Questions de société

"Quelle place pour les UE de "pré-professionnalisation" en Licence", par R. Salado (Paris 7).

Publié le par Marc Escola (Source : SLU)


QUELLE PLACE POUR LES UE DE « PRÉ-PROFESSIONNALISATION » EN LICENCE
(d'après un courrier de Régis Salado, Paris 7)


Parmi les changements en cours affectant l'université française (mise en place de l'autonomie, statut des EC, mastérisation des concours de l'enseignement, etc.), la mise en oeuvre de la pré-professionnalisation dans les Licences disciplinaires générales n'est sans doute pas le plus spectaculaire. L'imposition d'UE dites PP à tous les niveaux de la Licence n'en constitue pas moins un aspect important de l'entreprise globale de démolition des formations académiques, dont la cohérence et l'indépendance sont systématiquement sapées par les orientations que le Ministère enjoint de suivre aux établissements.
À ces attaques, on propose d'opposer un certain nombre de principes intangibles. Ce sont ces principes, assortis d'une analyse succincte, que vous trouverez formulés ci-dessous. Bien que ce texte corresponde à la situation d'une université où l'équipe dirigeante est particulièrement zélée dans l'application des consignes ministérielles, il est probable que la problématique globale ne varie guère d'un établissement à l'autre.

1/ Principe de préservation des contenus disciplinaires des diplômes.
Dans le cadre d'une maquette fortement contrainte (30 ECTS par semestre, 10 points de coefficient), il est évident que l'implantation systématique d'UE de pré-professionnalisation à 3 ECTS par an, encouragée par le Ministère et l'Aeres, entraîne automatiquement la minoration ou la disparition d'enseignements disciplinaires. Le développement des UE PP signifie le remplacement des enseignements disciplinaires assurés des enseignants-chercheurs le plus souvent titulaires par des enseignements sans contenu disciplinaire confiés à des personnels dont le statut est précaire. Il est donc essentiel pour maintenir la qualité des diplômes de Licence de refuser la diminution de la part des enseignements disciplinaires dans la formation (que ce soit en nombre d'heures de cours dispensées ou en ECTS).

2/ Principe de maîtrise des formations par les enseignants-chercheurs
L'affaiblissement des contenus disciplinaires des formations par l'implantation des UE PP dans les maquettes de Licence a pour corollaire un progressif dessaisissement de l'autorité que les enseignants-chercheurs devraient légitimement exercer sur les formations de Licence dont ils restent responsables. A titre d'exemple, Paris 7 s'apprête à déléguer à des organismes non universitaires comme l'APEC (Association Pour l'Emploi des Cadres) et le FIJ (Fond pour l'Insertion des Jeunes) les formations dispensées au titres des UE PP de première année de Licence. Il ne restera plus alors aux E-C responsables des diplômes qu'à reporter les notes attribuées à ces UE « sous-traitées » et à attribuer les ECTS afférents. Autre effet pervers prévisible de cette « externalisation » et du développement des UE à contenus autres que disciplinaires, les enseignants-chercheurs titulaires manifesteront de moins en moins d'intérêt pour les formations de Licence, les désertant au profit des Mastères transformés en une sorte de « chasse gardée ».

 3/ Principe de distinction entre enseignements à contenu disciplinaire et dispositifs divers susceptibles de favoriser l'insertion professionnelle.
Il paraît pernicieux de poser a priori, par l'octroi systématique de crédits ECTS, une équivalence entre des enseignements à contenu disciplinaire effectif dispensés par des enseignants-chercheurs et les « activités » parfois associées aux UE PP (telles que : « Découverte du monde du travail, des métiers, de l'entreprise et de l'environnement socio-économique » ; « Projet professionnel personnel : CV, entretien » ; « Stage en entreprise, en laboratoire ou en établissement scolaire »). Il serait très souhaitable que les maquettes affichent une claire distinction entre d'une part ces « activités », qui relèvent de dispositifs d'accompagnement des étudiants, et d'autre part les enseignements dont la validation permet l'obtention du diplôme. Les organismes non universitaires comme l'APEC ou le FIJ peuvent être sollicités pour la mise en place de ces dispositifs, qui donneront lieu éventuellement à des certifications et seront portés dans le supplément au diplôme, mais il ne doit pas y avoir confusion des genres : l'obtention du diplôme de Licence résulte de la validation d'Unités d'Enseignement évaluées par les enseignants-chercheurs, les dérogations à cette pratique devant demeurer exceptionnelles (cas des stages encadrés en L3) et rigoureusement contrôlées par l'équipe pédagogique du diplôme. En aucun cas ces dérogations ne doivent être étendues par la validation d'actions de formation déléguées à des organismes extérieurs à l'université.
Ajoutons que proposer en L1 la « découverte du monde du travail » est aussi d'une cruelle ironie pour les nombreux étudiants qui sont amenés, en raison d'un manque de ressources et de l'insuffisance des bourses, à travailler à temps partiel voire complet tout au long de leurs études…

4/ Principe de souplesse :
la pré-professionnalisation doit être pensée en fonction du parcours choisi par l'étudiant.
Conformément à l'esprit du LMD lorsqu'on l'interprète de la manière la plus exigeante, la mise en oeuvre de la pré professionnalisation doit être faite en fonction d'une logique de parcours et non selon une conception rigide qui vise à imposer pour tous les étudiants un modèle unique. Certains parcours appellent en effet des enseignements pré-professionnalisants, et il importe alors que le contenu de ces enseignements soit spécifique à chacun de ces parcours. Pour être enrichissante et efficace, la pré professionnalisation doit être accordée à la diversité des projets et des besoins des étudiants. A contrario, toute mesure d'imposition systématique et indifférenciée sera contre-productive et vécue comme une contrainte arbitraire par nos étudiants. Ainsi, obliger tous les étudiants de L3 à faire un stage au titre de l'UE PP3 est un contresens : il est essentiel que la réalisation d'un stage en L3 soit une possibilité choisie par l'étudiant, une démarche volontaire, et non une corvée dont il faut s'acquitter pour satisfaire un système incapable de prendre en compte les différences de situations entre les étudiants.

5/ Principe de sanctuarisation de la première année

La 1ère année de la Licence doit être consacrée d'abord à la découverte de l'université et à l'initiation à la discipline que les étudiants ont choisi d'y venir étudier. Les étudiants s'inscrivent pour un diplôme en 3 ans, il faut leur laisser la possibilité de s'immerger le plus possible dans leurs études en L1. La 1ère année de la Licence doit donc être préservée, sauf pour quelques parcours bien spécifiques, des UE PP.

6/ Trois remarques annexes

À propos d'un système à deux vitesses : Tandis qu'on diminue les heures d'enseignement disciplinaire pour « faire découvrir le monde du travail, apprendre à rédiger des CV et placer les étudiants de l'université dans des stages en entreprise », qu'en est-il des élèves de classe préparatoire aux grandes écoles, dont les scolarités, bien plus importantes en nombre d'heures de cours, ne prévoient rien d'équivalent ? Car il n'est curieusement venu à l'idée de personne de faire une place à des stages dans le cursus des CPGE… N'y a-t-il pas là une façon d'accuser encore l'écart entre les deux filières du Supérieur, et d'entériner la dichotomie entre d'un côté « l'excellence » des formations par les CPGE, où les élèves se consacrent entièrement et intensivement à leurs études, et de l'autre côté une gestion sans ambition du premier cycle universitaire, à contresens de ce que réclament à bon droit nos étudiants.

Un peu de mauvais esprit. Nous n'ignorons pas les avantages considérables du modèle de pré-professionnalisation qu'on nous propose. En effet, quand on aura remplacé le maximum de cours dispensés par des enseignants-chercheurs par des stages en entreprise et autres UE PP « externalisées », il est clair que le nombre d'heures de cours disciplinaires sera diminué d'autant, ce qui réalisera une appréciable économie. Dans le contexte de l'autonomie des universités, où la bonne gouvernance a tendance à se confondre avec la saine gestion des dépenses (en personnel notamment), les UE PP qui font baisser le coût des diplômes sur lesquelles on les greffe sont donc promises à un bel avenir !

Si les mots ont un sens… Le glissement subreptice, dans les directives successives adressés aux responsables des diplômes pour la refonte de leur offre de formation, d'une « forte recommandation de stage » en L3 à ce qui se présente désormais comme une « obligation de stage », ou encore l'abandon du terme de « pré-professionnalisation » au profit de celui « professionnalisation », manifestent clairement ce qui est en jeu : la destruction des Licences disciplinaires générales conçues pour donner les bases d'un savoir solide, ouvrant notamment à un cursus de recherche, au profit de « formations courtes » ouvrant au mieux sur l'un de ces masters « Métiers de l'enseignement » programmés par l'actuelle réforme des concours de recrutement (dont le niveau académique exigé, rappelons-le, devrait rester celui de la Licence…).