Essai
Nouvelle parution
R. Meltz, Alexis Léger dit Saint-John Perse

R. Meltz, Alexis Léger dit Saint-John Perse

Publié le par Alexandre Gefen (Source : Marielle Anselmo)

Renaud Meltz, Alexis Léger dit Saint-John Perse, Paris, Flammarion, coll. "Grandes biographies", 2008, 846 p.

Isbn 13 (ean): 9782081205826

27€

Présentation de l'éditeur:

Cette première véritable biographie de Saint-John Perse réunit enfin ce qui a été séparé par Alexis léger lui-même, la vie du diplomate et celle du poète.

Le lecteur qui ouvre sa Pléiade ne peut en effet qu'être fasciné par une série de contradictions. le poète y affirme l'irréductibilité de l'oeuvre au fait historique, mois multiplie les confidences biographiques. II se targue de son premier rifle dans la conduite de la politique étrangère de son temps, mois s'exonère du naufrage à quoi elle a abouti. Le lecteur découvre une vie dont il pressent Io port romanesque et qui méritait d'être réécrite.

Il a fallu, pour relever ce défi, mener une longue enquête, rétablir les faits dissimulés, reconstituer le perpétuel palimpseste du diplomate, qui effaçait ses traces à mesure qu'il révisait sa politique pour donner le sentiment qu'elle était immuable. Les mystifications d'Alexis ne sont pas seulement un rideau de fumée à dissiper. Elles permettent de plonger l'individu dans le bain de son époque et offrent la garantie, en s'intéressant à une personne, de connaître une société.

Épris de puissance et de gloire, le secrétaire général du Quai d'Orsay a voulu la conférence de Munich, pour le bien de la France et celui de sa carrière. II a bataillé secrètement contre de Gaulle, en espérant rafler la mise, à la libération, ove( le soutien de l'Amérique, où il s'était réfugié. Le poète a oeuvré avec sa science de diplomate, fort de ses réseaux, pour obtenir le prix Nobel de littérature.

Renaud Meltz avec cette biographie totale, offre une relecture passionnante d'un destin qui se voulait exemplaire sans se dévoiler, et d'un prophétisme qui se prétendait infaillible malgré le désastre de 1940.

Sommaire:

Tout concilier
Le mage de la République
L'invention de soi

*  *  *


  • La revue de presse Jean-Claude Perrier - Le Figaro du 1er octobre 2008:

Mythomane, manipulateur, mégalomane... et Prix Nobel de littérature 1960.Une biographie révèle comment Alexis Leger a lui-même construit son mythe de poète altier. Saint-John Perse n'a jamais existé. Sous ce nom énigmatique d'un poète si célèbre de son vivant se dissimule la créature conçue par un simple mortel, Alexis Leger. Une première biographie exhaustive et salutaire due à Renaud Meltz, un jeune historien, retrace cette aventure unique et tente de restituer «Alexis», comme il l'appelle, dans sa complexité...
Alors, Alexis Leger, mythomane, manipulateur, mégalomane ? Sans doute. Mais Saint-John Perse, magnifique à relire, aussi. Le poète qui réussit à faire de ses vies, inextricablement mêlées à son oeuvre, le plus beau des romans.


Une biographie réussie explore les deux visages du poète et diplomate Alexis Leger, dit Saint-John Perse. D'abord ne pas se laisser intimider par l'effet de masse, en gardant à l'esprit qu'une somme ne découle pas nécessairement d'une masse. Ensuite ne pas se laisser impressionner par les 846 pages tassées, en se souvenant que le vers d'un poète peut en dire autant qu'un chapitre de biographe. Enfin ne pas marchander ses applaudissements, en convenant que, avec Alexis Leger dit Saint-John Perse, livre total, nous disposons de deux vies en une...Le biographe est tout sauf complaisant. Son admiration est intacte, mais elle n'entame en rien son sens critique. Il a écrit en conscience. On en veut pour preuve le fait qu'il s'abstienne de pointer les remords et repentirs du poète, et de reproduire les premiers états de ses poèmes, selon le voeu de l'intéressé. Surgit alors chez le lecteur le curieux sentiment que l'auteur a été implacable avec le diplomate et empathique avec le poète. Comme si, au fond, à l'issue de son long et intime commerce avec la vie et l'oeuvre de son héros à double facette, le biographe s'était dédoublé à son tour et à son insu.

*  *  *

On peut lire sur le blog de P. Assouline un billet sur cet ouvrage:

"Double biographie d'un personnage dédoublé".

*  *  *

Et sur le site nonfiction.fr:"Léger sans Perse", par S. Beauboeuf.

*  *  *

Dans la cahier "Livres" de Libération du 18/12/8, on pouvait lire un article sur cet ouvrage:

La vie rêvée d'Alexis Léger

Ouverture

Autofiction. Le diplomate a beaucoup réinventé son histoire pourdevenir le poète Saint-John Perse. Une biographie déconstruit le mytheen détail.

PHILIPPE LANÇON

Renaud Meltz Alexis Léger dit Saint-John Perse Flammarion, 846 pp., 35 euros.

Etreécrivain, c'est vivre une fiction. Alexis Léger, dit Alexis Saint-LegerLeger, dit Alexis Saint Léger-Léger, dit Alexis Saint-Léger Léger, ditSaint-John Perse, prince du verset et roi de la doublure, est sansdoute celui qui a le plus imaginé, vécu et reconstruit la sienne. Ill'a fait avec un sens orgueilleux de la manipulation, de l'ornement etde l'image, égal à sa foi littéraire, à son génie physique du mot, àses ambiguïtés politiques et, finalement, à sa naïveté prophétique. Ledébut d'Anabase, écrit en Chine et publié en 1924, résume assez bien son programme et son enluminure : «Sur trois grandes saisons m'établissant avec honneur, j'augure bien du sol où j'ai fondé ma loi.»

Cette loi, il en fixe les tables en 1972, trois ans avant sa mort,lorsque ses oeuvres complètes sont publiées dans la Pléiade. Le volume aété composé par lui seul : c'est un acte d'enfance et le tombeau d'unpharaon. Sa pompe elliptique et son obscure clarté continuent d'aérerceux que la vie étouffe, en donnant forme et volonté à leur souffle : «Le pan de mur est en face, pour conjurer le cercle de ton rêve. Mais l'image pousse son cri.»On y trouve une biographie détaillée, la dizaine de recueils parfoislégèrement modifiés, ses témoignages littéraires ou politiques, et descentaines de lettres (à Gide, à Larbaud, à Claudel, à sa mère, à sesministres, à de Gaulle qu'il déteste, à Roosevelt dont il aimerait êtrel'élu français…). La vie et l'oeuvre défilent sous le contrôleprocédurier du prix Nobel de littérature 1960 : le poète traite sadestinée en administrateur des domaines.

Ce Pléiade qu'on aime tant est une stèle de mensonges ou, si l'onpréfère, une formidable reconstitution narcissique : poèmes antidatés,lettres de jeunesse écrites quarante ans plus tard, lettres aux amistronquées ou caviardées. Le volume prétend s'élever contre «tout ce bas romantisme publicitaire de l'antilittérature»,qui consiste à juger l'homme aux dépens de l'oeuvre, pour mettre enscène la rigueur du poète. Mais il fait du même coup ce qu'il dénonce :démontrer l'oeuvre par la vie - modifiant la première et mentant laseconde pour mieux les faire communiquer. Seuls les témoins del'existence brillante et tortueuse d'Alexis Léger ou les destinatairesencore vivants de ses missives peuvent alors constater son minutieuxboulot cosmétique. Mais ils se taisent, et presque tout le monde suit.

En 1977, Pascal Pia relève avec ironie quelques bizarreries, dontcelle-ci : dans une lettre du 3 février 1917, le jeune diplomateinstallé en Chine craint «la marche finale de la communauté chinoise vers un collectivisme proche du communisme léniniste le plus orthodoxe».A l'époque, Lénine vit en Suisse, et la révolution russe n'a pascommencé : le diplomate, comme le poète, est un devin. Pia conclut : «Jusqu'àprésent, les historiens ne semblent pas s'être intéressés aux documentset aux lettres d'Alexis Léger, publiés dans le gros volume de laPléiade, mais le jour où la curiosité leur viendra de les consulter,ils éprouveront probablement d'assez plaisantes surprises.» Les surprises sont venues.

«Oeil oblique». La publication de biographies partielles,d'études, de lettres originales à ses amis et traducteurs américains,avait peu à peu permis de saisir l'ampleur des falsifications. Ununiversitaire de 35 ans, Renaud Meltz, a exhumé les archives de laFondation Saint-John Perse et du Quai d'Orsay. Il déconstruitaujourd'hui avec soin l'existence de l'aiglon à deux têtes, poèteépique, diplomate puissant et homme politique raté. Son livre est néd'une thèse (on en écrit beaucoup sur le poète). L'accumulation presqueextravagante de preuves devient vite fascinante. Alexis Léger a tantmenti et biaisé que son opacité finit par éclairer et justifier l'oeuvrede Saint-John Perse : le menteur vrai, c'est lui. Les amateursordinaires d'authenticité surexposée et d'épicerie démocratique enseront naturellement pour leur frais : les valeurs que révère (ettrahit régulièrement) Léger sont à l'opposé de celles que notre sociétéfeint de propager. Ses postures et ses feintes sont peut-êtreregrettables, mais elles sont aussi des manifestations de liberté.

La fiction commence d'entrée : petit Blanc né en Guadeloupe en 1887,Alexis Léger a refait, comme un Créole excentrique, son nom et sagénéalogie. Si la famille est assez haut dans l'échelle socialeinsulaire, le père n'est pas «descendant d'un cadet de Bourgogne parti de France à la fin du XVIIsiècle.» La mère n'a ni la particule ni le blason que son fils lui invente. Sa famille n'est pas venue de Provence au XVsiècle,mais de Suisse avant la Révolution, etc. L'enfant a 12 ans quand lafamille rejoint la France et Pau. A 14 ans, il veut se tuer pour unedent noire. Il aime Rimbaud comme il aimera Bossuet. Adolescent, ilrencontre par son père le poète Francis Jammes, qui vit à Orthez. Plustard, il ôtera des lettres qu'il lui a envoyées toutes références àcette médiation familiale : le poète, comme l'analyste, ne s'autoriseque de lui-même. Sa devise, il la prend chez saint Ambroise : «Sois le fruit de tes oeuvres.» Et c'est bien par là qu'il prétendra finir à 80 ans.

Il n'en a pas vingt quand il rencontre le premier cercle de laNouvelle Revue française. Paul Morand, découvrant les lettres publiéesdans la Pléiade en 1972, se souvient de lui : «Tout formé, déjà ; pas un jeune homme, mais un homme. Traitant d'égal à égal avec Claudel, avec Berthelot.» Philippe Berthelot, dit le Seigneur-Chat, est le grand secrétaire général aux Affaires étrangères de la IIIe République.Amateur de littérature, il lance et protège les jeunesécrivains-diplomates Morand, Giraudoux et Léger qui, en 1932,contribuera à son éviction et prendra sa place. Morand poursuit : «Plusrien de l'enfant, aucun des enthousiasmes, des bêtises, des modes del'adolescent. Son oeil oblique, sans charme immédiat, sans tendresse niattendrissement.» Dans la Pléiade, Léger ôte des lettres à ses amis toute expression d'une demande, d'une plainte, d'une effusion intime.

Les fées qui se penchent sur ses premiers poèmes s'appellent JacquesRivière et Valery Larbaud. D'autres, comme Gide, sont plus réticents.Saint-John Perse éliminera les traces des manoeuvres que Léger effectuepour les séduire ou les convaincre. L'influence de Claudel sur sespremiers textes est si forte qu'il les datera d'avant leur rencontre,alors qu'ils ont été écrits après. C'est Larbaud qui a peut-êtrecontribué à la mystérieuse trouvaille du pseudonyme Saint-John Perse.On pensait (et la Pléiade affirmait) qu'il datait de 1924, lorsqueparut Anabase. En fait, il fut trouvé dès 1911. Hors Larbaud, personne n'aime ce pseudonyme. La libraire Adrienne Monnier écrit à Léger : «Tout ce que je puis changer à votre nom, c'est lui enlever un plumage.»

A quoi ressemble le jeune Léger ? A un insolent plein d'empire sur soi et prêt à l'étendre sur d'autres. Paul Morand lui trouve «l'oeil rond du perroquet» : l'expression convainc tout le monde. «Maissoit par disposition naturelle, soit pour se donner un genre, préciseun diplomate, Léger gardait cet oeil immobile, et c'est par le mouvementde sa tête et de son cou qu'il dirigeait son regard perçant, ce quifaisait penser à d'autres oiseaux… aux grues, par exemple.» Ponge, qui ne l'aimait pas, le traite d'«autruche des sables».

Satrape. Il entre dans la carrière diplomatique en 1914. Pendantdix ans, il ne publie pas. Protégé par Berthelot, il évite la guerre.S'opposant à son avis, il rejoint la Chine : les traces de Claudel ysont encore fraîches. Les dépêches et témoignages exhumés par Meltzrévèlent un homme de réseau et de recommandations précoce, qui prétendconnaître les mystères de la Chine mais fréquente surtout les quartiersdiplomatiques. Il ne semble pas comprendre grand-chose aux mouvementsprofonds du peuple chinois, dont la masse humiliée ne l'intéresse pas.Dans les dîners parisiens, ce grand conteur relatera ses longues etfascinantes aventures dans le désert de Gobi : il l'a traversé envoiture en dix jours. Ses informations locales lui viennent, entreautres, de sa maîtresse, femme d'un général chinois dont il fait une «princesse mandchoue».Un jour, il dessine son portrait pendant qu'elle dort. Au réveil, elleécrit près du dessin un poème amoureux. En 1975, sur la presqu'île deGiens, le dessin demeure au mur de la maison où il va mourir.

Son retour en France, en 1921, marque le début véritable de sacarrière. Il ne lui faut que treize ans pour, à l'ombre d'AristideBriand et de sa politique de réconciliation avec l'Allemagne, enjambergrades et fonctions, et devenir enfin le grand satrape du Quai d'Orsay.Il n'y a pas d'autre exemple, sous la IIIe République, d'unetelle ascension. Elle s'accompagne de silence littéraire : de 1925 à1940, il n'écrit plus et interdit en France toute réédition des oeuvresanciennes. C'est par un mot que, selon la légende pour une foisvraisemblable, il a séduit Briand en 1921 à Saint-Nazaire. Le ministredes Affaires étrangères vient de raconter quelques anecdotes sur savie. On lui dit qu'il devrait en faire un livre. «Un livre, dit Léger, c'est la mort d'un arbre.» Ils ne se quitteront plus.

Entouré de fonctionnaires choisis et soumis, n'oubliant rien, nepardonnant rien, le secrétaire général du Quai d'Orsay utilise àmerveille l'inertie de la machine pour ralentir ou épuiser ce qui, enla perturbant, nuirait à sa propre fonction. Son exceptionnellemaîtrise de la langue explique la concision de ses dépêches, la qualitéde ses corrections. Célibataire, il vit avec sa mère et sa soeur dans unappartement nu où il ne reçoit personne. Deux maîtresses principales,riches et mondaines, accompagnent ces années de puissance : Mélanie deVilmorin, mère de Louise, puis Marthe de Fels. Une troisième dit de lui: «C'est l'un des rares hommes que le désir ne rend pas hideux. Aucontraire, il l'aiguise, le durcit. La peau colle aux os, les tempes secreusent et ses yeux sombres prennent l'éclat doré qu'ont les yeux desbêtes fauves.»

Cynique et méfiant, démocrate moins par goût que par raison, hommede cabinet plus que de décision, il pénètre avec talent dans la matièregrise du pouvoir : un produit calculé de l'époque, à la fois sévère etveule, symbole de la haute administration républicaine d'avant-guerreplus que de ses altiers poèmes. Il a des convictions, mais elless'adaptent aux circonstances : hostile à l'Italie fasciste et à l'Unionsoviétique, très favorable aux Etats-Unis, mal informé sur l'Allemagneet pacifiste jusqu'en 1939, il incite Léon Blum, qui l'apprécie commepoète, à ne pas intervenir en Espagne. On savait que son rôle, pendantles accords de Munich, avait été déterminant. Renaud Meltz le décrit endétail. Léger cherche à obtenir de son ministre, sur la conduite àtenir, des ordres écrits que celui-ci refuse de lui donner : personnene veut être tenu pour responsable de la lâcheté générale. A Munich,Hitler lui dit : «Je sais que vous faites de belles poésies.»Car nul n'ignore ce que Léger prétend cloisonner. Mais, quand celui-cinégocie un peu trop fermement l'amputation de la Tchécoslovaquie (ilaccentuera rétrospectivement son rôle et son courage), le Führer oubliele poète et trépigne contre le diplomate que la presse d'extrêmedroite, en France, appelle «le négroïde Léger».

Oubli. Il quitte la France pour Londres en juin 1940, maismultiplie les lettres à Vichy (ce qu'il dissimulera ensuite) pour nepas être déchu de sa nationalité - en vain : le symbole républicainqu'il représente doit être condamné. Léger va-t-il choisir de Gaulle ?Son hostilité au personnage, semble-t-il réciproque, l'en empêche. Etaussi sa peur et son ambition d'être l'homme de l'ombre providentiel.Craignant d'être tué sous les bombes, il rejoint aussitôt lesEtats-Unis. Il y nuit avec efficacité à l'image gaullienne. Pendanttrois ans, Roosevelt, parfois même Churchill, pensent l'utiliser contrel'homme du 18 Juin : leur désir d'éliminer de Gaulle prête à Léger uneinfluence qu'il n'a plus et un goût de l'action qui lui manque.Comprenant ses manoeuvres, de Gaulle finit par déclarer : «Léger, malgré ses grandes apparences, n'est pas un caractère.» Ce mot juste signe la fin de sa carrière politique. On l'oublie sans le pardonner. Il ne reviendra en France qu'en 1957.

Il épouse une riche Américaine, recommence à écrire, comme toujourspeu et bien, organise sa rentrée poétique au pays et sa campagne pourle prix Nobel avec un sens tactique et stratégique digne du secrétairegénéral qu'il fut. Et, cette fois, il réussit. Le mausolée de laPléiade roule la pierre sur cette destinée accomplie entre élévationset reniements. Quelques vers splendides, de beaux hommages, cetteextraordinaire cadence verbale statufiée, continuent de s'en échapper.Et cette question sans réponse, posée dès l'âge de 20 ans : «Sinon l'enfance, qu'y avait-il alors qu'il n'y a plus ?…» Rien.