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Appels à contributions

"Recyclages" (La Voix du regard n° 18)

Publié le par Hugues Marchal (Source : La Voix du regard)

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LA VOIX DU REGARD
Revue littéraire sur les arts de l'image



Avant-projet du n° 18


« Recyclages »

(titre provisoire)


DATE LIMITE D'ENVOI DES PROJETS : 1er novembre 2004

DATE LIMITE DE REMISE DES ARTICLES : 15 décembre 2004

Avant d'envoyer un texte sur un sujet de votre choix, informez-nous de votre projet, par courrier postal ou électronique.

Une fois le projet accepté, tous les textes devront être envoyés dactylographiés à l'adresse suivante (version papier seule, inutile pour ce premier envoi de joindre une disquette) :

LA VOIX DU REGARD
11 rue Henri MARTIN
94200 Ivry-sur-Seine
Tel /Fax : 01-46-70-88-69
E-mail : voixduregard@wanadoo.fr

Pour la partie "Hors sujet" : nous attendons vos propositions, sans exclusive.

Pour la section "GALERIE", n'hésitez pas à faire appel à des artistes peu connus dont les oeuvres n'ont jamais été publiées, et faites-les nous connaître.

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Si l'art a une histoire et s'il continue à en avoir une, c'est bien grâce au travail des artistes et, entre autres, à leur regard sur les oeuvres du passé, à la façon dont ils se les sont appropriées. Si vous n'essayez pas de comprendre ce regard, de retrouver dans tel tableau ancien ce qui a pu retenir le regard de tel artiste postérieur, vous renoncez à toute une part de l'histoire de l'art, à sa part la plus artistique.
Daniel Arasse, On n'y voit rien. Descriptions, Denoël, 2000.


Axe général du numéro

S'il évoque la répétition ou l'idée d'un retour à un état antérieur, le préfixe « re » renvoie en même temps à la notion d'achèvement, de renforcement et de nouveauté. Ainsi la question que ce prochain numéro de La Voix du Regard souhaiterait poser est celle du « Re », au sens du refaire, du remake, du recyclage, bref, de la réinterprétation pratique d'une oeuvre préexistante.
Si cette notion telle que nous la proposons à nos auteurs englobe la question de la citation, nous souhaiterions dépasser le formalisme inhérent à cette dernière en dirigeant nos réflexions plutôt du côté de ce que Nicolas Bourriaud nomme la « postproduction ». Il s'agirait de réfléchir donc aux images et productions artistiques en général fabriquées non pas avec un matériau brut, mais à partir d'oeuvres préexistantes, donc à partir d'un matériau déjà informé.


Interprétation pratique

Que se passe-t-il lorsque l'oeuvre qui a été fabriquée avec des outils devient, à son tour, un outil ? Pourquoi, dans ces dix dernières années, les artistes de toutes les disciplines se sont-ils attachés à reproduire des modèles socialisés dans des pratiques hétérogènes ayant en commun le fait d'interpréter, comme s'il s'agissait d'une partition de musique, des oeuvres antérieures ?
Au-delà des modes d'imitation que sont la copie, le pastiche, la caricature, le plagiat etc., ces pratiques du « Re » induisent un nouveau rapport à l'image, rapport dont la dimension économique est déplacée. En effet, si nous savons que la télévision et les médias en général ont imposé le modèle du duo production/consommation, le remake, le sample, l'interprétation plastique semblent vouloir proposer un nouveau projet. « De ces artistes qui insèrent leur propre travail dans celui des autres, on peut dire qu'ils contribuent à abolir la distinction traditionnelle entre production et consommation, création et copie, ready-made et oeuvre originale ». (Nicolas Bourriaud, Postproduction, p. 5). Vouloir « habiter une image » n'est-ce pas avant tout admettre qu'elle nous appartient, que nous en sommes les dépositaires et que nous avons le droit de la réutiliser pour transformer son sens ? Aussi, la valeur interprétative d'un objet n'est-elle pas également sa valeur d'usage ?

À ces interrogations, nous proposons d'attacher les notions connexes suivantes : Appropriation, simulationnisme, recyclage, adaptation, reprise, imitation, emprunt, remake, citation, hommage, clin d'oeil, réplique, palimpseste, sample, parodie, pastiche, etc.


Littérature/philosophie

Ces questions étant liées à la notion de mimésis, on pourra revenir sur les textes fondateurs (Platon, Aristote) mais aussi sur les approches d'Erich Auerbach (Mimésis. La représentation de la réalité dans la littérature occidentale) ou encore de Paul Ricoeur dans Temps et Récit. En remontant à la théorie du simulacre de Baudrillard (dont les artistes simulationnistes se réclament), on rappellera que, pour ce dernier, la simulation s'oppose à la représentation car la représentation part du principe d'équivalence du signe au réel alors que la simulation, elle, part de l'utopie du principe d'équivalence. On pensera également à Guy Debord et à son ouvrage de 1956 Mode d'emploi du détournement, dans lequel il critique le terme de « citation » au profit des démarches du détournement et du recyclage.
Rien n'empêche d'élargir cette question du « Re » à des notions plus lointaines, on pensera à la Reprise kierkegaardienne, par exemple (comment re-prendre une histoire d'amour après une longue interruption), aux questions d'interprétation et de surinterprétation que développe Umberto Ecco (L'Oeuvre ouverte, 1962, Lector in fabula, 1979, Interprétation et surinterprétation, 1992), à la « ritournelle » chez Deleuze, ou encore à l'esthétique de Valéry, liant herméneutique et « fonction RE » dans des formules comme : « Le pouvoir d'être repris et resucé dépend du nombre d'interprétations compatibles avec le texte et ce nombre résulte lui-même d'une netteté qui impose l'obligation d'interpréter et d'une indétermination qui la repousse » (Cahiers [1916], t. II, p. 1074)
On pourra réfléchir à certaines formes comme celles de l'exercice de style (voir les pastiches proustiens), de l'adaptation, de la transposition, ou du palimpseste, de son origine matérielle (manuscrit gratté pour accueillir un nouveau texte) à sa fortune comme « figure de style » ultra galvaudée.
En littérature, il serait intéressant de s'interroger sur les genres sériels, repris pour leur succès, comme les physiologies ou les mystères au XIXe siècle : ils deviennent une matrice pour quantité d'auteurs qui la recyclent. Les Mystères de Paris d'Eugène Sue donnent lieu aux Mystères de Palerme et d'ailleurs, tandis que la mode des physiologies se perdra en avatars parodiques. Plus généralement, on pourrait s'interroger sur le lien entre auteur et lecteur que permet le recyclage : pouvoirs de l'allusion, de la référence, du sous-entendu, de l'implicite ; il y a dans le recyclage un pacte de lecture reposant sur la connivence (on peut penser aux analyses de Sperber et Wilson sur l'ironie comme mention : le simple fait de recycler quelque chose d'antérieur comme ferment du discours ironique).
Un questionnement sur le théâtre est absolument nécessaire : par essence, la représentation théâtrale est le recyclage permanent d'un texte, qui articule reprise et réinterprétration (voir les relectures de Don Juan). Il serait pertinent d'interroger ce phénomène à la lumière des mises en scènes marxisantes des années 1960-70, par exemple dans les réactualisations très sociales et politiques du Mariage de Figaro.
On peut aussi prendre en compte les formes de recyclage qui ont permis le dialogue entre les arts. Parmi eux, quelques oeuvres mériteraient d'être présentes car elles sont les plus recyclées : les contes populaires (cf., récemment, Le Vaillant petit tailleur d'Éric Chevillard, réécriture et détournement du texte des frères Grimm), Les Liaisons dangereuses (voir les débats sur les « réécritures » cinématographiques de Vadim, Forman, Frears, et surtout sur l'avatar hollywoodien Sexe intentions), etc. Il y aurait aussi quelque chose à faire sur le recyclage théâtral de Jacques le Fataliste et son maître de Diderot par Kundera (voir ses idées sur le concept de variation), ou sur : le recyclage du cinéma muet dans la poésie surréaliste (cf. Aragon, Charlot mystique), etc. Tous ces exemples posent à la fois des problèmes de transposition générique et d'ancrage chronologique, la reprise opposant à une vision trop linéaire de l'histoire culturelle une temporalité faite de rémanences, de redites de l'ancien par le neuf, ou encore d'effets de fantômes. Au coeur des réflexions d'historiens des phénomènes esthétiques comme Georges Didi-Huberman, Judith Schlanger ou encore Terence Cave, le recyclage arrache formes et thème à un hypothétique Zeitgeist pour réactualiser le passé et donner une patine à l'innovation, entre collaboration et conflit des époques. La notion de preposterous history (histoire anachronique et arrogante) que développe Mieke Bal peut également offrir une piste de recherche intéressante à ceux qui souhaitent réfléchir à la notion d'influence à rebours qu'implique toute reprise. (Voir Quoting Caravaggio : Contemporary Art, Preposterous History, 2001 ou Images littéraires, ou comment lire visuellement Proust, 1999).
Pour contrebalancer les exemples incontournables comme Pierre Ménard, auteur du Quichotte de Borgès on proposera une ouverture sur les pratiques contemporaines de réécriture sur le web (phénomène des blobs, notamment).

Cinéma

En cinéma, le champ de recherche est vaste, comme le montre la réflexion entamée par le cycle proposé au Centre Georges Pompidou en juin 2004 intitulé Hollywood déconstruit. Remontages, remises en scène, resucées, où sont envisagées les différentes formes du remake (la resucée étant le remake commercial illustré notamment par True Lies/La Totale). Là encore, il s'agira d'explorer les notions de reprise et de montage. On pensera au travail de Pierre Huyghe (par exemple, Remake, film de 1995, qui retourne, dans une ZA de la région parisienne Fenêtre sur cour de Hitchcock) ou encore à celui de Douglas Gordon (24 hours psycho), ainsi qu'aux artistes présentés à l'exposition Remakes du CAPC (2003-2004) de Bordeaux. On pensera également aux Histoire(s) du Cinéma de Godard ou encore au film de Gus Van Sant, Psycho (1998), qui reprend plan par plan le film d'Alfred Hitchcock. On pensera également au film Reprise de Hervé Leroux (1996), pour lequel le réalisateur, presque 30 ans après, est parti à la recherche d'une femme ouvrière filmée pendant les grèves de l'usine Wonder
en 68.
Depuis quelques années, Hollywood refabrique ses grands succès comme le montrent de très nombreux exemples récents, L'Armée des morts de Zack Snyder, remake du Zombie de George Romero, par exemple. On pensera également au remake opéré par un réalisateur à partir de l'un de ses propres films, (Le Fils du désert de John Ford, par exemple, est le remake de 1948 de son film muet Marked Men de 1919).
La reprise ou le recyclage au cinéma n'est pas nécessairement le remake, mais peut être l'élément constitutif du film, on pensera, parmi d'autres, au montage de Memento de Christopher Nolan (2000), à celui de Lola Rennt de Tom Tykwer (1998) ou à celui de In the Mood for Love de Wong Kar-wai (2000).

Médias/Musique

Pour ce qui concerne la télévision, il serait utile d'amorcer une réflexion sur les « modèles » d'émission qui sont reprises dans grand nombre de pays selon une charte très précise (décors, musique, apparence et attitude du présentateur), afin d'en préciser les enjeux économiquement rentables et intellectuellement stériles. Cette question du « modèle » à suivre peut être élargie aux Journaux télévisés, par exemple. Dans un autre ordre d'idées, on pourra également observer le lien mimétique que les publicistes tissent avec les consommateurs qu'ils veulent toucher, faisant ainsi varier de manière parfois spectaculaire les annonces pour un même produit en fonction du pays de diffusion.
Sous un angle plus journalistique, on pourrait analyser le recyclage dans le titre de presse, angle intéressant pour aborder une stratégie de communication par connivence : analyse de la reprise de schémas linguistiques qui deviennent des schémas culturels, des clichés, mais aussi réflexion sur les conditions aux termes desquelles une information, par exemple, peut-être « reprise » entre différents organes de presse.
En médias, on pourrait s'interroger sur la plus grande capacité des formes brèves à rendre efficace le recyclage : la publicité, le clip (brièveté du « clin d'oeil »). Y a-t-il des formes qui se prêtent plus que d'autres au recyclage ?
En musique, le recyclage vu comme retour et reconnaissance d'une même structure est au coeur de la composition des oeuvres. Mais le terme évoque aussi la question de la répétition sérielle, de la variation, de la partition inachevée livrée à la libre création de l'interprète. Ces dernières considérations pouvant d'ailleurs être transposées au théâtre et à la danse. Le phénomène du dejaying et le sample en général offrent également une piste de travail très stimulante.


Arts plastiques

Pour ce qui concerne les arts plastiques, on privilégiera les pratiques d'artistes contemporains qui « squattent » littéralement les images (comme Olivier Blanckart, Wang Du, Pierre Joseph, Sherrie Levine, Jeff Koons, Richard Prince, Bill Viola, Elaine Sturtevant, etc.) mais on pourra également explorer le copyart ou les liens mimétiques entretenus dans l'histoire de l'art par des couples de type Manet/Goya, Picasso/Ingres, Bacon/Vélasquez, Warhol/De Vinci, Broodthaers/Magritte) etc.
Les artistes du travestissement choisissent de se déguiser, mais également de travestir des images données. On pourra alors tout spécialement s'intéresser à cette notion à travers les oeuvres de Warhol, Journiac, Sherman, Morimura, Antoni, Lüthi, etc., et de là s'interroger sur la contemporanéité du « tableau vivant ».



Le RE, une pensée singulière ?

Au-delà de la question du renouvellement des formes (« La bonne imitation est une continuelle invention », écrit Diderot dans l'Encyclopédie), les questions inhérentes à la pratique du « Re » sont liées à l'aliénation de la « copie » à l'original (peut-on apprécier à part entière une interprétation sans en connaître l'original ? quelle est l'autonomie de l'oeuvre imitante vis-à-vis de l'oeuvre imitée ?), en même temps qu'elles remettent en cause cette même notion d'original (on pensera notamment à la licence Copyleft voir http://artlibre.org/).

Enfin, si, comme l'affirme Gadamer dans Vérité et Méthode, « La recherche scientifique qui cultive la science dite de l'art a bien conscience d'emblée de ne pouvoir remplacer l'expérience de l'art, ni offrir mieux qu'elle », on se demandera si derrière le RE, ne se cache pas une forme de pensée singulière qui poserait l'interprétation d'une oeuvre au sens le plus matériel du terme comme une source de connaissance pratique à part entière.