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Appels à contributions

"(Re)montages du temps en art", Proteus, n° 12

Publié le par Emilien Sermier (Source : REVUE PROTEUS. Cahiers des théories de l'art)

"(Re)montages du temps en art", Protéus

Appel à contribution pour le numéro 12 de la revue Proteus

Comment citer le passé, pour un artiste ? Existe-t-il de bonnes et de mauvaises façons de le faire ? La volonté de « prendre l’Histoire à rebrousse-poil1 », exprimée par Walter Benjamin, a pu revêtir le caractère subversif d’une opposition à l’historicisme ou à un modernisme promouvant la position d’avant-garde. Aujourd’hui, avec la manière dont certains artistes se saisissent des archives et des documents historiques, cette lecture du temps à contre-courant semble plutôt constituer une propédeutique aux tentatives de déchiffrement du temps présent, voire à une mise au jour d’un temps à venir. Nietzsche considérait déjà que l’homme se doit de lutter contre la pensée historique téléologique qui apprend « à courber l’échine et à baisser la tête devant la “puissance de l’histoire” » et conduit « à l’idolâtrie du réel »2. Aussi faut-il chercher à ce que l’« Autrefois rencontre le Maintenant dans un éclair pour former une constellation3 », comme l’écrit Benjamin. La tension dialectique qui met ainsi en rapport un instant du passé avec le présent opère, selon les termes de Rainer Rochlitz, « une coupe transversale à travers le processus historique » et en extrait « une image aux ambiguïtés révélatrices »4 capable d’ouvrir le champ de notre réflexion historique et politique. 

Aujourd’hui, posture intempestive et lecture anachronique ne sont-elles pas, pour un artiste, les réquisits d’une approche critique et créatrice ? Tout artiste désireux de mieux comprendre son temps et de laisser entrevoir la possibilité d’un temps à venir est habitué à confronter des temporalités hétérogènes, à pratiquer des montages archivistiques et à élaborer des dispositifs de court-circuitage temporel producteurs d’étincelles. Aussi l’enjeu majeur est-il sans doute moins de légitimer ces méthodes anachroniques que de différencier et d’évaluer les diverses manières dont des artistes effectuent ces (re)montages du temps. Y a-t-il lieu, par exemple, d’opposer la modestie d’un montage temporel où l’artiste suspend son autorité devant « la singularité du document5 » – chez un artiste comme Harun Farocki – à l’arrogance des montages introduisant le « surplomb du métalangage6 » – dans une œuvre comme celle de Jean-Luc Godard – ainsi que le pense aujourd’hui Georges Didi-Huberman ?

Ce numéro de la revue Proteus pose la question de savoir si l’artiste peut « re-monter » un substrat documentaire avec une juste distance – et donc en s’engageant comme artiste – ou si, au contraire, l’artiste « monte » forcément des éléments documentaires contaminés par un point de vue entremêlant postures d’artiste et d’historien. Pour traiter cette question, il semble nécessaire de se demander si, dans leur montage du temps, certains artistes accordent plus d’importance à la valeur testimoniale de l’image et d'autres à la valeur fictive et prospective du rapport entre les images, ou si les deux montages ne sont pas toujours montés l'un dans l'autre. Cet angle de réflexion invite à une reconsidération du statut de l’art documentaire et de son rapport aux temps passés, ainsi qu’à une analyse des manières dont l’artiste est amené à prendre position par ses (re)montages du temps.

Le problème soulevé par ce numéro peut être abordé d’un point de vue théorique, tout de même exemplifié de brèves analyses d’œuvres, ou en se focalisant sur un corpus précis afin d’en faire un cas paradigmatique.

 

1. Walter BENJAMIN, Sur le concept d’histoire (1940), VII, traduction Olivier Mannoni, Paris, Payot & Rivages, 2013, p. 63.

2. Friedrich NIETZSCHE, Considérations inactuelles II (1874), traduction Pierre Rusch, Paris, Folio Essais, 1992, p. 147 ; pour les deux citations.

3. Walter BENJAMIN, Paris, capitale du XIXe siècle. Le Livre des Passages (Fragment N, 3, 1), traduction Jean Lacoste, Paris, Cerf, 1989, p. 479.

4. Rainer ROCHLITZ, Le Désenchantement de l’art. La philosophie de Walter Benjamin, Paris, Gallimard, 1992, p. 283 ; pour les deux citations.

5. Georges DIDI-HUBERMAN, Remontages du temps subi, Paris, Minuit, 2010, p. 116.

6. Georges DIDI-HUBERMAN, Passés cités par JLG, Paris, Minuit, 2015, p. 192.

 

Vos propositions, d’une page environ, sont à envoyer pour le 23 octobre 2016 à l’adresse suivante : contact@revue-proteus.com

Coordination du numéro : Judith Michalet et Bruno Trentini

Nous vous rappelons que la revue Proteus accueille également des articles hors-thèmes que vous pouvez envoyer en dehors des dates limites fixées pour les articles sur thème.

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