soigneusementdes personnalités qui pourraient donner leur caution à cette opération.

Ce discours a provoqué la honte et la colèrede nombreux scientifiques. Honte d'avoir un tel Président pour laFrance. Là où l'on pourrait espérer la hauteur de vue d'un homme décidéà bâtir, on a vu un homme qui semble toujours vouloir remettre enplace, de façon pathétique, un habit de président bien trop grand pourlui. Dans Mesure pour Mesure, Shakespeare parle de ces « Grands de la terre »enivrés de pouvoir, qui n'ont d'autre projet que de « remplir le cielde tonnerres, rien que de tonnerres ». Il les décrit ainsi : « … Maisl'homme, l'homme vaniteux, drapé dans sa petite et brève autorité,connaissant le moins bien ce dont il est le mieux assuré, sa fragileessence, il s'efforce, comme un singe en colère, à faire à la face duciel de farces grotesques qui font pleurer les anges et qui, s'ilsavaient nos ironies, leur donneraient le fou-rire des mortels. »Celui qui annonçait qu'il allait casser le CNRS avait-il la dignitéd'un Président de la République, ou mimait-il la mine menaçante,méprisante de ceux qui, dans une bande se préparent pour une baston etbrûlent d'en découdre ?

Cet homme provoque la colère par l'absurdité de ses raisonnements,qui sont lourds de conséquences. Il est vrai que la recherche effectuéedans le secteur privé est très en retard en France, comme en témoignele faible nombre de brevets pris par les entreprises (car dans le mondeentier, ce sont ces dernières et non les universités, qui prennentl'essentiel des brevets). Ce fait est évidemment en rapport avec lafaible culture en matière de recherche des dirigeants d'entreprisefrançais, avec l'absence de considération que certains d'entre eux ontpour le doctorat (le plus haut diplôme universitaire dans tous lesautres pays), regardé de haut par ces Elèves de Grandes Ecoles. N.Sarkozy ignore ce problème et invite même ces chefs d'entreprise àfaire des propositions de réorganisation de la recherche … publique. N.Sarkozy regrette que les découvertes qui ont valu le prix Nobel àAlbert Fert aient été insuffisamment valorisées par des entreprisesfrançaises, mais l'aient été plus souvent à l'étranger. Sa conclusionest … qu'il faut casser le CNRS, c'est-à-dire la structure qui a rendupossibles ces découvertes, aux dires d'A. Fert lui-même.

C‘est aussi par ses mensonges et ses insultesproférés d'un air gourmand que N. Sarkozy a provoqué la colère. Selonlui, les chercheurs français refuseraient d'être évalués, secontenteraient d'un confort douillet (« il y a de la lumière, c'estchauffé… ») et seraient largement improductifs, sauf peut-être lesmathématiciens et les physiciens, qui sont « l'arbre qui cache laforêt ». La vérité est que la recherche est un des domaines les plusévalués : pour pouvoir être publié dans un très bon journal, montravail est évalué par des experts internationaux (mes collègues) ;pour obtenir un contrat de l'ANR, je suis évalué par des comitésd'experts, qui tiendront compte de mes publications, donc de l'avisprécédent. Même chose pour les évaluations par l'AERES, par lescommissions du CNRS ou de l'INSERM. Comme il il sait parfaitement quec'est faux N. Sarkozy est un menteurquand il dit que les chercheurs ne sont pas évalués, et refusent del'être. Il justifie son insulte par des chiffres sortis d'on ne saitoù, car il fait aussi partie de ces ignorants qui croient que n'importequel chiffre dit forcément la vérité, fût-ce celui donné par unthermomètre truqué ou cassé. J'affirme que dans tous les domaines derecherche en France il y a des gens remarquables, pas seulement enphysique et en mathématiques. J'affirme que dans mon domaine,l'immunologie fondamentale, les chercheurs français font jeu égal avecles chercheurs anglais, et mieux que les allemands (chiffresdisponibles sur demande). N. Sarkozy pourrait faire interroger lesjeunes qui ont fait un post-doctorat aux USA. Ce sont des chercheurscompétents, qui ont pu comparer directement les performances des deuxsystèmes. Ils disent le plus souvent qu'avec les moyens financiers quisont les siens, la recherche française n'a pas à avoir honte de sesperformances, loin de là. Mais leur avis n'intéresse pas le Président.Il veut noyer le chien CNRS. Il faut donc qu'il ait la rage.

N. Sarkozy est un homme agité,qui pense que toute réforme est bonne, même quand elle estdestructrice, parce que pour lui tout changement est bon, même s'il estclimatique. Il affirme que la politique scientifique doit être débattueet revue chaque année. Il est vrai que lorsqu'il s'agit de décider detrès gros équipements (comme l'EPR), un débat s'impose. Hélas, cettedécision discutable (très lourde de conséquences financières) a étéprise en 2005 par un gouvernement auquel appartenait N. Sarkozy, sansaucun débat public sérieux. D'autres questions, aux implicationsfinancières bien moindres, comme de savoir si on doit financer larecherche en neurobiologie fondamentale, ou s'il faut faire pressionsur les neurobiologistes pour qu'ils travaillent tous sur despathologies, Alzheimer de préférence, de telles questions ne devraienten aucun cas faire l'objet de décisions politiques, mais être laisséesà l'appréciation des scientifiques. Ce n'est hélas pas le cas. Cegouvernement veut un pilotage détaillé, effectué en bonne partie pardes non scientifiques (voir la composition du dernier comité créé), etpouvoir changer rapidement et régulièrement les sujets à la mode, toutchangement étant bon par définition.

Le pilotage détaillé est important pour N. Sarkozy, car il permet d'exister politiquementen multipliant les effets d'annonce, et dans la multiplication desmillions d'euros déversés sur la recherche, N. Sarkozy déploie unvéritable talent de joueur de bonneteau. Ce pilotage est importantaussi car il permet de limiter les investissements de recherche àquelques secteurs visibles, même si cette limitation signifiel'assèchement, qui pourrait être irrémédiable, de secteurs qui auraientété précieux dans l'avenir. Pour le gouvernement, cette économie estindispensable en période de crise, même si l'on sait que fairel'économie du cerveau n'est pas la meilleure façon de préparer uneéconomie de la connaissance. Depuis des années on nous parle jusqu'à lanausée de cette économie de la connaissance qui, en liantsystématiquement recherche et innovation, tend de plus en plus àcorseter l'activité de recherche. Cette politique est hélas à l'oeuvredans tous les pays développés, mais pour sa mise en place brutale, laFrance a le monopole des Grandes Ecoles et d'un président qui mépriseles scientifiques et les intellectuels en général.

Cette volonté de pilotage étroit de l'activitéscientifique, qui permet de faire faire à l'Etat de substantielleséconomies, est à l'oeuvre aussi dans les universités.L'autonomie qui leur a été récemment attribuée permet un transfert decharges financières . On verra bientôt que pour équilibrer leur budgetelles seront obligées d'augmenter fortement les droits d'inscription,donc de faire prendre en charge par les familles une partie du budgetde l'enseignement supérieur. Une autre économie devrait être réaliséeen supprimant l'année de stage que les personnes reçues au concours deprofesseur (CAPES ou agrégation) effectuaient jusque là. Cettemodification dans la formation des maîtres a fait protester l'ensemblede la profession, mais N. Sarkozy et son gouvernement n'en ont cure.Même la CPU (Conférence des Présidents d'Université), structure prochedu pouvoir, qui avait largement inspiré la LRU (Loi ResponsabilitéUniversités), et conféré énormément de pouvoirs aux présidents desnouvelles universités autonomes, même la CPU a récemment protestévigoureusement contre la façon dont les réformes universitaires sontmises en place au mépris de l'opinion des personnes concernées, et avecune précipitation incompatible avec une réflexion et un fonctionnementacceptables.

Une coordination réunissantplusieurs dizaines d'universités s'est réunie précisément le 22janvier, et a annoncé une grève totale, reconductible et illimitée sile Ministère ne retire pas, sans préalable, le projet de décret sur lestatut des enseignants-chercheurs ainsi que la réforme de la formationet des concours de recrutement des enseignants du premier et du seconddegré.

La provocation que constitue lediscours du 22 janvier de N. Sarkozy vient couronner des mois detravail de sape. La grève décidée par la coordination du 22 janvierdoit être soutenue par tous ceux qui constatent la globalité del'attaque contre notre système d'enseignement supérieur et derecherche. Elle doit être complétée par d'autres formes d'actionsénergiques, à la mesure de la violence de l'agression absurde en cours.