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"Récits-limites" : fiction, document, témoignage

Publié le par Jean-Louis Jeannelle (Source : Philippe Roussin)

« Récits-limites »  : fiction, document, témoignage

24 et 25 février 2005

Fondation de la Maison des Sciences de l’Homme

Maison Suger, 16-18 rue Suger,  75006 Paris

Organisé par le Centre de recherches sur les arts et le langage (CNRS/EHESS)

Responsables : Alexandre Prstojevic, Philippe Roussin et Jean-Marie Schaeffer 

Durée des communications : 30 minutes suivies d’une discussion de 15 minutes

En raison des dimensions de la salle, il est demandé aux personnes qui souhaitent assister au colloque de prendre contact avec Philippe Roussin: Philippe.Roussin@ehess.fr

Jeudi 24 février

matin

Présidence de séance : Alexandre Prstojevic

 

9 h. 30  : Ouverture du colloque :

Jean-Marie Schaeffer,

directeur de recherche au CNRS, directeur du CRAL

 

9 h. 45  : Philippe Roussin, CRAL : «Un domaine de questions »

 

10 h. 30  :  Claude Calame,  directeur d'études,  EHESS :

« Entre historiographie et fiction: indice, témoignage et tradition poétique chez Thucydide »

 

11h.15  : Joël Zufferey, doctorant, UNIL, Lausanne :

« Formes et déformations du genre : les histoires tragiques de Jean-Pierre Camus »

 

12 h. -12 h. 45  :  Fiona McIntosh, Université Lille  III  :

« Histoire des Lumières et expérience de l’événement unique: de Hume à Gibbon »

 

après-midi

Présidence de séance : Jean-Marie Schaeffer

 

14 heures : Nicole Lapierre,  directeur de recherche au CNRS,  CETSAH :

« Les mots des ghettos :  entre archive et chant funèbre»

 

14 h. 45  : Jean-Pierre Morel, Professeur de littérature générale et comparée,

 Université de la Sorbonne Nouvelle Paris -III :

« Terreur et révolution : Sofri lecteur de Müller »

 

 

15 h. 30 - 16 heures  : pause

 

16 heures - 18 heures

L'Affaire Sofri

projection du film et discussion avec Jean-Louis Comolli

(Amphithéâtre EHESS, 105 Boulevard Raspail, 75 006 Paris)

 

 

Vendredi 25 février

 

matin

Présidence de séance : Annick Louis

 

10 heures  : Luba Jurgenson,  écrivain, traductrice, Université Paris-IV :

« L’étrange et le familier dans les représentations du monde concentrationnaire »

 

10 h. 45  : Alexandre Prstojevic, INALCO, CRAL :

« Témoignages fictionnels : la représentation de la Shoah

dans trois récits littéraires des années soixante-dix»

 

11 h. 30-12h.15  : Stéphane Michonneau, Université de Poitiers:

« L'historien entre la confusion des genres discursifs et la pluralité des attentes sociales :

 le cas des récits de la répression franquiste»

 

après-midi

Présidence de séance : Philippe Roussin

 

14 heures  : Annick Louis, Université de Reims :  « La morale du narrateur »

 

14 h. 45 :  Klaus Meyer-Minnemann, Forschergruppe Narratologie,

Professeur à l’Université de Hambourg :

« Histoire de faits et narration fictionnelle

dans Récit d'un naufragé de Gabriel  García Márquez »

 

15 h.  30  : Jean Bessière,  Professeur de littérature générale et comparée,

 Université de la Sorbonne Nouvelle Paris-III:

« L’œuvre-document : comment définir son type de communication ? »

 

 

16 h. 15  :  conclusion du colloque

 

Cocktail

 


 

Fiction, document et témoignage se sont fortement signalé à l’attention et à la réflexion critiques depuis vingt ans. L’émergence de l’intérêt pour les faisceaux de questions auxquelles chacun des trois termes renvoie peut être retracée et rapportée aux interrogations spécifiques qui ont été à leur point de départ respectivement dans les études littéraires, en philosophie ou en histoire. On sait la prévalence  de la notion de fiction dans la critique et la théorie littéraires aujourd’hui.  Le témoignage quant à lui a attiré l’intérêt des cultural studies et des subaltern studies qui se sont penchés sur le testimony et le testimonio dans le cadre plus large de la considération accordée aux écrits non canoniques et non constitutivement littéraires et visant à redéfinir la littérature comme un fait de la culture. Le document enfin - dans ses relations complexes avec le témoignage -  est au centre des débats historiographiques, notamment dans le cadre de la microhistoire ou de l’histoire contemporaine.

 

Chacun de ces termes est généralement pensé singulièrement ou dans le cadre analytique et méthodologique des disciplines où ils ont été d’abord constitués comme objet d’enquête et de débats. Il est plus rare qu’on s’interroge sur leur mise en relation et sur la configuration qu’ils dessinent ensemble, une configuration qui interroge les partages culturels usuels entre récits littéraires et non littéraires et à l’intérieur du domaine littéraire entre récits fictionnels et récits non fictionnels. Le constat est celui des rapports et des conflits entre les discours qui pose des problèmes de caractérisation  mais s’étend aussi à la question plus générale des fonctions sociales prêtées au récit.

 

Alors que la référence à la fiction prévaut aujourd’hui dans la critique littéraire, la notion de témoignage, mise en place après la première guerre mondiale, s’est depuis imposée à quiconque cherche à penser le phénomène des camps et des génocides. Elle repose la question du récit comme expérience d’une altérité sociale, culturelle et anthropologique, quête rétrospective de vérité  et authenticité ou encore celle de l’exemplarité de tout récit. Dans la plupart des cas, c’est la représentation verbale de l’événement unique, celui qui n’est ni pensable dans le continuum temporel ni dans une hiérarchie  inchangée des discours, qui est en jeu. Si elle se pose de manière particulièrement aigue au vingtième siècle, sans doute faut-il rappeler que cette question a été posée antérieurement, notamment au dix-huitième siècle anglais à l’occasion de la problématisation de la ligne de partage entre fiction et discours historique. Dans les catégories et les hiérarchies qui structurent la poétique et l’histoire littéraire, le documentaire se voit généralement accorder le statut d’un genre mineur.  Il est cependant aisé de constater que le document fait l’objet d’un discours, en réalité, toujours double, sinon contradictoire. Il relève d’un jugement dépréciatif dans toutes les circonstances où la littérature s’affirme comme une construction et il s’oppose alors le plus souvent à la fiction. Cette opposition recouvre en partie le privilège accordé, depuis le dix-neuvième, siècle à la création par rapport au constat, bien qu’à certains égards on puisse la faire remonter jusqu’à la dévalorisation aristotélicienne du discours historique par rapport à la mimésis. A l’inverse, le document est l’objet d’un discours valorisant lorsque l’art se trouve mis en cause dans ses procédés, au nom d’une situation et d’une expérience. Un document peut être alors à la fois témoignage et œuvre.

 

 

On voit bien comment l’importance accordée au document et au témoignage peut éventuellement  aujourd’hui servir à récuser les pratiques de la fiction, à réactiver des dichotomies anciennes  (l’absence de visée « sérieuse » de la fiction littéraire versus une littérature qui se donne un argument explicite selon un point de vue moral et éthique, l’opposition du vrai et du faux, le partage entre littérature anti-représentationnelle et littérature représentationnelle…) ou à aborder la littérature selon l’éthique et la morale en suivant des lectures datées. Si ces oppositions sont attestées, elles s’avèrent aussi en général stériles. Il paraît donc judicieux de déplacer la question selon une triple perspective :

 

1) Il s’agit d’abord de prendre la mesure de la diversité des relations qui, selon les cas et les traditions littéraires et culturelles, se nouent entre ces diverses pratiques discursives et attitudes pragmatiques. Il s’agira notamment de montrer, à travers des cas avérés, comment le témoignage et le document s’opposent à la falsification idéologique, comment le roman se configure par rapport au discours qui l’entoure naturellement (le dire des archives, le témoignage), comment le document s’oppose moins à la fiction qu’au roman et à son instrumentalisation (Varlam Chalamov), comment  la mise en œuvre du rapport entre récit et Histoire passe par des formes de contrat et de valorisation des pratiques narratives qui font appel à  la rhétorique judiciaire (celle de l’avocat, du témoin) ou posent à nouveaux frais la question de l’ethos. Cette liste de questions n’est bien entendu pas limitative.

2) A la lumière de ces études de cas il conviendra de se demander selon quelles modalités et avec quels effets, des genres que la prévalence de la référence au roman avait écartés de l’attention critique prennent à nouveau place dans la réflexion sur la littérature  avec le document et le témoignage et obligent à reconsidérer par exemple la tradition factographique ou d’autres esthétiques.

3) Sur un plan plus général on tentera de montrer en quel sens la configuration qui résulte de l’entrecroisement entre fiction, document et témoignage pose nombre de questions concernant la caractérisation et la fonction sociale des récits, les rapports, équilibres et conflits entre les genres discursifs et littéraires, ou encore comment elle interroge la séparation de la fiction et de l’histoire comme la difficulté d’y parvenir et soulève ainsi la question de savoir à quelles conditions une pratique littéraire peut aussi être dite une pensée de l’histoire.