Questions de société

"Réflexions sur la crise universitaire 2009", blog de S. Huet (17/07/09)

Publié le par Bérenger Boulay

Réflexions sur la crise universitaire 2009 - Sylvestre Huet, Sciences2, Libéblogs, 17 juillet 2009

http://sciences.blogs.liberation.fr/home/2009/07/reflexions-sur-la-crise-universitaire.html

Les animateurs du mouvement Sauvons l'université viennent de publier une réflexion sur la crise qui a secoué les universités cette année.
Ce retour sur des événements historiques - la dernière grève longue et massive des universitaires remonte à 1976 ! - mérite le détour.

Sesauteurs sont en effet parmi ceux qui ont le plus contribué à lancer cemouvement, même si personne ni aucune organisation comme SLR , ni  syndicale (même la principale, le Snesup FSU) ne peut véritablement revendiquer la responsabilité pleine et entière de son déclenchement et, surtout, de sa durée.

Ce qui ressort d'une première lecture de ce texte,c'est que les acteurs même de ce mouvement ont du mal à en cerner lescontours, les véritables raisons et donc les perspectives possibles. Cela n'a rien d'étonnant.
Ainsi, le 2 février, le premier jour de cette grève, j'ai publié sur ce blog une longue interview de Jean-Louis Fournel, porte parole de SLU. On y lisait en particulier ceci : «Elles (les raisons de cette grève) sont multiples et bien loin d'une réaction corporatiste à la seule réforme de nos statuts, réforme qui constitue la goutte d'eau qui a fait déborder un vase rempli d'abord par les décisions gouvernementales...».

Autrement dit, si le vase n'avait pas été rempli, la goutte d'eau se serait écrasée au fond. Ce n'est d'ailleurs pas trahir un secret que d'affirmer qu'au moment même où ils lancent ce mouvement, la plupart des ses animateurs principaux ne savent pas du tout vers quoi ils se dirigent. La plupart d'entre eux sont persuadés qu'il va s'agir d'un "blitzkrieg"de deux ou trois semaines maximum. Et qu'à cette échéance, soit legouvernement cèdera, soit les universitaires reprendront le chemin desamhis.

Mais la profondeur de la colère, de la crise de confiancevis à vis du monde politique (et pas seulement de la droite augouvernement), du sentiment de "déclassement" (concept à la mode...)des universitaires va aboutir à une dynamique de groupe ou, d'A-G enA-G, le mouvement sera reconduit sur une longue durée, imprévue par sesacteurs. La manière différente dont, selon les UFR et en particulierune nette dichotomie entre sciences de la nature et sciences del'homme, cette action a été conduite ne doit pas faire illusion. Lacontestation est vive partout, même s'il est évident que la ministre reçoit aussi des soutiens dans le monde universitaire et pas seulement de présidents d'universités.

Cette analyse des raisons profondes et multiples de ce mouvement,que l'on retrouve dans le texte de SLU, s'oppose radicalement à lavision qu'en développe David Bonneau, ancien conseiller juridique de Valérie Pécresse. Dans un documentde la Fondation pour l'innovation politique, il développe le point devue selon lequel c'est la défense stricte du "statut" desEnseignant-chercheurs, selon l'argumentaire présenté par Olivier Beaud,qui explique cette crise. Une vision bien naïve... qu'Olivier Beaud luimême aurait bien du mal à suivre.

A l'occasion d'un débat organisé à Libération avec le D-G du groupe HEC ne lâchait-il pas soudain «on aurait du faire ça (la grève) depuis longtemps...».Autrement dit, même l'un des principaux hérault de cette argumentaire"juridiste" sait bien que les raisons profondes de la mise en mouvementde milliers d'universitaires n'étaient pas là, ou du moins niexclusivement ni même principalement. D'ailleurs, lors des discussionsavec les psychologues, historiens, sociologues et autres géographes,physiciens, biologistes ou chimistes que j'ai rencontré dans les manifestations et A-G, la mise en avant de ce type d'argument était plutôt rare.

Lesimple fait que l'ex-conseiller juridique de Valérie Pécresse ne soitpas capable de se rendre compte que ce n'est pas la modulation deservice en soi qui a mis les universitaires dans la rue mais le croisement de ce principe avec les chiffres (nombre d'enseigants chercheurs,nombre d'heures de cours en croissance) et donc leur conviction que lamodulation serait à la hausse pour la plupart d'entre eux sans aucunrapport avec l'intensité de leurs recherches, relève peut-être de saformation de juriste. Il serait étonnant qu'une telle vision ait étécelle de la ministre elle même.

De même, l'incapacité de cetteanalyse à prendre en compte le caractère global de la protestation etdu lien avec les autres dossiers (mastérisation, LRU, transformation des organismes de recherche,  discours présidentiel...) la frappe d'une sorte d'aveuglement politique, la rend muette devant le caractère très large de la contestation (Qualité de la Science Française, Autonome Sup, certaines prises de position de la CPU, de présidents d'université).

Curieusement, cette analyse entre en résonnance avec la gestion de la crisepar le gouvernement. gestion caractérisée par le refus catégorique detoute négociation globale et par le refus de valoriser les concessionsfinalement faites en termes de résultats de négociations avec lesuniversitaires en action. Cette gestion a été accusée, ici même, depoursuivre une "politique du pire", crispant au maximum la situation.Quelles sont les parts respectives de la volonté de démontrer une "fermeté"devant la contestation (voir le cri du coeur de Fillon à cet égard :"je dirige le seul gouvernement à avoir résisté à un mouvement desuniversités", ce qui dénote de sa part une singulière cécité puisqu'ilconfond un mouvement étudiant et un mouvement des universitaires...),du manque d'expérience sociale de la ministre et de son cabinet et de l'erreur d'analyse dumouvement... il est difficile de le savoir. Surtout que la fin(provisoire ?) de l'histoire permet au gouvernement de "choisir" laversion qu'il préfère, c'est le privilège des vainqueurs après la bataille...

voici le début du texte de SLU

Et si c'était maintenant que ça commençait ?
Réflexions de Sauvons l'Université ! sur le printemps 2009 des universités

 Le10 août 2007 est promulguée la loi LRU (Libertés et responsabilités desuniversités), adoptée à la sauvette le 1er août : prenant en chargecette élaboration hâtive, Madame Pécresse a pu croire longtemps que larupture du paradigme universitaire qu'elle promouvait ainsi allaitpasser sans trop de difficultés. Certes, en octobre 2007, les étudiantsengagent un mouvement dans une bonne moitié des universités françaises; certes, ils sont soutenus çà et là par des universitaires et descollègues du personnel administratif ; certes, un vrai débat est lancédans certains des syndicats et certaines des associations del'enseignement supérieur et de la recherche dont l'une, SLU, voitjustement le jour à cette occasion ; certes, le débat - et le combat -connaissent une nouvelle étape au printemps 2008 avec le mouvement liéà la remise en cause des organismes publics de recherche. Restetoutefois qu'il y a un an et demi, le monde de l'enseignement supérieuret de la recherche ne s'était pas massivement saisi des questionsposées par cette nouvelle loi. Pas plus qu'il ne s'était vraimentemparé l'année précédente des conséquences du Pacte pour la Rechercheou de la création des deux agences nationales (ANR et AERES), dont onallait vite percevoir le rôle essentiel dans le nouveau dispositifvoulu par le gouvernement. Toutes celles et tous ceux qui avaient tentéde mobiliser leurs collègues durant cette période partagent sans doutece constat.

Le premier semestre 2009 nous met devant une situation denature profondément différente. On pourrait l'expliquer en posant queles acteurs de ce mouvement ont agi à la fois parce qu'ils étaienttouchés en tant que personnes et parce qu'ils étaient atteints en tantque membres d'un corps. Du même coup, les conditions commençaient àêtre réunies pour que le dossier devienne politique aux yeux d'unebonne part des collègues concernés : comme dans tout agir politique,s'y sont croisés ethos individuel, conscience des droits et devoirsd'un groupe constitué et réinscription de l'université dans le champsocial et politique. Pour beaucoup, et ce n'est pas un hasard, laréforme de la formation et du recrutement des enseignants du premier etdu second degré a joué un rôle essentiel dans cette prise deconscience, parce qu'elle touche au coeur de la fonction sociale desuniversités, parce que s'y noue de manière évidente l'ensemble de cesdimensions. Dans un milieu éminemment individualiste, où touteexplication des dynamiques et de l'idéologie mises en oeuvre dansl'université est souvent perçue avec suspicion ou incrédulité et où latension vers la recherche d'une « vérité scientifique » tend à gommertoute analyse politique du monde et de nos pratiques, ce regaind'action collective est riche de perspectives à moyen terme. Ilpourrait déboucher sur une repolitisation du milieu universitaire. Il ad'ores et déjà refait de l'université un objet politique.
La suite du texte est ici.