Questions de société

"Réflexions sur la réforme des concours…", par B. Heyberger (Responsable du master « Sciences historiques » à Tours), 11/10.

Publié le par Marc Escola

De: Bernard Heyberger, Professeur

Université François-Rabelais, Tours


Le 11 octobre 2008


Responsable du master « Sciences historiques » à Tours, je voudrais
livrer mes réflexions face à la réforme des concours et du master, en
espérant nourrir un débat que je ne vois guère venir. Pour en parler,
je m'inspire de l'expérience de mon parcours universitaire personnel,
qui s'est déroulé à l'écart des établissements les plus centraux et
les plus prestigieux, mais qui s'est enrichie aussi d'une longue
pratique du collège d'enseignement secondaire comme professeur et
comme parent. Ce texte s'est nourri des échanges avec un certain
nombre de collègues, que je remercie.



Il est certain qu'il faut se positionner par rapport à une réforme qui
nous tombe dessus comme la foudre, et dont les objectifs dépassent le
simple souci de faire des économies, pour s'inscrire en fait dans un
projet plus global de réforme de l'Etat, qui vise à modifier le
système de recrutement, le nombre et  le statut des fonctionnaires. On
peut imaginer que, comme dans la fonction publique territoriale ou
dans des Etats voisins, le concours autorisera bientôt le titulaire à
se présenter sur des postes dont le recrutement se fera établissement
par établissement, ou secteur géographique par secteur géographique,
peut-être dans le cadre d'agences semi-publiques auxquelles sera
confiée le personnel : c'est ce qui est déjà en train de se mettre en
place par exemple, dans les « agences régionales de santé » qui mêlent
privé et public.

Une chose est de s'opposer globalement à ce type de projet. Une autre
est de savoir comment gérer la réforme sur le terrain. La fédération
des « non à la réforme » ne nous dispense pas de réfléchir sur
l'application concrète des textes, et de nous armer de
contre-propositions pour limiter les dégâts, ou garder une certaine
maîtrise des évolutions.


1.      Il est tout à fait impossible de faire des propositions de
maquette d'enseignement tant que l'on ne sait pas quelle sera la
nature des épreuves de ces concours.


Il est évident, par exemple, que la question ne se pose pas dans les
mêmes termes si celles-ci restent attachées à des programmes  précis,
ou si elles ne portent que sur les programmes enseignés à l'école
primaire et secondaire.

Il semble que ce soit cette option qui va l'emporter : quid alors de
l'articulation du master avec les périodes historiques peu
représentées dans le secondaire ? Le dernier  communiqué  de la
conférence des directeurs d'IUFM (3 oct. dernier) « institue » [sic !]
une épreuve disciplinaire qui ne représente plus que le quart des
épreuves ! On voit bien, dans ce communiqué, comme dans la « Charte
relative aux principes directeurs de la réforme du recrutement et de
la formation des enseignants » de la CPU (18 sept.), qu'il y a une
contradiction insurmontable à affirmer qu'il faut ancrer la formation
des futurs enseignants dans la recherche, tout en proposant des
préparations et des épreuves qui minimisent considérablement le temps
disponible pour l'enseignement disciplinaire, l'initiation à la
recherche, et le coefficient de l'épreuve disciplinaire dans le
concours.

Il faut relever cette incohérence, et  refuser pour le moment de nous
engager dans de nouvelles maquettes de master. D'autant plus que le
délai imparti pour les préparer (d'ici à Noël !) est ubuesque et/ou
kafkaïen.


2.      Quelle que soit la forme proposée pour les concours, elle
nécessitera des compromis problématiques pour s'adapter à la «
mastérisation ».


Que proposons-nous à ceux qui se destinent à l'enseignement primaire,
et qui doivent aussi être titulaires d'un master ? Devons-nous
accepter, comme cela semble se profiler, que cette formation soit
complètement déconnectée de l'enseignement disciplinaire et réservée
exclusivement aux ex-IUFM ? Devons-nous donc accepter de n'avoir rien
à dire sur l'histoire à l'école primaire ?

 Que faisons-nous du master ? Il y a des universités qui ont d'ores et
déjà fait de celui-ci une simple préparation aux concours, n'affectant
que pour la forme d'y proposer aussi une initiation à la recherche.
Dans ce cas, un mini-mémoire, ayant un coefficient faible (moins d'un
quart de la note) et portant éventuellement sur un sujet en rapport
avec le programme du concours est proposé à ceux qui s'inscrivent à la
préparation du CAPES.

Nous aurions alors deux filières : le master « enseignement », où la
recherche n'est plus là que comme alibi, et un master « recherche »,
correspondant à l'ancienne formule du mémoire comme travail principal,
qui se poursuivrait éventuellement par la préparation à l'agrégation.
Dans ce cas, combien de bataillons de talentueux étudiants de master
pourrons-nous aligner en dehors des grandes facultés du centre de
Paris, et comment alimenterons-nous les masters recherche jusqu'à
présent rattachés aux centres de recherche de nos universités ?


3.      Quelle est la meilleure défense de la place de l'histoire dans
l'enseignement  primaire et secondaire, et donc dans la société ?


Il est désastreux de n'avoir d'autre système de défense que la
revendication du maintien des quatre périodes historiques, des
programmes bisannuels, et des épreuves de dissertation et de
commentaire de texte. Est-ce vraiment le meilleur système possible,
qui assure la meilleure formation disciplinaire des enseignants, et la
meilleure préparation à l'enseignement primaire et secondaire ?

Il faut une bonne formation disciplinaire, y compris pour enseigner en
6e. Une bonne formation est aussi une formation qui donne aux futurs
enseignants l'idée que le savoir historique est un savoir ouvert, que
ce n'est pas une somme de connaissances close dans un programme, et
qu'il faut le discuter et le renouveler. Les préparations aux
programmes bisannuels créent un esprit de corps, une culture commune
entre enseignants du supérieur, et une certaine homogénéité dans les
cohortes d'étudiants qui ont subi les mêmes sujets. Il se peut aussi
qu'ils fassent naître des vocations pour la recherche.

Il faut reconnaître néanmoins que ces préparations peuvent être un
véritable enfer : elles mangent le temps et l'énergie de bien des
collègues. Certains aiment cela, d'autres le subissent à contrecoeur.
Tous pourraient peut-être utiliser ce temps à produire des
connaissances originales ou à les faire connaître par d'autres voies.


Le style d'exercice proposé aux concours détermine toute notre
pédagogie. Nous utilisons tous l'argument : il faut s'entraîner à la
dissertation et au commentaire, pour préparer les concours dès la
première année. La dissertation et le commentaire de documents sont
certainement d'excellents exercices : ce qui est archaïque n'est pas
forcément mauvais. Cependant, à l'âge de l'informatique et de
l'internet, pourrions-nous réfléchir à d'autres formes d'exercices,
plus adaptées à ces nouveaux outils, et plus susceptibles de former
nos étudiants aux conditions de travail actuelles ou à venir (dans
l'enseignement primaire, secondaire et ailleurs) ? Alors que le
problème numéro un de notre époque, c'est le choix pertinent dans une
masse infinie et indéfinie de documentation, je constate que nos
étudiants n'ont guère appris la recherche documentaire ni la
présentation d'un dossier avant leur arrivée en master. Je déplore
aussi la pauvreté de nos entraînements à l'oral, et la rareté des
occasions de prise de parole que nous offrons à nos étudiants.


4.      Quelques propositions


Renouveler le type d'exercices et le type d'épreuves

Pourquoi ne pas proposer le mémoire de master comme faisant partie du
concours, avec une soutenance devant un jury ? Les capacités à
maîtriser une documentation, à discuter d'un point d'historiographie,
à construire un objet à partir d'une source et d'une bibliographie, à
faire des notes de bas de page, ou  simplement à écrire clairement et
correctement selon des règles strictes, ces capacités-là ne sont-elles
pas celles que nous souhaiterions transmettre aux futurs enseignants
du secondaire, et ne se mesurent-elles pas mieux sur un mémoire que
dans une dissertation ou un commentaire de texte ? D'autres concours
et examens ont ce type d'épreuves. Il y a l'obstacle de distribuer
7000 mémoires entre des correcteurs dans toute la France. Mais il
existe déjà des officines spécialisées pour gérer ce genre de
processus, en oeuvre, par exemple, pour les VAE.

A côté  de cette épreuve, on pourrait conserver la dissertation et/ou
le commentaire de document (écrit ou oral). Ces exercices porteraient
(peut-être) sur des questions appartenant aux fameuses quatre périodes
historiques, questions élargies, et non renouvelées tous les deux ans
(mais pas immuables non plus).

Ou alors, une petite leçon de hors programme, ou une note de synthèse,
qui figure dans les épreuves de bien d'autres concours ? Des collègues
craignent avant tout de tomber dans la « culture générale ». Mais ne
déplorons-nous pas tous la faiblesse des pré-requis et le manque
d'ouverture chez nos étudiants, et parfois chez des doctorants trop
spécialisés ?

Si nous arrêtions parfois de réfléchir en tranches chronologiques,
nous pourrions peut-être trouver en nous des ressources insoupçonnées
: pourquoi ne pas nous présenter en spécialistes de l'Etat, du
christianisme, des images, de l'agriculture et des sociétés rurales,
du genre, de la famille, ou même de la ressource documentaire, de
l'archive, du traitement informatique des données… ? Ce genre
d'enseignement pourrait d'ailleurs mieux s'articuler avec l'esprit du
master : dans mon université, nous avons expérimenté à la satisfaction
du plus grand nombre des « séminaires diachroniques » portant sur « la
distinction », « la sainteté », « les minorités », le « discours
politique »…


Revendiquer le droit à débattre et à proposer pour les programmes du
secondaire et du primaire.


Nous avons une légitimité à nourrir la réflexion sur le contenu des
programmes du primaire et du secondaire, c'est-à-dire en fait sur le
rôle et la place de l'histoire dans notre société : nous avons en
particulier été amenés à le faire savoir lors des récents « conflits
mémoriels ».


Insister sur la formation continue des enseignants du primaire et du secondaire

La formation continue des enseignants devrait être une de nos
priorités, et nous devrions faire des propositions dans ce domaine,
alors que « la formation tout au long de la vie » est un secteur en
pleine expansion. La motion de nos confrères mathématiciens note à
juste titre que la formation continue des enseignants et la promotion
interne, avec les concours internes, ne figurent pas à l'ordre du jour
de la réforme. Dans la « charte » de la CPU, il est question de
formation continue et de VAE, mais à aucun moment nos collègues
présidents ne semblent avoir pensé que cela concerne aussi la
formation disciplinaire. Malgré la déclaration enflammée sur le lien
avec la recherche, il semble qu'ils pensent que la formation initiale
est suffisante pour les quarante ans et quelques de la vie
professionnelle des enseignants.