Édition
Nouvelle parution
R. Barthes, Carnets du voyage en Chine

R. Barthes, Carnets du voyage en Chine

Publié le par Florian Pennanech

Roland Barthes, Carnets du voyage en Chine

Paris, C. Bourgois, collection "Littérature française", 2009

ISBN : 978-2-267-02019-9

23,00 €

Quatrième de couverture :

On ne sait rien, je ne saurai jamais rien : qui est le garçon à côté de moi ? Que fait-il dans la journée ? Comment est sa chambre ? Que pense-t-il ? Quelle est sa vie sexuelle ? etc.
Petit col blanc et propre, mains fines, ongles longs.
R. B.

Voir l'annonce de l'éditeur.

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À noter : La publication en février des Carnets du Voyage en Chine (éd. C. Bourgois) et du Journal de Deuil (éd.du Seuil) a été précédée d'une polémique éditoriale que retrace Le Monde. On peut lire à ce sujet la réponse d'Olivier Corpet et d'Eric Marty et le billet de P. Assouline sur son blog, ainsi que la position du Magazine littéraire, qui, dans son numéro de janvier, propose un dossier "Barthes refait signe" comportant des extraits des deux oeuvres.

Voir l''article de Jean Birnbaum, "Barthes ose le cliché" dans le Monde

Et aussi: Barthes, fragments d'un discours orphelin sur Libération.fr

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Du 11 avril au 4 mai 1974, une délégation française composée de trois membres de la revue Tel Quel– Philippe Sollers, Julia Kristeva et Marcelin Pleynet – ainsi que deFrançois Wahl et de Roland Barthes, se rend en Chine. Au retour de cepériple qui a conduit les voyageurs de Pékin à Shanghai, de Nankin àXian, Roland Barthes publie dans Le Monde du 24 mai 1974 letexte « Alors la Chine ? », repris l'année suivante par ChristianBourgois dans une édition hors commerce. Ce texte est rédigé à partirdes impressions de voyage notées par Roland Barthes sur trois carnetsde poche. Un dernier carnet a été utilisé pour réaliser l'indexthématique des quelque trois cents pages de ce journal de voyage dontles éditions Christian Bourgois offrent aujourd'hui une édition inédite.

« Nouslaissons alors derrière nous la turbulence des symboles, nous abordonsun pays très vaste, très vieux et très neuf, où la signifiance estdiscrète jusqu'à la rareté. Dès ce moment, un champ nouveau sedécouvre : celui de la délicatesse, ou mieux encore (je risque le mot,quitte à le reprendre plus tard) : de la fadeur.

Hormis ses palais anciens, ses affiches, ses ballets d'enfants et son Premier Mai, la Chine n'est pas coloriée.La campagne (du moins celle que nous avons vue, qui n'est pas celle del'ancienne peinture) est plate ; aucun objet historique ne la rompt (niclochers, ni manoirs) ; au loin, deux buffles gris, un tracteur, deschamps réguliers mais asymétriques, un groupe de travailleurs en bleu,c'est tout. Le reste, à l'infini, est beige (teinté de rose) ou verttendre (le blé, le riz) ; parfois, mais toujours pâles, des nappes decolza jaune ou de cette fleur mauve qui sert, paraît-il d'engrais. Nuldépaysement.

Le thé vert est fade ; servi en toute occasion,renouvelé régulièrement dans votre tasse à couvercle, on dirait qu'iln'existe que pour ponctuer d'un rituel ténu et doux les réunions, lesdiscussions, les voyages : de temps en temps quelques gorgées de thé,une cigarette légère, la parole prend ainsi quelque chose desilencieux, de pacifié (comme il nous a semblé que l'était le travaildans les ateliers que nous avons visités). Le thé est courtois, amicalmême ; distant aussi ; il rend excessif le copinage, l'effusion, toutle théâtre de la relation sociale. (…)

Cette hallucinationnégative (la façon dont il vient de décrire la Chine qui serait hors dela couleur vive, de la saveur forte et du sens brutal) n'est pasgratuite : elle veut répondre à la façon dont beaucoup d'Occidentauxhallucinent de leur côté la Chine populaire : selon un mode dogmatique,violemment affirmatif/négatif ou faussement libéral. N'est-ce-pasfinalement une piètre idée du politique, que de penser qu'il ne peutadvenir au langage que sous la forme d'un discours directementpolitique ? L'intellectuel (ou l'écrivain) n'a pas de lieu – ou ce lieun'est autre que l'indirect : c'est à cette utopie que j'ai essayé dedonner un discours juste (musicalement). Il faut aimer la musique, la chinoise aussi. »

(Roland Barthes, « Alors la Chine ? », octobre 1975)

Présentéslors d'une exposition consacrée à Roland Barthes au Centre GeorgesPompidou en 2002, ces carnets n'ont jamais été mis à disposition dugrand public par ailleurs. La présente édition permettra aux lecteursde suivre au jour le jour les réflexions, impressions et commentairesqu'ont suscités chez Roland Barthes sa découverte de la Chine.

La publication inédite de Carnet de voyage en Chine est accompagnée de la remise en vente des textes du Colloque de Cerisy consacré à Roland Barthes en 1977 ainsi que de L'écriture même : à propos de Roland Barthes de Susan Sontag et de Roland Barthes, vers le neutre de Bernard Comment.

« Ilne cherchait pas du tout à plonger et à devenir, autant que faire sepeut, l'autre ; il restait lui-même et prenait de l'ailleurs ce qui setrouvait lui convenir, soit par l'insolite des situations, qu'ilqualifiait alors de “romanesques”, soit pour le sens que, toujours surun détail, il en tirait. […] On aurait tort de conclure de là qu'ilrestait aveugle ou indifférent aux situations economico-politiques : illes analysait et les jugeait froidement ; mais ce n'était pas un thèmesur lequel il aimait orienter la conversation : il y voyaitprobablement un passage obligé, un effet de surmoi, auquel il résistaitavec le même entêtement qu'il mettait à refuser de céder auxprescriptions de la visite aux musées. Ce qu'il ne faut pas oublier,c'est qu'il campait dans son être avec une gentillesse et une finessetelles que s'en dégageait une figure non pas de refus mais d'accueil.[…]

Il était ainsi comme voyageur ce qu'il pouvait être. Présent etabsent, subtil et concret, gai et replié sur soi, analysteextraordinairement pénétrant et précipité dans l'instantanéité dudésir, radicalement étranger à la mythologie du voyage qu'il transmuaitdès qu'arrivé en une autre modalité de l'habiter. » (François Wahl)