Édition
Nouvelle parution
R. Gary, Romans et récits, 2 vol. (éd. M. Sacotte, Bibliothèque de la Pléiade)

R. Gary, Romans et récits, 2 vol. (éd. M. Sacotte, Bibliothèque de la Pléiade)

Publié le par Marc Escola

ROMAIN GARY

Romans et récits I, II

Coffret de deux volumes vendus ensemble

Édition publiée sous la direction de Mireille Sacotte

Collection Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard

Parution : 16-05-2019

ISBN : 9782072842245

 

La réalité n’est jamais aussi belle que le rêve d’une mère. Gary a connu d’éclatants succès, mais il a vu son œuvre se heurter à des réticences. La popularité de l’écrivain et sa reconnaissance n’ont pas marché du même pas. Ce n’est pas exceptionnel, et cela s’explique. Les obstacles à une consécration rapide étaient multiples. Le style de l’homme a pu en être un. La manière du romancier en fut un autre.

Gary a été un extraordinaire raconteur d’histoires et un inventeur de personnages en un temps, l’«ère du soupçon», où ces notions, l’histoire, le personnage, étaient réputées périmées. Or pour lui, le récit – l’histoire – n’est pas la part honteuse du roman. Mais c’est se tromper lourdement que de voir en lui, sous ce prétexte, un écrivain conventionnel. La mise en abyme dans Éducation européenne, la polyphonie des Racines du ciel, la voix narrative fantastique dans La Danse de Gengis Cohn, la dimension autofictionnelle de La Promesse de l’aube et de Chien Blanc, la temporalité dans Les Enchanteurs ou l’inventivité verbale et les dispositifs narratifs d’Émile Ajar ne sont pas précisément des signes de soumission au roman hérité du XIXesiècle. Encore faut-il, pour s’en aviser, ne pas passer à côté d’une prose qui mélange les genres, avoue ce qu’elle doit à la poésie et s’autorise toutes les libertés, à commencer par un humour qui a pu déconcerter autant qu’il séduit, parce qu’il va de l’ironie la plus fine au grotesque le plus assumé. Cet humour n’est pas un ornement : il est fondamental. D’une part, il conjure la tentation de l’idéalisme ; de l’autre, il permet de «désamorcer le réel au moment même où il va vous tomber dessus».

Le réel, voilà l’ennemi. Gary l’appelait «la Puissance». Il a plusieurs visages : guerre, bêtise, vieillissement, solitude… Gary est sensible au tragique de l’Histoire et au malheur des hommes. Ça l’agace : «J’ai tout le temps mal chez les autres.» L’humour est donc une défense. L’imaginaire, un refuge. «Nourris de ce siècle, jusqu’à la rage», les livres de Gary ne sont pas des romans historiques. Ancrés dans l’imaginaire autant que dans l’Histoire, ils relèvent de la «mystique» littéraire de l’aventure qu’ont illustrée, avant lui, Kessel, Cendrars, Saint-Exupéry, et Malraux bien sûr. Cette conception de l’aventure n’est pas de celles qui produisent une littérature populaire de grande diffusion : elle engage une réflexion sur la condition humaine.

L’aventure et l’imaginaire luttent aussi contre une forme particulière de réalité, l’identité. Chez Gary, le je est une clôture, un piège. Ce qu’il y a de permanent dans son identité l’exaspère. Il lui faut s’évader, courir le monde, muer comme un python, se «séparer un peu de [s]oi-même», changer d’identité et vivre d’une vie pseudonyme, au risque de s’y brûler. «L’aventure Ajar» est bien connue, mais on y a souvent vu une imposture. C’était autre chose : l’affirmation des pouvoirs de la fiction, et un défi lancé aux «lois de la nature», qui mènent à la mort.

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On peut lire sur nonfiction.fr un article sur cet ouvrage.

P. Assouline a consacré un billet à cette édition sur son blog larepubliquedeslivres.com.

Lire aussi sur en-attendant-nadeau.fr :

"Pourquoi lire Romain Gary aujourd’hui ?", par Norbert Czarny

Il a trouvé sa place dans la Pléiade mais rien n’assure qu’il l’avait trouvée dans le monde, que ce soit le monde réel, le monde des lettres ou le présent qu’il a vécu. Il y avait en lui quelque chose de décalé, d’étranger, une « bâtardise », que les honneurs ni la gloire ne pouvaient faire oublier. Sans doute est-ce la raison pour laquelle Romain Gary est un écrivain qui me parle.

"Romain Gary, écrivain de frontière", par Jean-Pierre Salgas

« On m’avait fait une gueule […] l’image était toute faite, il n’y avait plus qu’à prendre place ». Dans Vie et mort d’Émile Ajar (écrit en mars 1979, peu avant son suicide, le 2 décembre 1980), son testament, Romain Gary ne cite qu’un seul auteur du XXe siècle, Witold Gombrowicz, Ferdydurke et sa célèbre distinction entre les « gueules » – que les autres m’imposent – et le visage où je me reconnais.