Essai
Nouvelle parution
R. Chartier, Éditer et traduire. Mobilité et matérialité des textes (XVIe-XVIIIe s.)

R. Chartier, Éditer et traduire. Mobilité et matérialité des textes (XVIe-XVIIIe s.)

Publié le par Marc Escola

Éditer et traduire - Mobilité et matérialité des textes (XVIe-XVIIIe siècles)

Roger Chartier

Date de parution 20/05/2021

Coédition EHESS/Gallimard/Seuil

Collection : Hautes études

EAN : 9782021473896 — 298 p.

 

Notre monde devient chaque jour plus global et, pourtant, il n'est pas doté d'une langue universelle. Traduire est donc une nécessité pour que les destins partagés ne soient pas, en réalité, des histoires cloisonnées. L'étude des traductions permet de dissiper les illusions anachroniques qui oublient la très grande inégalité entre les langues qui sont traduites et celles qui traduisent. Elle met en lumière les translations des modèles esthétiques et des normes culturelles. Elle s'écrit dans la tension entre l'hospitalité langagière, qui accueille l'autre, et la violence qui le prive de ses propres mots.

Or cette étude peut être menée à plusieurs échelles. Dans ce livre voué à la première modernité, entre XVIe et XVIIe siècle, est d'abord privilégiée celle qui s'attache aux mots : ainsi, les premiers vers du monologue d'Hamlet dans les traductions françaises et espagnoles du XVIIIe siècle, ou encore les différentes traductions du mot qu'emploie Aristote pour désigner les « preuves » qu'il tient pour essentielles dans l'art rhétorique.

Cependant les processus de traduction ne se limitent pas au passage des textes d'une langue dans une autre. Ils s'emparent également des œuvres dont la langue n'est pas changée mais qui sont transformées par les formes de leur publication. C'est en ce sens que l'édition peut être considérée comme une modalité de la « traduction ». En donnant aux « mêmes » œuvres, dans une même langue, des textes qui différent dans leur littéralité et leur matérialité, les éditions successives produisent des publics, des usages et des sens nouveaux.

Comment comprendre la relation qui lie les œuvres et leurs textes ? Les œuvres paraissent défier le temps et demeurer toujours identiques à elles-mêmes. Pourtant, disséminées dans de multiples textes, elles ont migré entre la voix et l'écrit, entre différents modes de publication, entre les genres et les langues. En nouant traduction et édition, ce livre se veut une contribution à l'étude de la mobilité des écrits et de leurs significations.

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On peut lire sur en-attendant-nadeau.fr un article sur cet ouvrage :

"Traduire à l’époque moderne", par Gisèle Sapiro (en ligne le 6 octobre 2021)

En quelle langue Cervantès et Shakespeare se seraient-ils parlé s’ils s’étaient rencontrés ? En arabe, sans doute, comme l’imagine Anthony Burgess dans sa nouvelle mettant en scène cette rencontre. Issu d’un cours au Collège de France tenu à l’université de Pennsylvanie, le nouveau livre de Roger Chartier Éditer et traduire nous invite à décentrer notre regard en nous déplaçant à une époque où l’Espagne occupait une position dominante et où la figure de l’auteur moderne était seulement en train d’émerger. Ainsi, l’eût-il voulu, Cervantès n’aurait pu lire Shakespeare qui n’était alors pas traduit en espagnol. Seuls les catholiques anglais résidant en Espagne avaient accès à une édition soigneusement expurgée d’allusions sexuelles ou autres grossièretés et de tout signe d’impiété. À l’opposé, l’histoire de don Quixote de la Mancha était largement diffusée en France comme en Angleterre.